À quoi tient la tentative
de scission des syndicats allemands, entreprise par MM. Bernhard
Winkelheide, Johannes Even et Heinrich Voss, tous trois députés
du CDU, parti du chancelier Adenauer ? En premier lieu, évidemment
au désir de rétablir le statu quo ante, en opposant au
mouvement syndical allemand encadré par des militants
d’origine socialiste, un mouvement chrétien hostile à
la « conception matérialiste » qu’on attribue
aux chefs laïques du DGB, centrale syndicale allemande.
Qu’il s’agisse, en même
temps, d’une opération politique, on ne peut en douter :
comme en France (quoique reposant sur des données différentes)
la lutte entre « laïcs » et « cléricaux
» joue un rôle non négligeable dans la vie
politique en Allemagne. À coup sûr, l’action des trois
députés vise à affaiblir, en minant ses
positions syndicales, la social-démocratie allemande. Que
cette tentative ait des prolongements internationaux, c’est certain
: la Confédération internationale des syndicats
chrétiens a, dans les années passées,
constamment encouragé toute tentative de scission du mouvement
syndical en Allemagne, et les promoteurs de la tentative actuelle
reconnaissent assez volontiers que des concours financiers leur ont
été accordés de ce côté-là.
La brusque tentative de scission,
due aux éléments les plus décidés de la
tendance cléricale, a surpris tout le monde. Elle gêne
les socialistes modérés qui craignent, maintenant, un
renforcement de la tendance extrémiste ; elle déplaît
aux chefs du CDU (et au chancelier Adenauer lui-même), qui
pouvaient espérer quelques concessions de la part des chefs
syndicaux modérés, et qui ne désespèrent
pas d’arriver à une entente politique avec la
social-démocratie : elle est désagréable à
maints syndicalistes chrétiens qui s’accommodaient plus ou
moins du statu quo et qui ne désirent pas, au fond, le retour
au « pluralisme syndical » ; elle ne convient pas, enfin
– chose étonnante au premier abord – au patronat allemand,
qui craint qu’une dualité syndicale ne précipite la «
course aux salaires », puisque chaque syndicat pourrait, le cas
échéant, chercher dans la surenchère une
justification à son existence.
Ainsi, la scission opérée
par les trois députés avec l’aide de « l’Action
catholique » apparaît comme le symptôme d’un
danger futur plutôt qu’immédiat pour l’unité
syndicale en Allemagne. On peut douter que plus de 200 000 ouvriers,
employés et fonctionnaires se décident à entamer
la cohésion d’un bloc syndical fort de six millions
d’adhérents ; d’autant plus que les éléments
représentatifs du protestantisme se sont empressés de
dénoncer « l’action néfaste des cléricaux
»…
G.S.