La Presse Anarchiste

Courrier

Chers cama­rades,

Vous trou­ve­rez ci-joint une « Réflexion pour un constat poli­tique réel » qui, nous l’es­pé­rons, s’ac­cor­de­ra à nombre des posi­tions que vous déve­lop­pez depuis quelques années, notam­ment dans la Lan­terne Noire [Il fait réfé­rence à un texte qui rejoint dans ses grandes lignes ce qui est expo­sé dans cette lettre.]]. Pour notre part, les [« Addi­tifs à nos points com­muns » de la L.N. n° 9 nous avaient fait croire, avec diverses posi­tions à la même époque (appel de T.A.C., prises de posi­tions d’O.C.A., de l’O.C.L., groupes divers de pro­vince…) que dif­fé­rentes com­po­santes du mou­ve­ment liber­taire se « déblo­quaient en vue d’é­chéances pres­santes à assu­mer en com­mun, voire enta­maient un pro­ces­sus convergent dans le débat et la coor­di­na­tion pra­tique des acti­vi­tés militantes.

Pour la L.N. cela appa­rais­sait comme l’a­ban­don de « sen­si­bi­li­tés » un peu trop spon­ta­néistes au pro­fit d’une volon­té plus orga­ni­sa­tion­nelle. Bien enten­du, il semble admis que cela a trait à la néces­si­té d’un cer­tain nombre de fonc­tions (débat théo­rique, appa­ri­tion d’une hypo­thèse alter­na­tive plus uni­fiée et cohé­rente, coor­di­na­tion pra­tique.) qui toutes excluent la vision avant-gar­diste, auto­pro­cla­mée et mono­li­thique. Par ailleurs, l’é­vo­lu­tion des posi­tions expri­mées dans l’ap­pel de T.A.C. sem­blait signi­fier l’a­ban­don d’un cer­tain « fron­tisme » auto­ges­tion­naire et le sou­hait d’un regrou­pe­ment préa­lable des anar­chistes-com­mu­nistes (en grande par­tie par la base) avant de pré­tendre avoir une stra­té­gie opé­ra­tion­nelle dans le mou­ve­ment social contem­po­rain. Pour ce qui est des nom­breux groupes orga­ni­sés ou pas, la néces­si­té de l’u­ni­té des liber­taires est un vœu idéa­li­sé et mythique mais majo­ri­tai­re­ment res­sen­ti et qui exprime tout de même une néces­si­té et, sur­tout, l’im­pres­sion que de nom­breuses divi­sions sont arti­fi­cielles : soit qu’elles pro­cèdent de que­relles de mots et d’un débat insuf­fi­sant, soit de pra­tiques locales dif­fé­ren­ciées vécues comme unique pos­si­bi­li­té géné­ra­li­sable, soit du per­son­na­lisme et du sec­ta­risme d’étiquette.

Où vou­lons-nous en venir ?

Il nous semble que la solu­tion à terme est de com­bi­ner les ini­tia­tives cen­trales utiles en ce moment et les débats et coor­di­na­tions qui essaie­ront de se consti­tuer à la base.

L’u­ni­fi­ca­tion par la base dans les condi­tions actuelles est un leurre car elle ne s’ap­plique pas au cas de beau­coup de per­sonnes (com­bien de cen­taines de mili­tants cela concerne-t-il ?) ; elle est réelle dans cer­tains cas et ne fait pas beau­coup avan­cer les choses, elle ne déblo­que­rait pas les carences res­sen­ties par tous. Tout au plus son aspect for­mel et géné­ral, s’il était appli­qué, amè­ne­rait-il une légère dyna­mique autour d’un cou­rant de sym­pa­thi­sants déjà convain­cus idéo­lo­gi­que­ment de la néces­si­té orga­ni­sa­tion­nelle et don­nant plus de cré­di­bi­li­té à ce qui naî­trait d’une fusion d’é­ti­quettes. Mais qui cela concerne-t-il et en quoi les contra­dic­tions anté­rieures seraient-elles sur­mon­tées ? Car où en sommes-nous ? Le désir de construire une struc­ture solide tout en ayant un mode de fonc­tion­ne­ment liber­taire a ame­né toutes les orga­ni­sa­tions com­mu­nistes liber­taires depuis 15 ans à oscil­ler entre deux dérives : une struc­ture léni­niste (de fait) avec une théo­rie auto-jus­ti­fi­ca­trice (sous pré­texte d’ef­fi­ca­ci­té) et le contre-coup de toutes les contra­dic­tions que cela entraîne (peu atti­rant, départ de came­rades, iso­le­ment, déca­lage entre le dis­cours et la pra­tique et les théo­ri­sa­tions, etc.), ou bien une atti­tude plus hon­nête mais qui confine rapi­de­ment à la non-uti­li­té de la struc­ture en place (par rap­port aux néces­si­tés res­sen­ties), à l’in­ca­pa­ci­té de sor­tir du loca­lisme et de théo­ri­ser sérieu­se­ment et aux régres­sions défai­tistes et indi­vi­dua­listes. Pour les com­mu­nistes liber­taires qui ont cru sor­tir du « ghet­to » anar­chiste ces der­nières année et ont reje­té la « syn­thèse » au pro­fit de l’ap­pa­ri­tion auto­nome du cou­rant com­mu­niste liber­taire débar­ras­sé des hypo­thèques idéa­listes, c’est un échec. Année après année cela est plus patent.

Nous pen­sions béné­fi­cier inexo­ra­ble­ment de l’as­pect fon­da­men­ta­le­ment liber­taire de la dyna­mique dans le mou­ve­ment social dont nous pen­sions repré­sen­ter l’ex­pres­sion la plus cohé­rente, tout en béné­fi­ciant de l’a­van­tage d’une struc­ture à tous les points de vue, y com­pris la capi­ta­li­sa­tion des crises de l’ex­trême gauche « gauchiste ». 

Nous avions omis un point essen­tiel : la construc­tion volon­ta­riste d’un outil ne peut inver­ser les pro­ces­sus poli­tiques, cultu­rels et sociaux qui lui auraient don­né jour en période dyna­mique, active de façon cor­recte (fédé­ra­lisme, démo­cra­tie directe) en pré­ten­dant repré­sen­ter la même chose.

C’est à dire que la construc­tion volon­ta­riste d’une struc­ture dans ces condi­tions n’a aucune signi­fi­ca­tion et aucun rôle par rap­port aux « masses ». Elle n’a d’u­ti­li­té réelle que pour ceux qui la com­posent, puis ne peut assu­mer qu’une fonc­tion : appor­ter des élé­ments de théo­ri­sa­tion basés sur des hypo­thèses d’a­na­lyse, des infor­ma­tions à carac­tère his­to­rique et inter­na­tio­nal, favo­ri­ser un débat cla­ri­fi­ca­teur et la conver­gence d’élé­ments que l’on sup­pose être des élé­ments, des moments ou des lieux d’une alter­na­tive globale.

Sans cette fonc­tion théo­rique la seule fonc­tion orga­ni­sa­tion­nelle « cen­tra­lée » qui eût été néces­saire, rien n’a de sens. Les rup­tures et les recherches d’in­di­vi­dus ou de petits groupes peuvent dif­fi­ci­le­ment pro­fi­ter des élé­ments d’in­for­ma­tion de tous ordres d’une petite élite. Pour les mili­tants de cette petite élite, leur soi-disant « conscience révo­lu­tion­naire » plus éle­vée ne leur sert pas à grand chose dans leur pra­tique locale fut-elle réelle ; tout au plus à résis­ter un peu mieux aux « dérives d’u­sure ». C’est une des pro­blé­ma­tique posée par ce texte. Bien que très incom­plet et confus, nous avons déci­dé mal­gré tout de nous en ser­vir pour favo­ri­ser un débat qui fait cruel­le­ment défaut entre les cama­rades qui pensent que la situa­tion du mou­ve­ment spé­ci­fique liber­taire est en contra­dic­tion (déca­lé) avec les pré­oc­cu­pa­tions et les sen­si­bi­li­tés des rup­tures les plus signi­fi­ca­tives de notre époque. C’est à dire, d’une façon trop sim­pliste : les orga­ni­sa­tions liber­taires n’as­sument pas leurs fonc­tions (au niveau, en force et en qua­li­té) dans un envi­ron­ne­ment qui leur est favo­rable à tous points de vue. D’autre part nous pen­sons que c’est du côté de la presse (et notam­ment dans les revues, pour diverses rai­sons, en par­ti­cu­lier leur tech­ni­ci­té et leur adap­ta­tion à l’ap­port et aux com­men­taires com­plets et adap­tés) que les carences sont les plus mani­festes et pour­tant les néces­si­tés et les pos­si­bi­li­tés les plus évi­dentes. Nous avons plu­sieurs pistes et contri­bue­rions à toutes les ini­tia­tives qui seraient conver­gentes aux nôtres. Dans l’at­tente de votre réponse, quelle qu’elle soit, et d’un mini­mum d’é­change d’i­dées là-des­sus, rece­vez nos ami­tiés communiste-libertaires.

L.M.


Salut,

Nous avons bien reçu le numé­ro 10 de la Lan­terne . À ce pro­pos il nous semble que vous êtes un peu durs, p. 39, dans la note sur le n° 1 de la GUERRE SOCIALE.

Vous dites d’a­bord « consi­dé­ra­tion inté­res­sante mais théo­rique », qu’est-ce ça veut dire ? N’est-ce pas jus­te­ment une par­ti­cu­la­ri­té de la Lan­terne d’a­bor­der le domaine théo­rique sans la répul­sion ou la panique que l’on trouve chez beau­coup d’a­nar­chistes ? Mais, sans par­ler du texte sur les Indiens, de la mesure par le temps de tra­vail et de l’au­to­ma­tion, qui sont les textes cen­traux, vous citez nos cita­tions d’Ha­ra­sez­ti : « mais jus­te­ment la per­ruque, comme le vol dans les super­mar­chés, n’est-elle pas pré­vue dans les frais des entre­prises ? » Est-ce le pro­blème ? Ce n’est pas parce que quelque chose est pré­vu dans les frais d’en­tre­prise que ça prouve quoi que ce soit : les capi­ta­listes sont bien obli­gés d’en tenir compte, du vol et du per­ru­quage ! Alors évi­dem­ment ils pré­voient une frac­tion de plus value pour cela ; de là à ce qu’ils l’en­cou­ragent ! Mais l’im­por­tant n’est pas la per­ruque consi­dé­rée aujourd’­hui dans ce qu’elle apporte immé­dia­te­ment. L’im­por­tant, c’est ce que cette acti­vi­té mani­feste comme capa­ci­té chez celui qui l’exerce, c’est qu’elle ins­taure un autre rap­port avec l’ob­jet, c’est qu’elle est une des ten­dances com­mu­niste que l’on peut voir aujourd’­hui. Elle aus­si pré­fi­gure « l’ac­ti­vi­té humaine pra­tique » qui pour Marx était syno­nyme de Communisme. 

Bonne lec­ture

LA GUERRE SOCIALE.

Réponse de la Lan­terne.

Je suis d’ac­cord avec les deux remarques du cama­rade, à condi­tion de s’en­tendre sur les mots : l’ap­pré­cia­tion de « théo­rique » (n° 10, p. 39) a été faite par rap­port à des prises de posi­tion dénon­çant le tra­vail, aus­si bien capi­ta­liste que socia­liste, et pré­co­ni­sant l’ab­sen­téisme, le sabo­tage etc. Donc il n’a pas le sens péjo­ra­tif que semble y trou­ver le cama­rade. Ensuite, sur le fait que « l’im­por­tant c’est ce que cette acti­vi­té… » cet aspect posi­tif est par­fai­te­ment juste, mais en ne pré­sen­tant que cela on tombe dans la déma­go­gie, on oublie la récu­pé­ra­tion que le capi­ta­lisme peut faire (et qu’il a par­fai­te­ment réus­si avec la dis­pa­ri­tion de la vir­gi­ni­té comme signe de morale, ce qui pour­tant sem­blait dif­fi­cile à admettre en 36 pour les pro­pa­ga­teurs de l’u­nion libre).

M.Z.

La Presse Anarchiste