Porter en soi SA vérité,
mais ne pouvoir vivre cette vérité sans se mettre en
péril de heurter à la mentalité de ceux qui ne
connaissent pas LEUR vérité, c’est ce qui fait
connaître la suprême rancœur de vivre.
— O —
La crainte d’être
compromis en quelque affaire que nous voudrions éviter nous
fait refuser de nous engager et c’est le plus important facteur de la
rancœur de vivre. Des hommes ont existé qui ont prêché,
au nom de leur expérience, l’abstention et même le
renoncement à vivre NOTRE vérité.
— O —
« Nous savons
ce qui arrivera », disaient-ils. Et de cette connaissance
sont morts certains d’entre eux, préférant disparaître
plutôt que vivre HORS et SANS leur vérité.
— O —
L’arrivisme se confond
souvent avec le machiavélisme. Le doctrine du Florentin exige,
de ceux qui la pratiquent, un sens du relatif, du fugace, une froide
inconscience des réalités et des responsabilités
intérieures.
— O —
Elle fut, elle aussi,
cette doctrine, responsable de cet art du rapetissement par lequel se
trahissent les démocraties égalitaires et libérales.
— O —
Il existe un procédé
de rapetissement démocratique auquel a recours une espèce
particulière, spécialisée dans « l’art
des ménagements ».
L’art des ménagements
consiste à donner des gages à chaque faction et est un
obstacle à l’extériorisation de notre vérité
intérieure.
— O —
Attendre toujours, pour
s’engager, des conditions meilleures, c’est se distribuer à
soi-même des gages de bonne volonté, mais d’une bonne
volonté qui ne sera jamais créatrice de vivre SA
vérité.
— O —
« Nous vous
soutiendrons si vous réussissez », disent des bons
apôtres en mal de snobisme non-conformiste.
Et notre rancœur
s’avive, prévoyant leurs ricanements au jour de notre défaite.
— O —
L’homme n’est d’abord,
qu’un ensemble de possibilités.
Ses instincts, ses
tendances, ses réactions émotionnelles, ses goûts,
ses passions naissantes, sont autant de capacités de jouir et
de souffrir, de posséder et de contempler, de s’enflammer ou
de s’ennuyer, de s’élever ou de stagner.
Il a donc la possibilité
de vivre et celle d’échouer.
— O —
L’éducation
entrave le développement de ces puissances virtuelles et s’y
oppose.
Plus tard, la culture
tentera d’harmoniser ses chances.
— O —
L’extraction de la
vérité intérieure postule une plénitude
harmonieuse : l’exploration et l’épreuve de soi. Aucune
possibilité ne doit être négligée chacune
doit avoir sa place dans la méditation de l’être.
— O —
Il importe ici de parler
de l’être pour comprendre l’individualisme, cet acheminement
vers l’individu, qui fait cultiver en soi ce qui le différencie
des autres, au lieu de réduire l’individu au commun,
c’est-à-dire de cultiver en soi ce qui se retrouve en tous les
autres. Dans ce dernier cas, il y a réduction de l’homme,
abandon de la vérité de l’homme.
— O —
L’homme n’apparaît
dans sa totalité que s’il réalise ses possibilités
particulières avec leur valeur intrinsèque ; que
s’il fond intimement en lui ce qui le nuance et le distingue de tous
les autres.
Cette nuance, c’est ce
qui forme la qualité humaine.
— O —
La puissance de
perfectionnement d’un être suivant ses possibilités fixe
une bonne partie de sa destinée.
— O —
La méditation et
l’action sont essentielles à chaque homme pour découvrir
Sa vérité.
— O —
Dans le silence de la
méditation, il écoutera le lent travail en lui de ses
exigences les plus profondes ; il rejoindra sa vérité
transcendantale, par-delà toutes les mesquineries d’un monde
trop bruyant : d’un monde où l’on essaie, par vanité,
de faire du bruit, de cacher l’absence des résonances
intérieures.
— O —
Dans le calme des
méditations, il connaîtra la profusion des sources de SA
VIE : puis il en soumettra les apports à l’épreuve
de l’action. L’épreuve lui dira si les puissances qu’il croit
avoir devinées en lui sont vraiment enracinées au sol
de son âme ; si elles jaillissent vraiment du cratère
de son cœur ; si elles sont gonflées de son sang ;
si toute cette richesse est bien à lui, activant son ardeur.
— O —
L’épreuve élimine
les scories de la pensée jusqu’à ce que la vérité
intérieure rende le son d’un métal pur.
— O —
Par un travail incessant
de l’esprit, par de continuelles tentatives de réalisations à
tout coup dangereuses, l’homme parvient à équilibrer et
harmoniser les conquêtes de sa vie.
— O —
Celui qui, patiemment et
consciemment. cherche SA vérité, accomplit lui-même
sa destinée. Il voudrait savoir sa vérité pure
comme l’eau claire des lacs limpides qui habitent les hautes
altitudes. Il voudrait voir se refléter en elle les belles
images de SA terre et de SON ciel.
— O —
N’avoir pas honte de ses
abstentions, c’est avoir le courage de conserver sa vérité
intacte et pour soi.
— O —
En vain tenterait-on de
la montrer telle qu’elle est, comme nous l’aimons : le
ricanement se dresserait devant elle, l’affreux ricanement qui
étourdit tant d’hommes semblables aux girouettes rouillées ;
le ricanement derrière lequel se sont abrités tant de
renoncements, tant de faiblesses, tant de bassesses, tant
d’impuissance, tant de stérilités ; le ricanement
de ceux qui ne peuvent rien faire et disent, par vanité, être
capables de tout faire.
— O —
Que veut le ricanement
en face de la pureté d’une vérité intérieure ?
Empêcher sa réalisation.
Et alimenter le
ricanement d’autres impuissants, d’autres ratés de la noble
condition humaine.
— O —
Que reste-t-il de tous
ces ricanements au bilan de NOTRE histoire ? De la rancœur,
distillée par les multiples dégoûts qu’a soulevés
en nous la petitesse de ceux qui ricanaient.
— O —
Voici la preuve de la
malfaisance de notre époque :
Le stupide ricanement
grégaire que les créatures opposent à tout
effort des créateurs et où se dissimule le désir
le plus secret du raté : que plus rien ne réussisse ;
le désir secret des taupes : que s’étende une nuit
perpétuelle ; le désir secret de la grande
faiblesse des hommes fatigués sans avoir œuvré :
le suicide universel.
Que tous les hommes
soient définitivement des vaincus de la vie est le dernier
espoir — la pauvre colère — des esclaves à l’âme
d’esclave.
— O —
Sont-ils inconscients ?
Sans doute. Car il est inconcevable qu’un homme puisse reconnaître
en lui cette inexistence de toute valeur et s’en accommoder.
— O —
L’outrance de leur
bêtise peut sauver les personnages d’un roman si le romancier a
suffisamment de talent pour trouver, dans la profondeur même de
leur dégénérescence, motif à rédemption.
Même si ces
créatures réalisent une destinée grotesque, par
la grâce de leur créateur, ce cas devient une œuvre
d’art. Car, dans les véritables œuvres d’art, aucun
personnage n’est un raté.
— O —
Mais, dans le roman de
la vie, où l’on est soi-même son propre créateur,
comment imaginer un homme assez abandonné de lui-même
pour accepter le vide conscient de sa vie ? Le suicide ne
mettrait-il pas un terme à son désespoir ?
— O —
C’est pourquoi il faut
placer l’homme devant son inconscience et la lui faire comprendre.
S’il l’entrevoit, se suicidera-t-il ? Si oui, c’est qu’alors son
vide est insondable et, dans ce cas, qu’importe sa disparition ?
Mais l’espoir demeure
qu’une parcelle de lui-même puisse servir de point d’appui et
de ressort à la tentation d’un sauvetage, exploit magnifique
de l’humain oeuvrant à sa propre création et prenant
possession de sa destinée.
Pamphiléros.