La Presse Anarchiste

Du haut de mon mirador

L’Unique n°2 (juillet 1945)

Du haut de mon mirador

    Au cours des six années que l’Eu­rope vient de tra­vers­er à la façon d’un homme pris de délire et qui a per­du tout sens de sa respon­s­abil­ité .. l’abcès est loin d’être guéri .. on a beau­coup dis­cou­ru sur la civil­i­sa­tion qu’il s’agis­sait de préserv­er, de sauver, qui courait le risque d’être anéantie, et ain­si de suite. Mais la per­sis­tance de la civil­i­sa­tion comme la conçoivent les con­duc­teurs de peu­ples, les busi­ness­men, les pro­tag­o­nistes du machin­isme à out­rance et les gazetiers, est-elle aus­si indis­pens­able qu’ils le dis­ent au bon­heur de l’in­di­vidu ou des groupes humains ? J’en­tendais l’autre jour, au cours d’une émis­sion de la B. B. C. le résumé du rap­port d’une Com­mis­sion sci­en­tifique sur les con­di­tions d’ex­is­tence à l’île de Tris­tan d’A­cun­ha, dont, dans « l’en dehors », il a été ques­tion à plusieurs repris­es. Cette petie île est, comme on le sait, située dans l’At­lan­tique Sud, entre le 37° et 38° de lat­i­tude S. et con­siste en un mont vol­canique de 2.359 m. d’alti­tude, émergeant d’une mer de 3 à 4.000 mètres de pro­fondeur. Elle est com­plète­ment isolée du reste du monde et n’est vis­itée qu’une fois l’an, si le temps le permet,par un navire qui apporte et rem­porte le cour­ri­er, quand il y en a. Eh bien, les deux cents habi­tants de cette île, qui se nour­ris­sent prin­ci­pale­ment de pommes de terre, d’oeufs, surtout de pois­son, à l’ex­clu­sion ou presque de viande de boucherie, con­stituent un milieu très sain, où l’on ignore les mal­adies telles que la tuber­cu­lose, la syphilis, la carie den­taire ; on y vit vieux et la mor­tal­ité infan­tile y est pour ain­si dire incon­nue. Ils se mari­ent entre eux depuis des décades sans que leur san­té se ressente de ces unions con­san­guines. Or, chaque fois que les habi­tants de Tris­tan d’A­cun­ha ont eu affaire avec la civil­i­sa­tion, ça été à leur détri­ment : ain­si, ayant reçu de l’ex­térieur du sucre indus­triel et de la farine sans doute égale­ment traitée indus­trielle­ment, il s’en est suivi une épidémie de carie den­taire, affec­tion ignorée chez eux, comme on l’a dit plus haut. Aus­si, tien­nent-ils à vivre à l’é­cart de cette fameuse civil­i­sa­tion, dont il est à pré­sumer que la con­tin­u­a­tion leur importe peu, et déclar­ent-ils vouloir rester en l’é­tat où ils se trou­vent, mal­gré l’isole­ment et le cli­mat. Qui leur don­nerait tort ?

Qui CÉ.