Synthèse d’une étude sur l’alcoolisme
Synthèse d’une étude réalisée en travail d’équipe
par le groupe Socialiste Libertaire. Quelques chiffres
pourraient être complétés, cette étude remontant à
six mois. Elle n’en conserve pas moins sa valeur
d’ensemble et de méthode de travail.
Les chiffres publiés par un grand nombre de journaux et de publications, ceux cités à la Chambre des Députés, et par les économistes et les statisticiens spécialisés sont connus de tous. La consomation d’alcool est, en France, de 21 à 22 litres par habitant et par an: dix fois autant qu’aux USA. Si l’on ajoute l’alcool produit par les bouilleurs de cru, qui sont 3 600 000 environ, cela fait de 26 à 27 litres. Mais les calculs faits par Alfred Sauvy montrent, et il est facile de le comprendre, que la consommation étant répartie sur une population inégalement consommatrice, environ deux millions 800.000 Français consomment 73 litres d’alcool à 100 degrés par an.
La forme d’alcoolisme la plus répandue est celle de la consommation du vin. Prenons entre autres les chiffres de M. Meignac, (revue Population) qui prouvent, avec la marge d’erreurs inévitables dans ce genre de recherches, que sur 9 millions d’hectolitres d’alcool pur consommés tous les ans, environ 70% (6 280 000 hect.) proviennent des 58 000 000 d’hectolitres de vin absorbés.
L’attaque aux betteraviers ne résoudra donc pas le problème. Sur 450 000 hectares de betteraves, 300 000 sont destinés à la production de sucre. Les réductions imposées font passer de 150 000 à 100 000 hectares ce qui est destiné à la fabrication de l’alcool, Même si l’on supprimait tout, il n’y aurait là qu’une apparence de remède.
Pour diminuer la consommation d’alcool sous forme de vin, il faut braver 1 650 000 viticulteurs contre 50 000 betteraviers dont 1.000 environ sont de grands producteurs. Ajoutons les 3 600 000 bouilleurs de cru – dont, il est vrai une partie se confond avec les vignerons –, les quelque 500 000 débitants de vin et spiritueux, les fabricants de spiritueux et le personnel qu’ils emploient, les paysans des régions cidricoles, et toute la population qui gravite autour de ces activités, et les femmes, les parents, les enfants en âge de voter de tous ceux qui sont intéressés au premier plan. Cela fait au moins six millions d’électeurs. Aucun autre secteur public n’en groupe autant. Voilà pourquoi les partis politiques, dont le parti communiste, grand défenseur des bouilleurs de cru, et le parti socialiste, si contradictoire dans ses votes à la Chambre, n’osent pas attaquer de front le problème de l’alcool. Tous craignent de voir diminuer leur masse électorale.
Il faut avoir le courage de dire que le problème de l’alcool est avant tout un problème moral. La France produit trois pour cent du raisin récolté dans le monde. Mais elle produit vingt-neuf pour cent du vin. Cela ne s’explique pas seulement par le régime capitaliste.
Pourtant, celui-ci ajoute aux difficultés. Dans le Nord, on a planté des pommes de terre à la place de la betterave supprimée. Il en est résulté une surproduction qui a provoqué une crise chez les cultivateurs. Le gouvernement propose l’arrachage des vignes, avec indemnité, ce qui serait une excellente mesure contre l’alcoolisme. On pourrait réduire de moitié la surface occupée par cette culture, qui est déjà passée de 2 447 000 hectares en 1874 environ 1 455 000 actuellement pour une production de vin sensiblement égale, grâce à l’emploi des hybrides, qui double parfois la production à l’hect.
Mais cette réduction de surface intéresse 800 000 viticulteurs, plus la main-d’œuvre salariée, car sur une surface égale, la culture de la vigne occupe en moyenne trois fois plus de personne que celle des autres produits agricoles (horticulture exceptée). Dans la société actuelle, que faire de ces gens? Ou bien que peuvent cultiver ces vignerons, et comment leur assurer les débouchés pour leurs produits?
Il y a pléthore de blé, bien qu’on ensemence un million d’hectares en moins qu’en 1935-39. Il y a pléthore de pommes de terre. Il y a pléthore de bétail. Il y a pléthore de lait (200 000 000 d’hects. Contre 140 000 000 à la suite de l’amélioration nécessaire du cheptel). Il y a pléthore de beurre. Les produits de l’horticulture sont concurrencés par ceux de l’Algérie, du Maroc, de l’Espagne et de l’Italie auxquelles il faut acheter sous peine de mesures de rétorsion.
Les cultures de remplacement ne sont donc qu’une vue de l’esprit. Seule celle du maïs a été entreprise avec quelque chance de succès. Mais le maïs est une plante épuisante, qui détruit la terre très rapidement, et qui en fin de comptes est plus onéreuse que la terre en friche.
Les producteurs d’alcool, de vin, de blé de viande, de lait, de beurre exigent de l’État des subventions qui leur permettront de vivre indirectement, grâce à l’appui des autres secteurs de l’économie. On comprendra que seul un changement de régime peut en finir avec ces anomalies.