Quand le bonheur me définit
Voilà mon geste et ma victoire.
Je suis en paix avec le ciel
avec la vie, avec les hommes.
J’ai tout fermé derrière moi
J’ai tout ouvert à l’horizon
certain d’y joindre le bonheur
dans la confiance des amis.
Et ma joie s’établit
hors du temps, près d’ici
en certitude majestueuse
comme une allée de promenade
où c’est toujours soleil levant.
J’écoute le printemps et les feuilles s’allongent
à chaque battement de mon cœur dans les arbres.
Je suis plein de désirs qui font du miel en moi
je ne demande rien que de garder l’essaim.
Pas d’espoir sur la main
pas de prière pour demain
Mon sang suffit à la demande.
La mort ne prouve rien et je le prouverai.
Quand vous saurez confondre une vague et la vie
la rose du penseur et l’étoile du sage
mêler aux innocents les bêtes criminelles
réunir à Caïn un Abel repentant
et construire au soleil une église de feuilles
sans but, sans loi, au nom de Rien
vous aurez découvert mieux que moi, loin de moi
que la vie n’a besoin pour annoncer sa gloire
que de vie et de vie ajoutée à la vie.
Car je suis transporté d’avoir été vivant
sous un autre regard que celui de l’instant
où j’écris ce poème.
Cet instant éternel
qui m’habille d’abeilles
de sel et d’étincelles
et qui m’offre un pouvoir sans raison ni légende
accessible à tous ceux qui ne meurent qu’au passé.
Le poète majeur
je n’ai jamais séché dans le champ des autres
jamais grappillé les raisins du prochain.
Pas de pirouettes, ni de faux sourires
je me crois tel, ni plus, ni moins.
Pas de génie, je suis moi-même
j’ai dépassé l’âge des clowns
des volontaires de l’enfance
des bien-pensants en culottes courtes.
Vous pouvez visiter, tout est simple et lumière.
Je n’ai pas de couloirs aux portes interdites
je n’ai pas de recette à étonner la foule.
Romantiques élans, boursouflures sans nom
n’abîment pas mes lèvres
nuages, tragédies, ne sont pas de mon ciel.
Aucun doigt mort ne me conduit
aucun clocher ne me montre la vie
aucun mot d’ordre n’a puissance
pour qui défend le droit des mots.
Je suis majeur, c’est plus honnête.
Pas de défaite littéraire
ni de complicité édifiante.
L’âge du monde est inconnu.
Constat
que nous jetons les Manifestes au vent de l’enthousiasme
depuis notre jeunesse et la saison sensible
au crime d’obéir, aux mensonges de l’ordre
aux abus de la nuit et de l’injuste force
depuis le temps où nous avons découvert
la couleur rouge de notre cœur
ce n’est pas que les mots aient perdu leur saveur
ce n’est pas que l’amour ait rompu son élan
mais tant de guerres sont passées sur la plaine et dans les airs
tant de cris sont restés sans échos sur la mer
sans pouvoir sur la foule et sur le poids des âges
que le balancier des misères
et les marées de l’injustice
nous ont marqués à notre tour.
Et le désir nous vient parfois
de reconsidérer le silence
et le prestige d’une attente
où la vraie vie se ferait seule.
Les poings se desserrent, l’esprit se détend
la colère étonnée n’entend plus ses raisons.
Sagesse, calme, salut de l’âme !
Est-ce la paix
que de la porter seul au monde ?
Est-ce la paix parmi les guerres
dans la débâcle du NON magique
de la sublime négation ?
Dans la folie qui nous assiège
nous suffit-il d’être vivants
heureux, confiants et sans espoir ?
Pierre Boujut