Nos buts

Nous ne sommes pas les continuateurs d’un socialisme ou d’un anarchisme étriqués, que leurs partisans ont réduits aux dimensions de leurs chapelles ou de leur mentalité, ou dont les grands buts initiaux ont été à peu près oubliés, soit par l’emprise des faits quotidiens qui ont centré les activités sur des détails secondaires, soit par une dégénérescence intellectuelle qui devait résulter de la non formulation d’une synthèse supérieure toujours présente à l’esprit des hommes.

Anarchie est un mot que l’expérience a montré trop négatif, trop imprécis et trop vague, qui mettant surtout l’accent sur la revendication unilatérale de la liberté, en dehors des contingences sociales inévitables, a laissé la porte ouverte à la négation des disciplines morales, intellectuelles et sociales sans lesquelles on ne peut que tomber dans la déliquescence dont les sociétés et les nations ne sortent que par la dictature.

Socialisme est un mot qui a suggéré, d’une façon prédominante et unilatérale, l’établissement de l’égalité économique, et fait négliger, la politisation aidant, les valeurs spirituelles sans lesquelles les conquêtes matérielles ne peuvent que conduire les générations futures à de nouvelles formes de bestialité.

Ces définitions classiques, ces buts devenus si limités, ne peuvent nous suffire. Nous sommes les promoteurs d’une civilisation nouvelle qui ne peut être la «conséquence» de réalisations partielles, mais un fruit de plénitude atteint par la plénitude de l’effort accompli.

Civilisation libertaire: nous tenons à cette définition de notre objectif, car elle englobe l’homme dans son intégralité, dans sa vie matérielle autant que dans les facultés les plus nobles. Cela a pour conséquence pratique d’exiger de tout adhérent une vie d’ensemble harmonieuse, qui n’admet pas d’écarts incompatibles avec les principes adoptés; pour nous, la liberté future et le dérèglement immédiat, l’égalité économique et le bénéfice de l’inégalité actuelle sont inconciliables. Pour nous, enfin, il faut être dans tous ses actes, dans toutes ses attitudes, le prototype, l’incarnation de l’humanise supérieur que nous devons préconiser d’abord en le représentant.

— O —

La civilisation embrasse toutes les activités utiles et bienfaisantes de l’humanité. Et d’abord, la connaissance historique de ces activités. Notre mouvement doit, pour ne pas être une improvisation vaniteuse, étudier la genèse et le développement des créations et des œuvres matérielles, intellectuelles et spirituelles de l’humanité. La construction d’une civilisation nouvelle doit être basée sur cette étude, et cette étude doit être réalisée par un effort collectif, coordonné, soutenu qui sollicitera un grand nombre d’intelligences et provoquera l’apparition d’une œuvre sociologique dont le rayonnement, si nous travaillons avec la persévérance nécessaire aux grands courants de l’histoire, s’exercera sur le devenir de l’espèce humaine.

— O —

Des connaissances positives et plus terre à terre sont aussi nécessaires. On ne créera pas une économie nouvelle si l’on ignore tout des besoins humains, des ressources pouvant les satisfaire, de l’organisation et des problèmes de la production. Le rôle de notre mouvement sera, dans ce domaine, de chercher, de coordonner les études, de répandre les matériaux indispensables à tout révolutionnaire voulant être un constructeur.

On comprendra donc qu’il n’est pas question de nous limiter au seul domaine intellectuel, théorique, philosophique et doctrinaire. Nous projetons d’agir aussi, directement, sur la vie, et sur toutes les institutions d’entraide, de pratique sociale non étatique et non autoritaire.

Voilà ce que nous voulons entreprendre dans un effort solidaire qui devra unir du militant le plus obscur à l’intellectuel le plus en vue. Les idées que nous défendons ne sont pas nouvelles, mais nous les formulons d’accord avec notre époque et le développement incessant de la culture sociologique. Nous commençons avec un bagage que nous ont laissé les grands théoriciens libertaires qui se sont appelés Godwin, Proudhon, Bakounine, Kropotkine, Tolstoï, Élisée Reclus, et autres. Mais nous y ajoutons notre expérience, le résultat de nos observations, une vision amplifiée des choses, qui suscite en nous des forces, des éléments vierges et neufs que l’immensité, la beauté et la grandeur de la tâche entreprise vont mettre à contribution.

Le groupe éditeur