La Presse Anarchiste

Ma conception du « Moi »

Il peut sem­bler, à pre­mière vue, que recher­cher à défi­nir le Moi cor­res­ponde davan­tage à une curio­si­té pure­ment phi­lo­so­phique, à un besoin d’ap­pro­fon­dir une abs­trac­tion, qu’à un tra­vail essen­tiel­le­ment pra­tique pou­vant por­ter des fruits immédiats. 

« Je suis » tel que je suis, allez-vous dire et peu importe au fond quelle expli­ca­tion il est pos­sible de don­ner à ce « je » qui me qua­li­fie. Il importe énor­mé­ment, au contraire, et je vous demande de faire un petit effort de médi­ta­tion sur ce sujet (à un moment où vous serez libres d’autres occu­pa­tions), petit effort qui vous convain­cra que toutes vos pen­sées, toutes vos paroles, tous vos actes sont pré­ci­sé­ment sou­mis à la notion, consciente ou incons­ciente, que vous avez de votre moi.

C’est parce que vous croyez que votre « Moi » est ceci ou cela que, consé­quem­ment, vous pen­sez, par­lez, agis­sez dans tel ou tel sens. 

Dès lors, n’est-il pas impor­tant d’exa­mi­ner à fond cette notion du « moi » qui consti­tue en quelque sorte la notion de base sur laquelle s’é­cha­faudent toutes nos acti­vi­tés intel­lec­tuelles, sen­ti­men­tales et spirituelles. 

N’a­vez-vous pas, assez sou­vent, conscience de l’in­co­hé­rence de tel acte ou de telle pen­sée que vous éla­bo­rez, pour qu’il soit utile, de voir si, à la base, il n’y a pas quelque défaut de struc­ture, faus­sant votre juge­ment. N’êtes-vous pas assez sou­vent, trou­blé par quelque pro­blème indi­vi­duel, social ou humain, dont vous ne pou­vez trou­ver la solu­tion, et ne pen­sez-vous pas que cette impos­si­bi­li­té de résoudre par une expli­ca­tion ration­nelle un pro­blème tou­chant votre nature, cette incom­pa­ti­bi­li­té entre des don­nées natu­relles et vos pos­si­bi­li­tés d’ex­pli­ca­tions, ne viennent, de ce que vous par­tez d’axiomes de base erronés. 

Que pen­se­riez-vous d’un mathé­ma­ti­cien qui ferait des addi­tions en admet­tant que 2 et 2 font 5 ? Il arri­ve­rait certes à des résul­tat, pour­rait bâtir des sys­tèmes, ali­gner des équa­tions. Son tra­vail serait une pure récréa­tion de l’es­prit et serait incom­pa­tible avec toute l’ex­pé­rience pratique. 

Inutile d’ailleurs d’in­ven­ter cet exemple, des faits his­to­riques sont là : 

Il y a quelque 2 000 ans, Euclide posa (avec une logique fai­sant d’ailleurs hon­neur à l’in­tel­li­gence humaine) les bases de sa géo­mé­trie (appe­lée géo­mé­trie eucli­dienne). Il lui fal­lait pour base de départ un axiome, un pos­tu­lat indé­mon­trable mathé­ma­ti­que­ment, mais devant cor­res­pondre à la réa­li­té pra­tique. Sur ce pos­tu­lat, un écha­fau­dage de théo­rèmes, tous démon­trables à par­tir du pos­tu­lat, consti­tua l’é­di­fice géo­mé­trique. Le tra­vail d’Eu­clide est admi­rable en ce sens que tous ses théo­rèmes sont d’une exac­ti­tude rigou­reuse et l’on peut dire que sa géo­mé­trie consti­tue l’un des plus beaux monu­ments intel­lec­tuels édi­fiés par l’es­prit de l’homme. 

Mais les siècles pas­sèrent et l’on s’a­per­çut que mal­gré l’exac­ti­tude abso­lue de tous ses théo­rèmes, la géo­mé­trie eucli­dienne était fausse et ne pou­vait abso­lu­ment pas s’ap­pli­quer par exemple aux cal­culs astro­no­miques, ni aux cal­culs ato­miques. La rai­son en était simple : le pos­tu­lat de base (la somme des angles d’un tri­angle est égale à deux angles droits) est faux et ne cor­res­pond que très approxi­ma­ti­ve­ment à la réalité. 

Ain­si donc, l’un des plus mer­veilleux rai­son­ne­ments que l’homme ait jamais fait sor­tir de son cer­veau, mal­gré une logique abso­lu­ment admi­rable, s’est trou­vé être faux parce que le seul point de départ était inexact. 

Ne pen­sez-vous pas que beau­coup de nos rai­son­ne­ments, déjà bien loin, par leur logique fort dis­cu­table, d’être à la hau­teur de ceux d’Eu­clide, se trouvent être tout à fait faux parce que par­tant d’un pos­tu­lat erroné ? 

Et notre notion per­son­nelle du « moi » ne sert-elle pas de pos­tu­lat à la presque tota­li­té de nos rai­son­ne­ments pour tous ce qui concerne le com­por­te­ment de l’homme sur les dif­fé­rents plans de son acti­vi­té : indi­vi­duelle, sociale, intel­lec­tuelle, émo­tion­nelle, sen­ti­men­tale ou spirituelle ? 

N’est-ce pas pour satis­faire votre « moi » que vous faites telle ou telle action, que vous pen­sez de telle ou telle façon ? 

Si je viens de m’é­car­ter ain­si appa­rem­ment du sujet que nous devons dis­cu­ter ici, c’est pour vous faire sen­tir com­bien est impor­tante au plus haut point, pour chaque indi­vi­du, cette concep­tion du « moi », concep­tion qui lui sert de base de départ pour toute son acti­vi­té. Com­bien il est urgent et impé­ra­tif, puisque nous pos­sé­dons le pou­voir de pen­ser et de réflé­chir, de ne pas lais­ser dans le vague quelque chose qui a pour nous-même une impor­tance capitale. 

Négli­ger cette étude de nous-même revient à édi­fier une construc­tion sur un ter­rain qui peut être de la pierre, de la terre meuble ou le plus incon­sis­tant des sables mouvants. 

N’ou­blions pas que nous por­te­rions devant nous-même l’en­tière res­pon­sa­bi­li­té d’une telle négli­gence et que s’il est bâti sur du sable, l’é­di­fice de notre vie s’é­crou­le­ra quelque jour, nous entraî­nant dans sa chute. 

Voi­ci quelle est ma concep­tion du « MOI »

Je tiens tout d’a­bord à situer ma posi­tion par­mi les dif­fé­rentes doc­trines à ce sujet : 

Je ne crois pas à un Moi éter­nel, je ne crois pas à un Moi durable dans l’es­pace ou le temps, je ne crois pas à un Moi enti­té indé­pen­dante du corps physique. 

S’il est pra­tique, pour la clar­té d’un expo­sé, de s’ap­pa­ren­ter avec telle ou telle caté­go­rie de pen­seurs, je me met­trais ici avec les phé­no­mé­nistes (Hume, Condillac, Mill, Taine). 

L’i­dée de base des phé­no­mé­nistes est que le Moi ne pos­sède pas de réa­li­té sub­stan­tielle, qu’il n’est que la somme, la col­lec­tion de nos états de conscience suc­ces­sifs. Loin d’être four­nie par une intui­tion directe, l’i­dée du Moi est le résul­tat d’une construc­tion pro­gres­sive de notre acti­vi­té interne.

Expliquons-nous : 

Mon corps per­çoit au moyen de ses sens, l’ouïe, la vue, le tou­cher, le goût et l’o­do­rat. Appe­lons sen­sa­tions ce groupe de per­cep­tions. Nous avons ensuite la facul­té de com­prendre, la facul­té de créer des images par l’i­ma­gi­na­tion ; il y a la pen­sée et il y a la conscience. 

Si je divise ain­si l’homme qui, en fait est un tout, c’est sim­ple­ment pour la com­mo­di­té de l’ex­po­sé et non pour en faire un sys­tème démon­table et remon­table à volonté. 

Ain­si donc, je crois que ce sont tous ces élé­ments : le corps, la sen­sa­tion, la per­cep­tion, la pen­sée et la conscience, dont l’en­semble forme le moi.

Ce n’est pas le moi qui les crée, ce n’est pas le moi qui pense, qui sent, qui per­çoit, qui est conscient. 

Le moi est une pure abs­trac­tion qui naît du fait que se trouvent réunies sous la forme phy­sique d’un orga­nisme humain, des pos­si­bi­li­tés de sen­sa­tions, de per­cep­tion, de conscience. 

Détrui­sez par la mort ou par l’anes­thé­sie, ces pos­si­bi­li­tés : il n’y a plus de moi, soit pour l’é­ter­ni­té, dans le cas de la mort ; soit tem­po­rai­re­ment, dans le cas de l’anesthésie. 

Conce­vez-vous qu’il soit pos­sible de sépa­rer votre « moi », des sen­sa­tions, per­cep­tions et voli­tions ? Non, en toute sin­cé­ri­té. Le moi n’existe qu’en temps qu’il sent, qu’il per­çoit, qu’il veut. Le moi n’existe pas par lui-même, il n’existe que par la sensation. 

Pre­nons un exemple :

J’as­semble de la façon que cha­cun connaît, un manche creux, un réser­voir conte­nant de l’encre et une plume, j’ob­tiens évi­dem­ment un sty­lo qui me per­met d’écrire. 

Croyez-vous que ce sty­lo ait une exis­tence réelle, non subor­don­née à des quan­ti­tés de fac­teurs, et que l’on puisse par­ler du « sty­lo »comme d’une enti­té ayant une exis­tence abso­lue ? Cer­tai­ne­ment non, et la meilleure preuve est qu’en vidant le réser­voir, ou en reti­rant la plume, j’ob­tien­drais une espèce d’ob­jet auquel il sera impos­sible d’ap­pli­quer le vocable de sty­lo puis­qu’il sera impos­sible d’é­crire avec. 

L’en­ti­té « sty­lo » n’existe donc qu’en temps qu’as­sem­blage de pièces toutes indis­pen­sables, et dont les fonc­tions coor­don­nées en un même temps créent de toutes pièces son exis­tence propre. 

Ain­si en est-il du moi qui n’existe que si se trouvent réunies, en un même temps, des sen­sa­tions, des per­cep­tions, des voli­tions — et cela exige l’exis­tence d’un appa­reil à sen­tir, à, per­ce­voir, à vou­loir — c’est-à-dire un corps humain nor­ma­le­ment constitué. 

Ici, vous allez me dire : nous sommes d’ac­cord et il n’é­tait point besoin de prendre tant de peine pour démo­lir la notion d’une exis­tence du moi sépa­rée du corps phy­sique. Nous ne sommes pas spi­ri­tua­listes et n’a­vons jamais cru cela. 

Aus­si bien n’est-ce point seule­ment cela que j’ai vou­lu démo­lir ; mais la croyance en un moi dont l’exis­tence est certes liée à celle du corps phy­sique, mais qui vit sa petite exis­tence propre, qui se sert des organes des sens du corps pour regar­der, écou­ter, sen­tir, goû­ter ; qui se sert du cer­veau pour pen­ser et réflé­chir, etc… 

Ce que j’ai vou­lu démo­lir c’est la notion de l’exis­tence d’un moi-enti­té réelle auquel cha­cun s’i­den­ti­fie et que cha­cun aime bien sen­tir par­fai­te­ment solide et réel, pour se prou­ver à soi-même sa propre existence. 

C’est dans cette notion que réside l’ul­time chaîne qui empêche la libé­ra­tion de l’in­di­vi­du. Car enfin, on peut être libé­ré de tous les pré­ju­gés, de toutes les croyances, de tous les dési­rs d’ap­pro­pria­tion, il n’empêche que ce moi qui est nous-même, il faut bien le soi­gner, le dor­lo­ter, le pro­té­ger contre les atteintes d’au­trui pour qu’il soit heu­reux, qu’il ne connaisse pas la souf­france. Et l’in­di­vi­du, libé­ré de tout le reste, de se plon­ger dans un « égo­tisme » dans un amour de son moi qui le ren­ferme dans le plus noir des cachots. 

Atti­tude erro­née, mais expli­cable. S’il est, en effet, un moi qui est en quelque sorte tout ce qui me carac­té­rise, m’in­di­vi­dua­lise, pour­quoi ne pren­drais-je point envers lui un soin jaloux ? C’est mon bien le plus pré­cieux, c’est Moi-même, je lui dois, je me dois les plus grands égards. L’a­néan­tis­se­ment de ce moi serait mon anéan­tis­se­ment, sa dou­leur est la mienne. Nous sommes mieux que deux frères sia­mois : l’ob­jet et sa propre image. 

Le mal­heur est que ce sys­tème cohé­rent en soi, res­semble beau­coup à celui d’Eu­clide dont je par­lais tout à l’heure. Notre pos­tu­lat de départ est faux : il n’y a pas d’exis­tence propre du « moi ».

Ne me pre­nez pas pour un fou et ne me faites pas dire que « je n’existe pas ». Si cela était je ne serais pas en train de phi­lo­so­pher dans L’U­nique.

Ne me faites pas dire non plus que j’existe et que mon moi n’existe pas. Il fau­drait alors reprendre le pro­blème et rem­pla­cer « moi » par « je » ce qui ramè­ne­rait tou­jours au même point. 

Qu’est donc alors ce moi dont je parle comme d’une ombre ? 

Comme je l’ai dit plus haut, il n’y a pas, (ne vous atta­chez pas à le forme dog­ma­tique de mes expres­sions, j’ex­pose sim­ple­ment mon point de vue) il n’y a pas, dis-je, de moi, il y a de la sen­sa­tion, de la per­cep­tion, de la pen­sée, de la conscience, issues de mes organes, de mon cer­veau et c’est cet ensemble, dont aucun élé­ment ne peut être pris sépa­ré­ment, qui consti­tue le moi.

Cet ensemble est essen­tiel­le­ment dyna­mique — on ne conçoit pas un arrêt dans le fonc­tion­ne­ment de l’une ou l’autre des par­ties consti­tuantes (per­cep­tion, sen­sa­tion, pen­sée, conscience) qui ne cor­res­ponde à un anéan­tis­se­ment sub­sé­quent du moi. Exemple : l’anesthésie. 

Le moi est donc une pure créa­tion — il se crée lui-même — on pour­rait presque dire par géné­ra­tion spon­ta­née, parce que, en un point de l’es­pace, existent les condi­tions requises pour sen­tir, per­ce­voir et pen­ser, en ce point de l’es­pace naît la conscience d’un moi.

Mais ce moi est d’une fuga­ci­té extra­or­di­naire, il meurt à chaque ins­tant et à chaque ins­tant en renaît un sui­vant. À chaque mou­ve­ment de la sen­sa­tion, de la per­cep­tion, de la voli­tion cor­res­pond un moi différent. 

Et pour­quoi refu­ser de croire cela pour le moi, alors qu’on l’ad­met pour le corps — cha­cun sait que notre corps est com­po­sé de mil­liards de cel­lules, qu’à chaque seconde il en meurt des mil­lions qui sont rem­pla­cées par de nou­velles. Les bio­lo­gistes affirment que mises à part les cel­lules ner­veuses, notre corps est entiè­re­ment renou­ve­lé au bout de 7 ans de vie. 

On accepte aisé­ment ce fait que nos cel­lules meurent et soient rem­pla­cées par d’autres, que notre corps se trans­forme non seule­ment dans sa consti­tu­tion interne, mais dans un aspect exté­rieur. Pour­quoi se refu­ser à croire qu’il en est de même pour notre moi ?

C’est qu’in­ter­vient ici une notion de conti­nui­té. Quand je m’en­dors le soir et que je me réveille le len­de­main, je me retrouve, moi hier soir et tou­jours moi ce matin. 

Bâti sur cette impres­sion une théo­rie de la sub­stan­tia­li­té du moi revient néan­moins à jouer sur les mots. 

J’ai vu hier soir la Seine sous le pont de Neuilly, je l’ai revue ce matin : c’é­tait tou­jours la Seine évi­dem­ment et, à part, d’in­si­gni­fiants détails, elle était la même qu’­hier soir. Mais ne croyez-vous pas que nous par­lons là d’une enti­té née de notre cer­veau : la Seine. Qu’est-ce qui existe réel­le­ment sinon, sous le pont de Neuilly, le pas­sage de quelques mil­liards de molé­cules d’eau à la minute. Ose­riez-vous sou­te­nir que ce sont les mêmes molé­cules qui sont pas­sées hier soir et qui repassent encore ce matin ? Non, n’est-pas, c’en sont de nou­velles, peut-être iden­tiques mais cepen­dant pas les mêmes. 

En pra­tique nous ne par­lons jamais de molé­cules qui existent réel­le­ment. mais de la Seine, qui est une pure créa­tion de notre cer­veau. Ain­si en est-il de notre moi.

Ce qui com­plique le pro­blème c’est que ce moi parle tou­jours de lui-même — quand je défi­nis mon moi, c’est mon moi qui se défi­nit, d’où la per­ma­nence de l’illu­sion. Quand nous avons par­lé de la Seine, un peu de rai­son­ne­ment nous a de suite mon­tré que nous par­lions d’un concept pure­ment arti­fi­ciel, parce qu’il y avait sépa­ra­tion entre ce concept et son créa­teur. Quant au moi il est le concept et son créa­teur tout à la fois, d’où la dif­fi­cul­té plus grande de dis­cer­ner l’illusion. 

En résu­mé, je crois que le moi n’a pas de réa­li­té per­ma­nente, je crois qu’il y a un cou­rant conti­nuel, un flux de sen­sa­tions, d’im­pres­sions, de voli­tions, d’é­tats de conscience, dont l’en­chaî­ne­ment crée l’im­pres­sion d’un moi permanent. 

Je crois que l’exis­tence d’un homme, à tra­vers laquelle il croit dis­cer­ner l’exis­tence de son moi n’est qu’une suite innom­brable de per­cep­tions, de sen­sa­tions, de pen­sées ; je crois qu’à l’in­té­rieur de ce phé­no­mène, il n’y a rien de per­ma­nent, pas même la durée de deux moments consé­cu­tifs. Ces phé­no­mènes ont une durée infime. En fait ils meurent à tous les ins­tants et à tous les ins­tants naissent. Cet état de mort et de deve­nir est un flux et un reflux per­pé­tuel. Tout est dans un état imper­ma­nent, tout est fugi­tif, tout fuit, tout est en per­pé­tuel chan­ge­ment, en per­pé­tuelle évo­lu­tion, en per­pé­tuelle trans­for­ma­tion. Et je crois qu’il n’est que d’ob­ser­ver la nature dans toutes ses mani­fes­ta­tions, pré­hen­sibles par nos sens, pour se convaincre de l’u­ni­ver­sa­li­té de cet axiome. 

Voi­là, allez-vous dire, une concep­tion du Moi, un axiome de base bien peu solide pour édi­fier une philosophie. 

Ce moi imper­ma­nent, fuyant, inexis­tant, quelle construc­tion durable pour­ra-t-il soutenir ? 

Je pour­rais en citer des quan­ti­tés et, entre autres, toutes les phi­lo­so­phies orien­tales, et toutes les phi­lo­so­phies phé­no­mi­nistes occi­den­tales. Elles sont certes tein­tées d’un cer­tain pes­si­misme, mais seule­ment, à mon sens, si on les consi­dère par rap­port à des phi­lo­so­phies opti­mistes qui sont bien sou­vent des leurres. 

J’ai quant à moi, fort bien asso­cié cette notion phé­no­mé­niste du moi et cette phi­lo­so­phie si splen­di­de­ment égoïste de Stirner. 

Je crois que la phi­lo­so­phie stir­né­rienne, dont j’ai pu appré­cier la fran­chise et le pro­fond réa­lisme, est cepen­dant dan­ge­reuse pour cer­tains esprits non aver­tis. Tout comme celle de Nietzsche qui, parce que plus répan­due, a pu prou­ver son action néfaste sur cer­tains indi­vi­dus insuf­fi­sam­ment évo­lués pour la comprendre. 

J’ai pu, au contraire, à l’aide de cette notion du moi expo­sé plus haut, trans­cen­der en quelque sorte les notions stir­né­riennes. User de mon Moi comme s’il était réel et bâtir des­sus. Mais je sais qu’il est fuyant, qu’il est une illu­sion et ma bâtisse n’est pas de pierre ni de ciment, elle est de bois et elle flotte à l’occasion. 

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