Au Gouvernement
Si les organisations soussignées ont bien compris, la décision prise par le riksdagen le 25 mai 1955 sur la question du minerai est de caractère conditionnel : elle peut conduire au rachat par l’État ou à une nouvelle convention entre l’État et la TGO à propos d’une collaboration continuée dans l’exploitation des mines du Nord. L’intention de la résolution prise est en tout cas qu’elle doit servir pour défendre certains intérêts bien définis. Dans ce cas il devient nécessaire pour l’État de considérer deux formes différentes d’administration d’entreprise, et de choisir une de celles-ci : une administration entière par l’État ou une influence accrue de l’État au sein d’une administration commune avec la TGO. Mais puisqu’il est nécessaire d’examiner en tout cas les formes administratives, un changement étant inévitable dans les circonstances données, il serait possible d’examiner, peut-être aussi d’autres alternatives que celles que nous venons de citer. Il est notre intention de présenter, dans ce mémoire, quelques autres alternatives dans la question des formes administratives pour les entreprises minières du Nord.
La décision sur le rachat dépendra certainement de l’attitude de la TGO. Si celle-ci n’accepte pas les demandes minimums de l’État quant à son influence et sa codétermination dans l’entreprise de la LKAB il n’y aura aucune sortie ― le rachat des actions de la TGO sera la conséquence inévitable. Mais si l’on suppose une convention sur la collaboration continuée entre l’État et la TGO ― une possibilité qui ne semble pas tout-à-fait exclue ― il se produit une nouvelle situation : l’État qui a augmenté son pouvoir pour défendre certains intérêts sociaux et ouvriers, donne à la compagnie une influence très grande dans l’entreprise, tandis que les ouvriers et les employés de celle-ci restent complètement en marge.
Mais cet état de choses n’est pas démocratique, et il est à peine opportun en pensant aux intérêts qui doivent être défendus dans ce cas. Mais puisque toute forme de cogestion ouvrière certainement influencerait la position de la TGO de façon que celle-ci se retirerait et accepterait le rachat de ses actions, il ne vaut pas la peine de discuter cette question. Au cas d’une nouvelle convention sur une collaboration future entre l’État et la TGO, les ouvriers et les employés de la LKAB devront reprendre eux-mêmes la question d’une autre forme de démocratie au sein de l’entreprise.
Mais au cas où l’État procède au rachat des actions de la TGO ― ce qui est probable ― il se trouvera devant la nécessité d’organiser une nouvelle administration propre ou de chercher d’autres intéressés ou collaborateurs que la TGO, et pour ce cas nous voulons présenter certains points de vue ou formuler quelques demandes.
Quelques-uns des motifs principaux qui ont contribué à la proposition du gouvernement et à la décision du riksdag de racheter les actions de la TGO, peuvent être résumés de la façon suivante : 1. On était de l’opinion que des matières premières de cette importance doivent être contrôlées par la communauté. Cette idée a déjà une vieille tradition, et il est probable que la possibilité d’une exploitation future de l’énergie atomique lui a donné une nouvelle actualité. 2. Puisque le minerai disponible diminuera à l’avenir, on voudrait créer des conditions de sûreté sociale pour les mineurs du Nord et toute la population de la région minière.
La possibilité d’augmenter les revenus de l’État par l’exploitation des mines a aussi joué son rôle pour cette décision. La commission d’enquête a désigné le plan de rachat comme « une bonne affaire du point de vue économique ». Mais puisque le rachat monterait à plus d’un milliard de couronnes et en vue du fait que le Gouvernement paraît être prêt à laisser la TGO garder sa position économique dans l’entreprise de la LKAB, sous certaines conditions, on peut à peine supposer que le motif d’un profit économique direct pour l’État ait été un des motifs principaux pour la décision en faveur du rachat.
Après ce rapport concentré sur les faits essentiels qui ont joué leur rôle pour la décision du rachat et l’organisation d’une administration miniers de l’État, il nous semble nécessaire de citer aussi certaines parties de la critique qui a été présentée comme contre la proposition et la décision prise, dans une série de déclarations demandées par l’État à différentes organisations intéressées ou d’autre façon. La TGO elle-même a renoncé à se prononcer directement en faveur ou contre le rachat, d’une façon officielle. Mais en réalité la TGO, tous les propriétaires d’actions directement intéressés, et tous les autres qui défendent le principe de la propriété privée et de l’entreprise libre, ont combattu énergiquement l’idée du rachat par l’État. Cette critique doit peut-être être considérée d’un point de vue spécial parce qu’elle émane d’éléments privés directement intéressés à l’entreprise dont les actions doivent être rachetées, ou d’une doctrine politique qui a démontré beaucoup de fois qu’elle tend à s’opposer aux intérêts de la communauté, au moins au sens que ces intérêts sont interprétés par des grands groupes de citoyens. Mais dans la mesure que la critique, aussi de ce côté, ait exprimé l’idée que la croissance du pouvoir de l’État pourrait devenir dangereux pour les intérêts populaires il serait convénient de lui prêter attention.
Dans un certain degré, les hésitations exprimées par les catégories que nous venons de citer sont identiques à celles qui ont été prononcées par les mineurs et d’autres personnes qui ne partagent pas les intérêts économiques de la compagnie et qui n’ont pas de raisons de principe pour défendre la forme de l’entreprise privée.
La déclaration du syndicat des mineurs est la plus intéressante et la plus importante à ce sujet. Le comité directeur presque unanime de cette organisation, appuyé par les militants actifs et dirigeants dans toutes les sections, ont manifesté que la constitution d’une administration minière par l’État ne peut pas favoriser les intérêts des ouvriers.
En partant de cette déclaration du syndicat des mineurs, on peut constater que la constitution d’une administration d’État pour les mines sera vue avec des sentiments sceptiques et des doutes de la part des mineurs eux-mêmes. Des conversations que nous avons menées avec beaucoup de mineurs, nous ont confirmés dans cette opinion. Nous pouvons ajouter que la tendance syndicaliste libertaire relativement forte chez les mineurs, s’identifie avec le syndicat des mineurs dans la question du refus d’une administration des mines par l’État.
Toute la critique contre le projet de rachat que nous venons de citer peut être résumée en disant que les ouvriers mineurs plus directement intéressés, pour des raisons compréhensibles et pratiques, maintiennent une attitude négative quant à l’administration des mines par l’État, et que des hésitations assez générales se manifestent chez le public dans tous le pays qui craint que le contrôle de l’État sur des ressources productives tellement importantes peut résulter dans une menace contre certaines valeurs de liberté de grande transcendance sociale.
Mais pour arriver à une interprétation aussi objective que possible de la situation réelle il faut comprendre que la méfiance contre l’intervention de l’État non seulement chez les mineurs mais aussi dans le reste de la population en tant que ces personnes ne possèdent pas d’intérêts privés dans la TGO ou sont des partisans de cette forme d’entreprise par principe, se dirige contre l’administration des mines par l’État dans un degré beaucoup plus haut que contre la décision que l’État doit devenir le propriétaire des gisements de minerai.
En réalité il s’agit donc de deux questions, le droit de la propriété et la forme d’entreprise, qui ont été traités comme un seul problème jusqu’à maintenant. On a considéré comme naturel que la possession des mines par l’État résulterait aussi une administration de celles-ci par l’État. Mais il serait juste de faire une distinction claire pour créer la possibilité de faire un choix non seulement entre une collaboration continuée avec la TGO et le rachat par l’État combiné avec une administration de l’État par lui-même, mais aussi entre l’alternative mentionnée d’une part et une autre solution où le minerai serait possédé par l’État mais l’administration de l’exploitation serait plus libre que l’administration de l’État et plus démocratique que celle de la LKAB d’autre part. Si l’on procédait de cette façon en organisant une administration coopérative contrôlée par les ouvriers et les employés, le rachat serait certainement salué avec sympathie et satisfaction de la part de beaucoup de citoyens qui les considèrent aujourd’hui avec grande hésitation.
C’est en pensant à cette situation des choses que nous voulons présenter quelques considérations et demandes qui n’ont pas été tenues compte dans la discussion de cette affaire, jusqu’à maintenant.
S’il était possible de faire abstraction des risques sérieux qui selon notre opinion doivent être acceptés avec l’organisation d’une administration des mines par l’État, on pourrait reconnaître que cette forme d’administration aurait pu satisfaire les nécessités qui étaient décisives pour la décision sur le rachat des actions de la TGO. Nous ne voulons pas discuter cette question mais nous constatons que ces intérêts peuvent être protégés d’une façon beaucoup plus efficace et sans tout risque en constituant une administration autonome sur les bases de la coopération des producteurs après la prise de possession des mines par l’État.
L’idée de cette forme d’exploitation peut seulement être ébauchée d’une façon très générale, dans ce mémoire, pour faciliter une appréciation des lignes générales du problème. Supposons que les mines du Nord entrent en possession de l’État et qu’elles soient arrentées après, sur une base commerciale, à une entreprise coopérative qui serait formée par tous les ouvriers et employés qui travaillent aux mines. Dans la direction de cette entreprise qui serait surtout élue par les membres de la coopérative, c’est-à-dire par les ouvriers et employés associés, il serait aussi possible de donner une certaine représentation à l’État et aux communes directement intéressées, mais sous des conditions qui ne donneraient pas la majorité au sein de la direction à ces deux représentations. Nous supposons aussi que cette entreprise coopérative accepterait sans changement l’appareil administratif local et tout le personnel. Nous admettons aussi que la nouvelle entreprise maintiendrait en général les relations actuelles entre les ouvriers et les employés dans la distribution des revenus, au moins quant au paiement des salaires courants. Certainement on ne pourrait pas admettre des salaires excessivement hauts pour quelques directeurs ou autres chefs au sein de l’entreprise, mais on ne procéderait pas non plus à l’introduction d’un système de salaire égal pour tous qui impliquerait une rupture avec les habitudes et les idées aujourd’hui généralement acceptées.
Cependant, l’influence des associés sur l’activité de l’entreprise serait assurée à base du principe coopératif exprimé dans la formule : un homme ― une voix.
La différence la plus importante entre l’actuel état des choses et celui qui serait créé au sein de l’entreprise coopérative, consisterait dans le fait que les ouvriers et employés des mines se chargeraient des fonctions qui sont exercées aujourd’hui par les actionnaires de la LKAB : c’est-à-dire ils nommeraient la direction et détermineraient sur le bénéfice de celle-ci. Le problème du bénéfice serait de grand intérêt, puisque l’exploitation des mines du Nord, non sans motif, est considérée comme une affaire assez bonne. Nous voulons seulement déclarer qu’il sera très naturel de prendre en considération les intérêts de la communauté, en général. Il n’est pas nécessaire de parler des impôts dictés par l’État qui seront les mêmes pour tout le monde. L’État pourrait aussi satisfaire ses exigences économiques au moyen des conditions d’arrentement qui pourraient être fixées pour des périodes relativement courtes. Dans ces circonstances, le droit des associés de déterminer sur les bénéfices d’une entreprise coopérative populaire de cette importance se limiterait au fait que le niveau de revenus des ouvriers et employés dépendrait de leur prestation commune. Dans le cas d’une évolution favorable il serait aussi possible que la science et les activités culturelles populaires reçoivent des subventions plus généreuses que d’habitude de la part des entreprises privées. Notre plan ne vise donc point à créer « un groupe de capitalistes » au sein de la classe ouvrière.
Le principe que la communauté comme telle doit contrôler des richesses naturelles comme les mines du Nord, est pleinement satisfait par un projet comme celui que nous venons d’ébaucher ; notre plan se base sur le fait que l’État doit posséder entièrement les gisements de minerai et qu’il conserve la possibilité de demander des garanties pour ses intérêts économiques dans l’exploitation de ces richesses.
Quant à l’autre motif principal pour l’intervention de l’État, c’est-à-dire de créer des garanties pour les intérêts sociaux actuels et futurs des mineurs et du reste de la population intéressée dans le sens de leur sûreté sociale, il est évident qu’aucune autre forme d’entreprise que celle où les mineurs eux-mêmes en collaboration avec l’État et les communes déterminent sur la gestion des affaires, peut garantir une satisfaction plus grande de ces nécessités.
Nous croyons avoir prouvé que les buts principaux que l’on tend à réaliser par la constitution d’une administration des mines par l’État et exploitation coopérative, les deux formes basées sur la possession des gisements de minerai par l’État, ont la même valeur s’il s’agit de satisfaire les nécessités que nous venons d’esquisse mais il faut encore examiner si la forme d’exploitation coopérative ne peut offrir des avantages économiques supérieurs parce qu’elle élimine une partie des risques qui caractérisent en général l’exploitation par l’État.
Quant aux résultats économiques, nous osons affirmer que l’exploitation coopérative au commencement de la nouvelle activité, et nous supposons que la coopérative qui engage les ouvriers et les employés d’une façon très intime et qui conserve en partie le motif du profit comme moteur d’activité et de productivité, sera la forme la plus efficace, du point de vue économique, aussi quand il s’agit d’assurer à l’État lui-même un certain revenu de cette exploitation.
Un problème spécial consiste dans la mise en fonds de l’administration coopérative au commencement de la nouvelle activité, et nous supposons que l’État dans cette situation, pourrait sans risque aider l’entreprise coopérative par moyen d’un emprunt correspondant. Il serait opportun de faire souscrire les ouvriers et employés des obligations. Cette méthode créerait des rapports plus intimes entre les mineurs et l’entreprise, mais dans une forme qui assurerait aussi le droit de chaque individu de se retirer de celle-ci.
Mais ce n’est pas la supériorité économique de l’entreprise coopérative que nous considérons comme l’avantage le plus important de cette forme d’administration. Nous pensons surtout que cette solution pourrait éviter les désavantages de l’administration par l’État ― qui consistent dans la création d’une bureaucratie dans chaque cas concret et dans un sens plus général dans l’élargissement du pouvoir absolu de l’État comme tel. En outre, nous pensons aussi aux avantages que l’on désigne, généralement, comme satisfaction personnelle dans le travail et liberté de l’individu ― il s’agit du problème le plus important pour la société moderne dont la solution pourrait être facilitée dans une large mesure.
Nous savons très bien et nous voulons le constater formellement, que la plupart des ouvriers et employés seuls ont l’intention de faire leur travail, de retirer leurs salaires et qu’ils ne veulent pas avoir autre chose à faire avec l’entreprise. Mais nous savons aussi qu’une entreprise efficace dans son activité quotidienne doit travailler plus ou moins de la même façon que la LKAB le fait aujourd’hui. La direction doit avoir ses droits et compétences et les spécialistes doivent exercer une fonction d’orientation dans chaque entreprise qui veut être efficace. Mais la possibilité de pouvoir élire la direction de l’entreprise de la même façon que les membres d’une organisation nomment leur comité et les citoyens d’un pays démocratique ont le droit d’élire leur gouvernement, serait un grand avantage pour les habitants du district minier du Nord. Les associés actifs de l’entreprise trouveraient une possibilité d’agir et toute l’évolution de l’entreprise recevrait un caractère plus social et plus satisfaisant d’un point de vue populaire.
La création d’une administration coopérative pour les mines du Nord pourrait devenir un point de départ pour une nouvelle évolution économique qui pourrait réduire les tensions sociales actuelles et devrait ouvrir la porte à la démocratie au sein de l’économie nationale en donnant aux grandes masses populaires une possibilité de former elles-mêmes en toute liberté les bases de leur existence.
En nous référant à notre exposé, nous invitons le Gouvernement de faire examiner, au cas d’un rachat des actions de la TGO dans la LKAB, la question de la constitution d’une administration coopérative minière d’accord avec les lignes générales ci-dessus ébauchées. L’examen du projet devrait être fini et une décision devrait être prise avant le rachat supposé vers la fin de 1957.
Grängesberg et Stockholm, le 29 août 1955.
Ce mémoire fut remis au ministre des finances, M. Sköld, par une commission dont les membres étaient Edvin Johansson et Anton Johansson comme représentants de la Fédération des mineurs et ouvriers métallurgistes de la SAC, Axel Lindberg, secrétaire général de la SAC et Evert Arvidson, directeur de Dagstidningen Arbetaren. Selon la déclaration du ministre, le mémoire sera mis à la disposition de la commission d’étude qui s’occupe de la question des mines. Plus tard, le mémoire fut encore envoyé à tous les députés du Riksdag le parlement suédois. Le document fut aussi imprimé dans une grande édition et diffusé dans tout le pays par les soins des fédérations locales de la SAC.