La Presse Anarchiste

Mouvement social

Paris. ― Le gou­verne­ment, dont « la pro­fonde sym­pa­thie pour la classe ouvrière » ne fait de doute pour per­son­ne, com­mence à trou­ver que l’e­sprit de sol­i­dar­ité se répand beau­coup trop par­mi les tra­vailleurs et il s’in­quiète forte­ment à la per­spec­tive d’une grève générale dont l’idée se propage de plus en plus. Aus­si a‑t-il pro­jeté d’in­ter­dire au pro­lé­taires jusqu’au droit de dis­cuter les con­di­tions de l’of­fre et de la demande. Mais, n’osant pas d’un coup le pro­hiber pour tous, il s’y est prit jésui­t­ique­ment en déposant, sous pré­texte de patri­o­tisme (excel­lent par­avent !), un pro­jet de loi inter­dis­ant le droit de grève pour les ouvri­ers de l’É­tat et des com­pag­nies de chemins de fer. Vien­dra plus tard le tour des autres. 

Doux pays de liberté ! 

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    La grève des omnibus. ― Les cochers, con­duc­teurs, pale­fre­niers, etc., de la Com­pag­nie des Omnibus, se sont mis en grève la semaine dernière, en récla­mant l’exé­cu­tion des con­ven­tions passées à la suite de la grève de 1891. La grève n’a durée que trois jours. Dès le pre­mier jour, la police a mis ses agents et sa garde munic­i­pale au ser­vice de la puis­sante Com­pag­nie pour réduire à l’« obéis­sance » les esclaves rebelles. Pen­dant trois jours des nuées de policiers encom­brant les plate­formes et juchés sur les impéri­ales des omnibus ont imposés aux voyageurs leur répug­nant con­tact. Le dernier jour, trou­vant sans doute que la diminu­tion des béné­fices de la com­pag­nie deve­nait par trop con­sid­érable et craig­nant pour ses pots-de-vin, le gou­verne­ment, mal­gré l’at­ti­tude ultra-paci­fique des grévistes, a adjoint aux policiers des piquets d’in­fan­terie pour garder les dépôts, prou­vant une fois de plus sa « pro­fonde sym­pa­thie pour la classe ouvrière ». Ne s’agis­sait-il pas, en effet, de défendre la lib­erté du travail. 

    Quant aux reven­di­ca­tions des grévistes, tout s’est borné à des dis­cus­sions sur une aug­men­ta­tion de salaires de quelques cen­times. Mal­gré ce min­i­mum d’ex­i­gences, on a jugé à pro­pos d’ar­rêter le prési­dent et le secré­taire du syn­di­cat des employés. Jamais peut-être, dans aucune grève, le gou­verne­ment ne prit si ouverte­ment par­ti pour ceux qui tien­nent les cor­dons de la bourse. 

    À sig­naler aus­si une affiche par laque­lle le directeur Cuvinot vante les libéral­ités de la com­pag­nie et énumère les sommes qu’elle a déboursées, soit pour la caisse d’as­sur­ance, soit pour celle des retraites. Il oublie d’indi­quer, en regard de ces sommes grotesque­ment min­imes, le chiffre de recettes de 100 mil­lions que réalise annuelle­ment la com­pag­nie et qu’elle prélève sur le tra­vail de ceux qu’elle acca­ble de sa générosité. Mais là n’é­tait pas la ques­tion. Les ouvri­ers n’ont pas encore com­pris que tant qu’une classe oisive réalis­era un béné­fice, quelque min­ime soit-il, sur leur tra­vail, c’est qu’ils seront spoliés de ce béné­fice. Le jour où ils le com­pren­dront, les grévistes auront sans doute un autre objec­tif que de couper un liard en quatre. 

    Nous avons reçu d’un groupe de cama­rades russ­es et alle­mands la somme de 37 fr. 50 que nous avons fait par­venir au Syn­di­cat des employés de la Com­pag­nie des omnibus. 

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    On annonce que Sébastien Fau­re va faire, à Paris, une série de con­férences publiques et con­tra­dic­toires afin d’ex­pos­er ample­ment ses con­cep­tions soci­ologiques. Il a, paraît-il, invité à ses con­férences les som­mités poli­tiques, lit­téraires et sci­en­tifiques réputées comme s’oc­cu­pant de la ques­tion sociale. 

    Ces con­férences auront lieu chaque same­di, à 8 h. ½ du soir, salle d’Ar­ras, rue d’Ar­ras, 3. La pre­mière est fixée au same­di 11 courant. 

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Paris. ― Le cama­rade Pouget nous fait annon­cer pour le 11 l’ap­pari­tion de la Sociale, organe heb­do­madaire illus­tré, à 0 fr. 10. Bonne chance à notre cama­rade. Le cama­rade Mala­to qui avait été arrêté pour une infrac­tion à un décret d’ex­pul­sion, vient d’être remis en lib­erté, le gou­verne­ment s’é­tant résolu à le con­sid­ér­er, sur sa récla­ma­tion, comme Français. 

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Lens. ― La délé­ga­tion de la com­mis­sion par­lemen­taire qui procède à une enquête sur les con­di­tions du tra­vail des mines, vis­i­tait, ces jours derniers, la par­tie du bassin houiller du Pas-de-Calais qu’­ex­ploite la Com­pag­nie de Lens. Les com­mis­saires allaient de coron en coron, inter­ro­geant les chefs de famille, recueil­lant des ren­seigne­ment… Les coro­ns sont, on le sait, les petites maisons que la Com­pag­nie, moyen­nant hon­nête prélève­ment sur le salaire, met à la dis­po­si­tion de ses ouvri­ers. Après vingt autres une porte est poussée. Logis veuf de ses maîtres. Pour tout habi­tants, six mioches en hail­lons qu’­ef­fraie la présence de tant de messieurs graves. Une fil­lette de treize ans, cepen­dant, répond aux ques­tions des vis­i­teurs. La mère est morte. 

— Et ton père ? 

— Je ne sais pas, il est parti. 

On inter­roge les voisins qui pré­cisent et com­plè­tent le réc­it de l’en­fant. Après la mort de sa femme, le père, en proie à un noir cha­grin, mû par on ne sait quelle lâche pen­sée, a quit­té le pays. On ignore ce qu’il est devenu. Les petits sont restés seuls. L’aîné de la nichée, un garçon de qua­torze ans, tra­vail­lait à la mine. La Com­pag­nie, lui faisant appli­ca­tion rigoureuse d’une dis­po­si­tion de son règle­ment, qui réserve les petits postes aux enfants de mineurs occupés sur se pro­pres chantiers, la Com­pag­nie l’a ren­voyé. Toute la petite famille, le garçon en tête, s’est mise alors à ramass­er par les champs des pis­senl­its pour les ven­dre. Tous ensem­ble, tra­vail­lant bien, se fai­saient à ce méti­er un revenu total de huit sous par jour et c’est avec cela qu’on a vécu tout l’hiv­er. Mais la Com­pag­nie n’en­tend pas loger, surtout loger gratis, une mar­maille dont le tra­vail ne lui rap­porte rie. Elle veut récupér­er sa mai­son. Elle a donc req­uis le com­mis­saire de police d’ex­pulser les enfants. 

(L’É­clair)

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Douai. ― On lit dans le Réveil du Nord : Il y a quelques semaines, le sol­dat Stofel, enfer­mé dans la prison de la caserne Durutte à Douai, s’é­vadait par un trou qui avait été pra­tiqué dans le mur de ladite prison. Sans nul doute, quelqu’un avait aidé Stofel dans son éva­sion. Les soupçons de l’au­torité mil­i­taire se portèrent sur M. Paul Lefebve, 2e canon­nier ser­vant au 15e d’ar­tillerie. Pourquoi lui plutôt qu’un autre ? On ne le savait trop, peut-être des rela­tions d’ami­tié unis­saient-elles les deux sol­dats. Quoi qu’il en soit, il fal­lait un coupable. Paul Lefeb­vre fut immé­di­ate­ment arrêté et mis en cel­lule. Il protes­ta vaine­ment de son inno­cence. L’in­fail­li­bil­ité de l’ad­min­is­tra­tion civile ou mil­i­taire est chose avérée. « On le lui fit bien savoir. » Un mois entier, Paul Lefeb­vre subit cette peine cru­elle de l’in­car­céra­tion en cel­lule. Pen­dant ce temps, l’en­quête se pour­suiv­ait… Pour faire pren­dre patience au mal­heureux on le con­duisit à Lille ; naturelle­ment, il ne fit que pass­er d’une cel­lule dans une autre. Quinze jours encore, il fut mal­mené comme le plus vul­gaire mal­fai­teur et l’on sait que l’au­torité mil­i­taire s’en­tend à mar­tyris­er les pau­vres dia­bles qu’elle tient en sus­pi­cion. L’en­quête con­tin­u­ait tou­jours. Enfin elle fur close. Aucune preuve n’avait pu établir la cul­pa­bil­ité de Paul Lefeb­vre. Quar­ante-cinq jours de cel­lule pour avoir été soupçon­né sans motif d’avoir ren­du ser­vice à un cama­rade, à la bonne heure ! Vive la dis­ci­pline militaire ! 

André Girard (Max Buhr)


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