L’Espagne t’aimait
Se disaient tes vers dans leurs fêtes.
Eux vinrent ; tu étais poète ;
Ils t’ont donc tué – autrement
Ne pouvant faire. Et maintenant
Le peuple combattra – sans toi.
Hélas ! Federico Garcia Lorca.
(1937)
* * *
Les fugitifs
Le soleil n’est pas venu ; –
Et pendant huit jours, j’ai bu ;
Voilà comment je suis sobre !
Cet avril est fou‑perdu ;
Tout cinglant, tout morfondu ; –
Un écrivain s’est vendu
Couvrant son pays d’opprobre.
Tout est fou‑perdu, hélas !
A pierre‑fendre, un verglas
Aux gens qui fuyaient là‑bas
Vient de casser la poitrine ;
Tout hurle, tout est foutu
Mes trois amis ont voulu
(Mais leur groupe s’est perdu)
Gagner la terre voisine.
Lors, cet avril enragé
D’averses s’est soulagé ; –
Il survit un naufragé
(Tout s’inonde et se nivelle
Sous les fleuves répandus),
Mais un autre est étendu :
Il a le crâne fendu,
Deux balles dans la cervelle.
Ça fait cinq jours qu’ils l’ont eu ! –
Le dernier, vif s’est rendu ; –
Chaque arbre à fruits est mordu.
Nous n’aurons rien pour les granges ;
Je souris de temps en temps,
Me disant du bout des dents :
« Prends garde à toi, car j’entends
Que tout cela, tu le venges ! »
Nicolas Radnóti
(Né en 1909, N. Radnóti est mort en 1944
en déportation nazie dans une mine de sel.)