NAPLES. — S’il est un
pays où l’anarchie doit faire des adhérents résolus
à agir, à faire de la propagande et à se
défendre avec énergie contre des institutions caduques,
— c’est l’Italie. Deux causes surtout y contribuent : la
grande misère, qui oblige nos ouvriers à émigrer
pour disputer avec acharnement le travail à leurs confrères
étrangers ; et les persécutions aveugles et
féroces du gouvernement envers les anarchistes.
La misère est
chose trop connue : parlons des persécutions.
Le gouvernement, non
content d’avoir arraché de vive force à la Chambre des
députés des lois exceptionnelles, absurdes et
scélérates, les a appliquées de la manière
la plus infâme.
Dernièrement, le
plico Santoro et le mémoire de M. Marescalchi, membre
de la Commission pour le domicilio coatto à Bologne,
publiés par le député Cavallotti, qui défie
Crispi de le démentir devant les tribunaux, viennent de jeter
encore de sinistres lueurs sur la cruauté de ce bandit ;
de cet homme de mala vita, qui s’appelle Francesco Crispi.
M. Marescalchi nous
apprend qu’on condamnait d’après la lecture de documents
entièrement faux forgés à la questure et
que, par ordre de Crispi, on imposait à la Commission. Ce
triste tableau est encore assombri par ce chapitre du plico
Santoro, où il nous explique que les anarchistes étaient
envoyés au domicilio coatto par de simples lettres de
cachet : vous savez bien de quoi il s’agit. C’étaient
« des décrets imprimés — je traduis du
plico Santoro — qui portaient, également imprimée,
la signature du préfet ; en blanc était laissé
le nom de celui qu’on voulait condamner et la durée de la
condamnation : cette lacune était visiblement remplie au
hasard par un clerc quelconque, pour satisfaire des désirs et
des vengeances de clientèles locales ».
C’est ainsi que les
anarchistes — parmi lesquels les poitrinaires, des estropiés
et des paralytiques — étaient condamnés. Après
avoir passé plusieurs mois au cachot, — Crispi violait la
loi, qui n’admet pas, dans ce cas, de prison préventive, —
ils arrivaient à Port’ Ercole, exténués par la
faim et le froid et dévorés de vermine. À
Port’ Ercole, ils ne trouvaient pas mieux. Ils étaient
entassés pêle-mêle ; la saleté
croissait, malgré les chaudières d’eau bouillantes du
délégué Santoro. Ils étaient presque nus,
et aux demandes réitérées de vêtements que
faisait Santoro, Crispi ne répondait pas. Il répondit
seulement lorsque Santoro lui écrivit qu’il avait les moyens
de liquidare Cavallotti. M. Crispi envoya enfin une
cinquantaine de chemises et de pantalons, tandis que les anarchistes
étaient plus de trois cents !
Francesco Crispi !
C’est l’homme le plus haï de toute l’Italie, quoi qu’en disent
la Tribuna, le Mattino et le
reste de la presse vendue au gouvernement.
― O
―
Le procès des
anarchistes d’ici s’est terminé par la condamnation par
plusieurs mois de prison infligés aux compagnons Landolfi,
Frezza et D’Eustachio, qui doivent payer aussi 1400 francs d’amende.
Leone et Telarico ont été renvoyés en liberté.
Il faut remarquer que le
président du tribunal, tout en déclarant qu’on ne
faisait pas la guerre aux idées, ne voulut pas permettre aux
accusés de démontrer que c’était précisément
aux idées qu’on s’attaquait.
Roberto d’Angió