La Presse Anarchiste

Les résultats scolaires

Qu’on ne s’étonne pas si nous pen­sons devoir entre­te­nir nos amis lec­teurs d’un pro­blème si vaste, et com­bien inquié­tant pour beau­coup de parents — et d’enfants. Des spé­cia­listes émi­nents lui ont consa­cré des ouvrages en grand nombre. Nos pré­ten­tions, ici, sont plus modestes. Cette époque d’examens, que nous vivons, est le temps de l’espoir et des décep­tions, des « pleurs et des grin­ce­ments de dents » et nous nous don­nons pour but de faire, le plus sim­ple­ment pos­sible, le tour de la ques­tion, encore qu’elle ne soit pas des plus faciles, car les fac­teurs qui condi­tionnent les résul­tats sco­laires sont mul­tiples et d’une com­plexi­té qui serait décou­ra­geante si on ne se gar­dait de les consi­dé­rer en valeur absolue.

Per­sonne ne doute, nous l’espérons, que la signi­fi­ca­tion de ces résul­tats varie par­fois pro­fon­dé­ment d’un élève à l’autre, d’une jeune per­son­na­li­té à l’autre.

Qui de nous n’a eu l’occasion de consta­ter qu’un enfant, ou un ado­les­cent, doué d’une intel­li­gence plu­tôt brillante (confir­mée par des tests), et par consé­quent capable de réus­sir dans ses études, échoue ? Quels sont les méca­nismes inté­rieurs qui le pré­dis­posent à cela ? Par quoi est influen­cé le com­por­te­ment de l’enfant mal­chan­ceux à cette espèce de lote­rie à laquelle conduisent les études et qu’on nomme les exa­mens ? Les influences sont mul­tiples : bio­lo­giques, éco­no­miques, péda­go­giques, psy­cho­lo­giques ou intellectuelles.

Mais s’il s’agit d’un élève d’une consti­tu­tion et d’une intel­li­gence nor­males, les échecs ou les réus­sites ont leurs racines dans la valeur édu­ca­tive et le « confort affec­tif » conju­gués, qui émane des maîtres et de la famille. Du moins, beau­coup l’ont pen­sé ain­si. Car un enfant est un per­pé­tuel deve­nir. Il connait, dans son déve­lop­pe­ment, des phases d’équilibre et de bou­le­ver­se­ment pas tou­jours faciles à déce­ler dans leurs causes, mais qui attirent notre atten­tion sur des failles pos­sibles, tant péda­go­giques que familiales.

Milieu socio-cultu­rel fami­lial et méthodes sco­laires sont par­fois dis­cor­dants, au détri­ment de l’esprit cri­tique et indé­pen­dant de l’enfant ; son inser­tion dans la vie en sera ren­due dif­fi­cile et peut même engen­drer des mécomptes, voire des mal­heurs dans sa vie d’adulte.

En pas­sant, disons avec une atta­chée à l’Institut Péda­go­gique que « les adultes vivent absor­bés par leur pro­fes­sion ou sont par­fois ins­tal­lés dans leur quié­tude, sans se rendre compte de cet état de choses, ou encore sans faire l’effort néces­saire pour vivre avec leurs enfants et pas uni­que­ment à côté d’eux ».

Et cer­tains vont jusqu’à croire qu’une abon­dance de puni­tions arran­ge­ra les choses ! comme si, à l’école, l’enfant n’apportait pas tout ce qu’il tient du milieu socio-cultu­rel : niveau de vie, pro­fes­sion du père, dimen­sions de la famille, han­di­cap éco­no­mique (ou psy­cho­lo­gique), gêne ou aisance dans le loge­ment (tran­quilli­té per­tur­bée par la radio ou la télé­vi­sion, qua­li­té des loi­sirs, etc.).

Nous n’insistons pas sur le fait, bien connu, que des enfants des milieux aisés et de culture évo­luée réus­sissent mieux, géné­ra­le­ment, que ceux de milieux modestes ou pauvres. Des sta­tis­tiques ont été dres­sées qui démontrent avec élo­quence cette inéga­li­té sur laquelle, entre autres, Jean Gué­hen­no a maintes fois géné­reu­se­ment insis­té, et qui a pour consé­quence qu’avec les mêmes pos­si­bi­li­tés intel­lec­tuelles au départ, le même appé­tit de savoir, les enfants pauvres n’accèdent qu’en nombre infime aux études supé­rieures (en méde­cine, par exemple, 1,8 % de fils d’ouvriers, contre 25 % pour les enfants issus des milieux de fonc­tion­naires, de pro­fes­sions libé­rales et d’enrichis de tout poil).

Donc, du cer­ti­fi­cat d’études pri­maires au bachot, juin-juillet est l’époque de l’angoisse, des colères ou du ravis­se­ment. De toute manière, les parents pensent à l’établissement de leurs enfants sans mon­trer tou­jours, et c’est bien humain, une juste vision des choses. Mais les maîtres y voient-ils plus clair ? Ce n’est pas sûr du tout.

D’abord, et depuis l’origine, une sotte tra­di­tion fait clas­ser les élèves en deux caté­go­ries : les bons, qui ont du mérite, le mérite d’être doués, et les mau­vais, qui sont cou­pables de ne l’être pas, même s’ils font des efforts pour com­pen­ser leur absence de faci­li­tés. Et cela mal­gré tous les démen­tis que la vie se charge d’apporter à cette concep­tion absurde des « bons et des mau­vais ». Entre les deux sont les « moyens ». On n’en parle pas. Pour­tant cer­tains font de gros efforts pour se main­te­nir à ce niveau. Enfin, suc­cès et mérites sont confon­dus comme l’échec l’est avec la faute.

Tel enfant, tou­jours pre­mier dans les classes élé­men­taires, et dont les parents avaient pen­sé qu’il irait très loin, n’arrive pas à suivre une sixième ; tel autre, brillant en 6e et en 5e, accu­se­ra subi­te­ment un effon­dre­ment de toutes ses qua­li­tés quand il se trou­ve­ra en 4e. Son nou­veau pro­fes­seur le tien­dra pour un cancre, alors que c’est lui-même, le maître, qui aura créé cette inhi­bi­tion et pro­vo­qué une crise affec­tive désas­treuse. Ici, la patience de parents intel­li­gents pour­ra évi­ter la catas­trophe. Ce fait nous est conté par un pro­fes­seur agré­gé qui connut ce cas.

Nous voyons là les méfaits de cer­taines mal­adresses péda­go­giques et de l’incompatibilité d’humeur !

* * *

On sait l’importance que les parents attachent aux notes, dont ils n’ont pas tou­jours une notion rai­son­née, ce qui est la cause de bien des erreurs édu­ca­tives. Un pro­fes­seur, éclai­ré celui-là, nous dit1Michel Rous­se­let, pro­fes­seur agré­gé (Les Infor­ma­tions Sociales).:

« Les notes sont une mon­naie impar­faite et trom­peuse d’un alliage mal défi­ni, en ce sens que leur valeur dépend de celui qui les donne, d’abord. Tel cor­rec­teur qui se réfère à une per­fec­tion idéale, et le plus sou­vent toute per­son­nelle, estime bien payer par 12 une leçon, une ver­sion, une dis­ser­ta­tion que tel autre appré­cie­ra à 8, et un troi­sième à 14, au point que la double cor­rec­tion s’imposerait dans tous les exa­mens et concours. Impos­sible de se faire entendre d’une Admi­nis­tra­tion bor­née, mais l’inquiétude des parents sur ce point est fon­dée, et c’est vrai que le hasard a une trop grande part dans l’avenir des candidats.

» Pour les exer­cices quo­ti­diens, les notes ont un autre défaut : mal­gré les remarques qui les accom­pagnent, on ne sait pas tou­jours à quoi elles cor­res­pondent, résul­tat abso­lu ou rela­tif ? Pro­grès ? Bonne volon­té ? Tra­vail ? La chose, cepen­dant essen­tielle pour une stricte et élé­men­taire jus­tice, échappe aux parents qui inter­viennent avec une optique tel­le­ment par­ti­cu­lière qu’ils ne peuvent pas ne pas entendre de tra­vers des signes qui, ain­si, ne veulent rien dire. »

Cela est clair : les parents accordent aux notes un cré­dit qu’elles ne méritent pas, car leur exac­ti­tude mathé­ma­tique est un leurre.

Des notes découlent les places. La com­pé­ti­tion est orga­ni­sée par les adultes, les enfants doivent sans cesse se dépas­ser les uns les autres ! Que deviennent les dif­fé­rences fon­cières qui existent entre eux : dons per­son­nels, héré­di­té, vie fami­liale ? Peut-on équi­ta­ble­ment com­pa­rer l’un à l’autre deux élèves ?

Nous voyons qu’on ne néglige rien pour déve­lop­per la vani­té des uns et bles­ser, humi­lier les autres : tableaux d’honneur, prix, pro­cla­ma­tions, etc. Puis, pour exal­ter cet « idéal » de dépas­se­ment, les rangs sont com­mu­ni­qués aux parents, qui sont prêts à s’attribuer les suc­cès, mais pas les échecs bien sûr… Les chiffres, inhu­mains, sont sacrés, les parents en ont le culte — mal­gré les conflits qu’ils provoquent.

Les notes ne sont qu’un arti­fice (insuf­fi­sant) pour obte­nir un effort comme les parents uti­lisent le sucre d’orge : rien de plus. Mais que l’enfant ne soit pas vic­time du pro­cé­dé. En bref, nous dit encore notre pro­fes­seur « nos notes n’ont pas plus de valeur que nos francs-papier anciens ou les assi­gnats de la Révo­lu­tion : c’est une faci­li­té (dont, la preuve est faite, l’Éducation Nou­velle a démon­tré l’inutilité). Même si les maîtres se piquent au jeu, les parents devraient régler leur gou­verne per­son­nelle sur ce point de vue.

« N’oublions pas qu’ils sont eux aus­si (les parents) de grands enfants, qu’on les oblige à tenir une comp­ta­bi­li­té absurde et que c’est leur pauvre moyen à eux de « capitaliser ».

» Dans ma classe, je mets des notes, mais mes élèves sentent qu’il s’agit de signes conven­tion­nels et fugi­tifs, ils y attachent moins d’importance qu’à l’estime que j’ai d’eux, et que je leur mani­feste par des moyens plus intelligents. »

Enfin, les parents pen­sant par eux-mêmes sont rares sans doute. L’échec, comme le suc­cès, n’est pas un point d’arrivée, mais de départ. Les diplômes ouvrent peut-être un che­min, mais n’assurent pas for­cé­ment la quié­tude ! De plus, un échec est un acci­dent qu’il faut trai­ter comme tel, sim­ple­ment, et pen­ser à une erreur d’orientation pos­sible — ce qui est sou­vent le cas — ou encore à des troubles du déve­lop­pe­ment à cer­tains moments de la vie de l’enfant et qui engendrent la fatigue, des dif­fi­cul­tés d’attention.

Ne voit-on pas aus­si des parents s’entêter à vou­loir ce que l’enfant ne peut réa­li­ser, espé­rer ? Pas besoin d’y regar­der de bien près et bien long­temps pour s’apercevoir que c’est d’abord leurs ambi­tions à eux qu’ils consi­dèrent. L’enfant en est presque oublié !

Il faut en prendre son par­ti : on ne peut culti­ver que des apti­tudes qui existent. Il s’agit de les décou­vrir avant tout et de mettre en œuvre les moyens maté­riels et affec­tifs propres à les uti­li­ser. Notes, diplômes, suc­cès ou échecs ne tra­duisent pas, ou tra­duisent mal la réa­li­té. L’enfant est sou­vent caché der­rière tout cela ! Nous crai­gnons bien qu’il ne le soit de plus en plus.

* * *

Dans une chro­nique, déjà ancienne, Georges Duha­mel déplo­rait la pau­vre­té de l’orthographe que mon­traient cer­tains de ses cor­res­pon­dants, gens pour­tant pour­vus de diplômes : « J’ai trou­vé des fautes d’orthographe dans des lettres de bache­liers, voire de licen­ciés. » En ce temps que nous vivons, le Lan­der­nau de la peau d’âne est plu­tôt agi­té : la baisse du niveau sco­laire, et sin­gu­liè­re­ment du fran­çais, fait l’objet de com­men­taires alar­mants : pas de pre­mier prix de com­po­si­tion fran­çaise au concours géné­ral de cette année2Il est vrai que l’encombrement des éta­blis­se­ments sco­laires, écoles et lycées, que nous devons à la « pous­sée démo­gra­phique », y est bien pour quelque chose. Il est dif­fi­cile de pour­voir les postes de pro­fes­seurs qui seraient néces­saires, tout le monde le sait. .

Mais cette crise de l’orthographe est-elle un effet de l’agitation de notre temps, une consé­quence du carac­tère pas­sif des loi­sirs offerts aux jeunes radio, télé­vi­sion, ciné­ma, publi­ca­tions illus­trées — trop — aux textes sans art ? Nous avons bien lu, il n’y a guère, qu’on a trou­vé jusqu’à vingt fautes d’orthographe dans des copies de can­di­dats au bachot. C’est beaucoup…

Abuse-t-on pré­ma­tu­ré­ment de cer­taines sub­ti­li­tés gram­ma­ti­cales qui rebu­te­raient les enfants ? On dit qu’elles sont utiles, ces sub­ti­li­tés, aux futurs lati­nistes. C’est pos­sible. Mais le latin est de plus en plus délais­sé. Serait-ce aus­si une ques­tion d’horaire, de méthode ? de pro­gramme ? Ce n’est pas sûr.

Des psy­cho­logues ont pen­sé qu’il exis­tait peut-être « une facul­té spé­ciale d’attention au mot dont les enfants seraient inéga­le­ment pour­vus »3Mon­gé : Infor­ma­tions Sociales.. Cela est à consi­dé­rer. N’a‑t-on pas vu de bons élèves, intel­li­gents, éveillés, qui traînent pen­dant toute leur sco­la­ri­té, et même plus loin, une ortho­graphe scan­da­leuse, mal­gré leçons sup­plé­men­taires et menaces ? Et, à l’inverse, des enfants irré­pro­chables dans ce domaine mar­quer une infé­rio­ri­té dans tous les autres ?

On serait ten­té de pen­ser à une espèce de force occulte dont on ne peut que consta­ter l’absence ou la pré­sence chez l’élève ! Pour notre part, nous y croyons un peu.

Et nous reve­nons au monde d’images et de son dans lequel nous vivons. Son et images tendent à rem­pla­cer le mot écrit dont le sou­ve­nir visuel est moins vivace, et même finissent par écra­ser ce sou­ve­nir que l’enfant ne peut gar­der au cours de sa scolarité.

Un auteur fait cette remarque : « Contrai­re­ment aux lois du cal­cul dont la ratio­na­li­té inflexible les pré­serve de toute défor­ma­tion, les règles de l’orthographe demandent moins à être com­prises qu’à être res­pec­tées (et sen­ties aus­si). Leur carac­tère, en quelque sorte ins­ti­tu­tion­nel, les expose à l’indifférence, voire au mépris de cer­tains enfants. »

Et, selon cet auteur, la crise de l’orthographe est peut-être le symp­tôme d’une crise plus pro­fonde du res­pect. Le remède serait-il dans la lec­ture atten­tive, silen­cieuse ? Car, fait conster­nant, les élèves lisent peu. Par­mi les meilleurs, 50 % s’intéressent aux livres, par­mi les moyens et les der­niers des classes, 14 % seule­ment. Et quels livres lisent-ils ? Les illus­trés, bien sûr, ont la pré­fé­rence de ceux-ci… 36 pour cent.

Pour nous, le contrôle des lec­tures serait sou­hai­table sans doute, car on a pu consta­ter une nette amé­lio­ra­tion de l’orthographe, en six mois, par l’application du prin­cipe des lec­tures contrô­lées. (Nous savons, natu­rel­le­ment, que les meilleurs prin­cipes doivent se gar­der de toute rigi­di­té.) L’enfant qui réus­sit en ortho­graphe et dans les matières lit­té­raires est, sou­vent, celui qui lit plus que les autres (peut-être pas tou­jours, mais c’est là une indi­ca­tion). Et sur­tout celui qui vit dans une atmo­sphère où les livres sont des amis.

* * *

Que le grand sou­ci des parents soit l’établissement de leurs enfants, on le com­prend ; qu’ils leur assurent, par des for­ma­tions diverses, par divers ensei­gne­ments, le moyen de gagner leur vie au mieux, soit.

Mais com­bien de parents envi­sagent que la vie gagnée il faut la vivre ? Apprendre à la vivre ?

Nous n’aimons pas les grands mots, comme « la culture » que beau­coup de vani­teux, de snobs, confondent avec le savoir, quel qu’il soit, et dont ils ont la bouche rem­plie de cette éru­di­tion, pas tou­jours de bon aloi, qu’ils étalent sans modes­tie et sans se dou­ter que ce fai­sant ils se couvrent de ridicule.

Que les parents y songent. La vie gagnée doit être vécue dans le bon­heur de l’esprit.

Avec ou sans les tim­bales décro­chées à la lote­rie des examens.

Mar­cel Renot

  • 1
    Michel Rous­se­let, pro­fes­seur agré­gé (Les Infor­ma­tions Sociales).
  • 2
    Il est vrai que l’encombrement des éta­blis­se­ments sco­laires, écoles et lycées, que nous devons à la « pous­sée démo­gra­phique », y est bien pour quelque chose. Il est dif­fi­cile de pour­voir les postes de pro­fes­seurs qui seraient néces­saires, tout le monde le sait.
  • 3
    Mon­gé : Infor­ma­tions Sociales.

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