La Presse Anarchiste

Mouvement social

Londres. ― La situa­tion géné­rale du tra­vail est à la baisse depuis quelques années, la crise com­mence à s’ac­cu­ser for­te­ment par des chô­mages au point que plu­sieurs socié­tés ont été obli­gées d’é­le­ver la coti­sa­tion heb­do­ma­daire afin de parer à la sub­ven­tion accor­dée aux chô­meurs adhé­rents ; un moment la socié­té des sculp­teurs sur bois sup­pri­ma tous les secours. 

    Chaque année le prin­temps donne une pous­sée au tra­vail, mais cer­tains métiers tels que ceux du pia­no ne s’en aper­çoivent pas, de fortes fabriques n’oc­cupent en ce moment que les net­toyeurs et les appren­tis. Dans cette indus­trie la France reçut le pre­mier coup quand des usines se fon­dèrent en Amé­rique et en Angle­terre, mais les exploi­teurs fran­çais avaient eu le temps en une tren­taine d’an­nées de deve­nir mil­lion­naires, tan­dis que tous côtés, dans Paris, on ren­contre leurs anciens ouvriers dégue­nillés cher­chant un emploi. 

    Et, plus que jamais, l’on joue du pia­no ! Les ébé­nistes qui se nombrent envi­ron 40.000 à Londres, se res­sentent aus­si for­te­ment de la crise ; mal­gré cela il y a une reprise : ain­si la socié­té l’Alliance n’a dans le mois de mars que 106 membres sans tra­vail sur 4.800 adhé­rents, 46 en moins que pour le mois de février ; mal­gré cela pour les 70 branches adhé­rentes (ébé­nistes, sculp­teurs, chai­siers et mou­lu­riers), on compte un défi­cit de soixante livres (1.500 francs). 

    La ten­dance des grandes fabriques de meubles est de faire tra­vailler les façon­niers au dehors et de congé­dier les ouvriers qu’elles occupent ; déjà cette chose a pris des pro­por­tions. La main-d’oeuvre revient moins cher et les patrons s’exemptent de la sujé­tion aux règle­ments des Trades-Unions, et les ouvriers occu­pés chez les façon­niers tra­vaillent plus fort pour moins d’argent. 

    Les socia­listes du fau­bourg à Paris et les social-démo­crates à Londres en deman­dant la sup­pres­sion de la trôle voient l’ef­fet sans en cher­cher les causes, ils n’ont pas vu que la trôle com­mence dans le façon­nage, mode qui tend dans les grands centres à englo­ber toute l’in­dus­trie du meuble. 

    On remar­que­ra que les façon­niers de l’East, de la City et du West de Londres occupent de pré­fé­rence les ouvriers étran­gers qui débarquent et que ce sont eux, Ita­liens, Fran­çais et Alle­mands qui sont un peu cause de la baisse des salaires. Il s’en­suit que tout comme les chau­vins de France, les Anglais crient sus aux étran­gers. Ils ne se rendent pas compte que seuls les exploi­teurs sont cou­pables de pro­fi­ter de l’ar­ri­vant qui a faim. 

    Et c’est ain­si qu’une lutte fra­tri­cide se per­pé­tue entre ouvriers et que l’on oublie, comme l’a dit le vieux La Fon­taine, que « l’en­ne­mi c’est le maître » qui vit du pro­duit des tra­vailleurs ; on oublie que le maître c’est le gou­ver­nant qui force les petits à se plier au joug des lois. 

    Mal­gré tout, les socié­tés ouvrières anglaises ren­ferment une bonne mino­ri­té qui veut secouer l’en­goue­ment de la masse en prê­chant autre chose que de tou­jours voter. 

    Des ora­teurs liber­taires que l’on pour­sui­vrait en France se font entendre le dimanche dans les parcs, ce sont les plus écou­tés : cer­tains ora­teurs anglais égayent leurs dis­cours pour atti­rer le public. Un de ces der­niers dimanches un ora­teur par­lant de la Révo­lu­tion fran­çaise se mit à enton­ner La Mar­seillaise, cette démons­tra­tion plut énor­mé­ment et beau­coup de jeunes gens tenaient les pre­miers rangs du cercle. Il serait à sou­hai­ter que les ora­teurs anglais se mul­ti­pliassent dans les parcs et dans les quar­tiers misé­reux de White-Cha­pel. La besogne serait féconde. 

Gué­ri­neau.

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