La Presse Anarchiste

Un poème de George Gissing : Espoir vain

    On con­naît peu, en France, la vie trag­ique et l’oeu­vre cepen­dant remar­quable du grand artiste lit­téraire que fut George Giss­ing (1857–1903), artis­to­crate par son esprit et pro­lé­taire par sa mis­ère, qui avant tout demeure pour nous l’au­teur de Born in Exile (Né en exil), roman de l’in­di­vid­u­al­isme esthé­tique. Il fut tour­men­té toute sa vie par sa sex­u­al­ité, ce qui ne con­tribua pas peu à le main­tenir par­mi le « peu­ple de l’abîme ». Cepen­dant, il ne décela guère cette obses­sion dans sa lit­téra­ture : c’é­tait un Anglais.… Le poème dont nous don­nons ci-dessous la tra­duc­tion, un des rares qu’il ait écrits, n’en a que plus de valeur. Il est con­tenu .dans les Mem­o­ries (Lon­dres, 1916) d’Ed­ward Clodd, l’his­to­rien anglais du rationalisme. 
    M. D. 
Espoir vain

A moi, ô mon amour, vous fûtes à moi pen­dant une heure. 
Vous et le monde une heure fûtes à moi. 
Car le monde, avec sa beauté, sa joie et sa puissance, 
Était là, éten­du à mes pieds, comme un présent, 
En cette heure où la vie était dev­enue divine. 
Et vous, ô mon amour, vous fûtes à moi, toute à moi. 

Les fleurs de votre vis­age et le feu de votre âme 
Et le souf­fle de votre vie une heure furent à moi, 
Le dieu des dieux, qui est le maître 
De l’é­clair et du tonnerre, 
Ne con­nut jamais joie plus divine 
Que la mienne durant l’heure où vous fûtes à moi. 

Le miel de vos lèvres et les bat­te­ments de votre coeur 
Et vos bras chauds et sou­ples une heure furent à moi, 
Et vos pieds vifs dont les pas pressés 
Font écho dans mon coeur en mots d’amour, 
Et votre douce et frêle voix et l’é­clat stel­laire de vos yeux, 
Tout cela, tout, pen­dant une heure, fut à moi. 

Tout ce que les années à venir montreraient 
Con­den­sé en l’heure où vous fûtes à moi 
L’ex­tase de la ren­con­tre et la peine du départ, 
Les larmes et l’é­clat cré­pus­cu­laire de la passion, 
Jusqu’à ce que je busse le vin d’une mort divine 
Des lèvres dont les bais­ers furent à moi, tous à moi. 

Hélas, hélas, ce ne fut qu’un rêve, 
Un sim­ple rêve, que vous fûtes à moi ! 
Cette heure dorée s’en est allée 
A la dérive comme une rose au ruisseau. 
Et je sais que nulle heure ne viendra 
Jamais, jamais, ou vous serez à moi. 

Hast­ings, 25 juil­let 1883. George Gess­ing (Tra­duc­tion Manuel Devaldès.)


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