L’idéal, mot qui
résonne mal à certaines oreilles, soit qu’elles n’en
saisissent point le sens, soit qu’elles le considèrent comme
irréalisable. Mot admirable, tant de fois galvaudé
qu’on ose à peine le prononcer. Et pourtant, ainsi que le
disait Tolstoï : « L’idéal est ce qu’il y
a de plus réel et de plus certain pour l’homme ».
— O —
On assiste chaque jour à
des spectacles répugnants dont on se demande s’il ne vaudrait
pas mieux rire que de s’indigner. Tout est comique de ce que font les
hommes d’aujourd’hui, parce qu’ils ne se sont jamais contredits avec
autant de cynisme. On vit dans une société offrant
l’aspect d’un manoir à l’envers, habité par des fous.
On constate qu’elle renferme de moins en moins de liberté et
de plus en plus de bêtise.
— O —
Dénationaliser
l’individu est une tâche plus urgente que de nationaliser les
industries guerrières, Ce serait la fin du régime de
caporalisation, militarisation, grégarisation et autres
malédictions qui pèsent sur sa destinée et qui
équivaut à une robotisation intégrale.
— O —
Jamais les appétits
des peuples, avides de conquêtes et de domination, ne se sont
montrés aussi féroces qu’aujourd’hui où
l’humanité repart à zéro. Zéro, c’est
bien en effet le chiffre qui résume la situation. Zéro
pour la pensée, zéro pour la liberté, zéro
pour la justice, zéro pour la vérité. Zéro
pour tout, mais des milliards pour la guerre !
— O —
L’immonde slogan, qui
n’a jamais produit rien de bon : « Si tu veux la
paix, prépare la guerre », est plus que jamais à
l’ordre du jour. Chaque peuple, sous prétexte de se protéger,
et encore plus de protéger ses voisins, préconise les
armements à outrance et le service militaire obligatoire. Une
guerre à peine finie, une autre recommence. Jamais on n’aura
tant parlé de guerre que depuis que nous avons la paix. La
folie règne partout. Décidément, la bête
humaine est indécrottable.
— O —
De toutes les
nationalisations, il en est une dont on ne parle pas, et qui existe
cependant depuis longtemps : c’est celle de l’individu. Elle
passe inaperçue.
— O —
La guerre, qui a tué
des millions d’hommes, n’a pas tué la paperasserie. C’est elle
qui sort victorieuse de la bagarre. Elle a tous les honneurs. Partout
des papiers à remplir et des circulaires en nombre infini. Des
fonctionnaires en veux-tu en voilà, les uns pour transformer,
les autres pour donner un visa, d’autres pour vérifier si tout
est bien exact. Et, à la fin, on s’aperçoit qu’il
manque quelque chose. Tout est à recommencer.
— O —
Tous les fonctionnaires,
intermédiaires ou autres, pour conserver leurs places,
embêtent le public. La méthode Coué s’avère
inefficace. « Tu es libre », « nous
sommes libres », etc. Quelle époque ! et
quelle libération !
— O —
Avoir l’air de faire
quelque chose — n’importe quoi — pourvu qu’on en ait l’air —
telle a toujours été la tactique des partis politiques
pour accéder au pouvoir et s’y maintenir par le même
moyen. C’est plutôt défaire qu’il faut dire, défaire
ce que les autres ont fait pour faire plus mal encore… jusqu’aux
prochaines élections, où l’on entendra les mêmes
discours et les mêmes promesses.
— O —
Toute l’agitation
politique, sous quelque forme qu’elle se présente et quelque
étiquette dont elle se camoufle, se ramène en dernier
lieu à une question de porte-feuilles. Devant elle tout
s’efface, il ne s’agit plus de faire le bonheur du peuple, mais
seulement celui de quelques individus plus malins que les autres. Il
n’est plus question que de profiter due circonstances pour accéder
au pouvoir et s’y maintenir jusqu’à nouvel ordre.
— O —
Dire que tous les
problèmes à l’ordre du jour se ramènent à
une question de « mangeaille » ! La paix,
l’indépendance des individus, la sécurité des
nations, le progrès moral et physique se ramènent au
tube digestif. Il suffit de donner a manger au vaincu pour que le
vainqueur son bien vu et au populo pour qu’il cesse de revendiquer.
Toutes les difficultés s’aplanissent. Tout cède et
rentre dans l’ordre pour un morceau de beefteak !
— O —
« Nous sommes
libres », dites-vous, ou du moins vous croyez l’être.
Rescapé d’une dictature, on retombe dans une autre. La
dictature existe toujours sous différents camouflages. On ne
peut guère y échapper, mais quand elle relâche
ses liens, c’est alors qu’on se croit libre et qu’on le proclame à
cor et à cri. À défaut de liberté on a son
masque. C’est toujours ça !
— O —
Le propre des
démocraties c’est de nous donner l’illusion de la liberté,
alors que les régimes totalitaires nous l’enlèvent.
Avec ces derniers, point d’équivoque, on sait à quoi
s’en tenir. Avec les premières on conserve l’espoir qu’un jour
viendra où une démocratie réelle succédera
aux caricatures de démocraties que nous connaissons.
— O —
Que vient-on nous
reprocher de ressasser toujours les mêmes vérités,
alors que les réalités ne changent pas ! Est-ce
notre faute si les hommes ne valent pas mieux, si la bêtise
demeure, si l’iniquité continue à faire des siennes ?
En présence des mêmes laideurs nous sommes bien forcés
d’utiliser les mêmes mots et de faire les mêmes
constatations.
G de Lacaze-Duthiers