Combien peu se la représentent, aujourd’hui, telle qu’elle fut ? On s’en tire — ou on s’en débarrasse — trop souvent par cette attitude de « réaliste » que l’on croit être envers la « romantique que l’on imagine qu’elle fut. Le plus souvent, cette attitude est dictée par l’ignorance. Certes, malgré la répression et la haine, on trouvait encore, en ce temps, du désintéressement et de la bonté. Et chez elle, ces qualités, aujourd’hui dédaignées, prédominaient, mais elles n’étaient pas tout. Celui qui veut la connaître, qu’il ne lise pas seulement ses écrits, s’il les trouve, qui, à part ses « Mémoires », qui s’arrêtent d’ailleurs à 1885, et sa « Commune », ne lui donneront qu’une vue fragmentaire et incomplète de ses préoccupations, de son idéal et surtout de son action. Qu’il se penche plutôt sur sa vie et, s’il possède un cœur ardent et désintéressé, il y trouvera une Vie, une vraie, bien remplie et non une suite de jours, une Vie faite d’absolu, d’idéal, consacrée jusqu’à la mort même, à 70 ans, à la cause de notre Révolution. De l’enfant à l’éducatrice, de l’infirmière de la Commune à la combattante des barricades du désespoir, de l’orateur à l’écrivain, de la militante à la femme, il ne verra pas une seconde de cette existence qu’elle n’ait employée à une connaissance plus parfaite de soi-même, à un don total pour l’émancipation matérielle, intellectuelle et morale de l’homme.
Nous aurons prochainement l’occasion de revenir sur cette vie, de montrer l’actualité de son enseignement. Aujourd’hui, qu’il nous suffise, en ce quarantième anniversaire de sa mort, de rappeler son souvenir à ceux qui l’aiment, d’éveiller la curiosité de ceux qui l’ignorent ou la méconnaissent. Et d’évoquer aussi cette libertaire, cette anarchiste qui, par son courage comme par son abnégation, par ses souffrances comme par ses sacrifices, par sa bonté comme par son honnêteté survit, après quarante ans, aux juges qui la condamnèrent, aux ministres qui la gracièrent et dont elle refusa l’aumône dérisoire, et enfin aux lâches qui essayèrent de la salir.