Ne touche aux cordes du luth,
D’une main faible, étrangère
Aux prémisses d’un grand but !
Si tu ne dis autre chose
Que ta joie et ton malheur,
Que l’archet sacré repose ;
L’accord que ta main propose
Pour le monde est sans valeur.
Au désert marche la troupe
Comme fait le Peuple élu
Quand Moïse le regroupe
Vers la flamme du salut ;
Tel, Dieu son poète ordonne
Pour placer, devant l’ahan
Farouche, un feu qui jalonne
D’une flambante colonne
La route de Canaan !
En avant, poètes ! – frères
Du Peuple, avec lui, pour lui !
Maudits soient les vents contraires
Au drapeau qui le conduit !
Maudit soit qui par paresse,
Par indifférence ou peur,
Se complaît à l’ombre, et laisse
L’épouvante à sa détresse,
L’ignorance à sa stupeur !
Qu’un coeur lâche prophétise
Sous le soleil irrité :
« Voici la Terre promise,
Nous pouvons nous arrêter ! »
Tu protesteras, poète,
Au nom de ce désespoir
De la masse qui végète
Sans un abri pour sa tête
Sans fraîcheur de l’aube au soir.
Quand à la même corbeille
Tous apportant, puiseront,
Comme à la ruche l’abeille,
Et, jouissant, travailleront ;
Quant, à l’entour de la table,
Du pain de science aussi
Tous auront part équitable –
Sous cette étoile admirable,
Nous dirons : c’était ici !
Ah, jusque‑là, point de halte
Par jour et nuit, monts et vaux !
L’idéal qui nous exalte
Ne paiera point nos travaux…
Mais si la vie est peu tendre,
La mort en fermant nos yeux
Apaisera notre cendre :
Sous ses fleurs on peut descendre
Dans un repos glorieux !
Alexandre Petöfi (1823‑1849)