La Presse Anarchiste

Aux hasards du chemin

Et les vaches seront bien gardées

On s’at­ten­dait natu­rel­le­ment aux actes les plus éner­giques de la part du gou­ver­ne­ment de libération. 

Il n’a d’ailleurs jamais caché son pro­gramme : « Vaincre et rele­ver les ruines. » 

Tout de même, ce qui fait plai­sir, c’est de voir qu’on y apporte un esprit vrai­ment nou­veau, presque révolutionnaire. 

On réqui­si­tionne ! Et, inno­va­tion, on fait appel aux com­pé­tences. Bravo ! 

C’est ain­si que, de 18 à 40 ans, les gars du bâti­ment seront mobilisés. 

Et, pour faire œuvre utile, bon Dieu ! Il s’a­git de reta­per la France. 

Pelle sur l’é­paule, en avant, arrrche ! Les ter­ras­siers seront à l’honneur. 

Et à la peine, aus­si, sans doute. Ils vont retrou­ver ces déli­cieux bara­que­ments Todt, han­ter les lits à quatre places et se retrem­per dans cette vie col­lec­tive, si saine et si gaie. 

Quant aux autres, les non-bâti­men­teux, le curé, le notaire, le ban­quier, ils n’au­ront qu’à res­ter chez eux. Qu’ils conti­nuent à bénir, à scri­bouiller et à pla­cer des mines décon­fites. Peut-être aura-t-on besoin d’eux pour l’emplacement du pres­by­tère, dres­ser des actes majo­rés et spé­cu­ler sur les maté­riaux, ça, c’est leur tra­vail, ils y seront utiles. Mais qu’ils n’en­combrent pas les chan­tiers pioche en main de leur petite bonne volon­té et de leur grande inexpérience. 

La recons­truc­tion, ça ne concerne que les gars du bâti­ment et les assi­mi­lables, bien sûr, les gens de la classe ouvrière. 

Cela, le gou­ver­ne­ment parait l’a­voir com­pris. Il a d’ailleurs consul­té les orga­ni­sa­tions patro­nales et ouvrières, qui s’y connaissent en syn­di­ca­lisme reconstructif. 

Allons, bon cou­rage, les gars ! Mais sur­tout n’é­le­vez pas de gratte-ciel, ça tient tel­le­ment de place quand ça tombe. La construc­tion de l’a­ve­nir, solide et durable, sera plu­tôt sous terre. 

Enfin, du moment qu’on com­prend que c’est le maçon qui doit tenir la truelle, on arri­ve­ra peut-être à décré­ter que la guerre est uni­que­ment affaire de mili­taires de métier, d’au­tant plus que le pres­tige de l’u­ni­forme sus­cite nombre de voca­tions et que nombre de filles d’Eve ont fière allure sous l’u­ni­forme. Mais ceci est une autre histoire.

Discours et statistique

À Lille, dans un dis­cours récent, M. Rama­dier, ministre du Ravi­taille­ment, a indi­qué qu’on ne pou­vait actuel­le­ment aug­men­ter la ration de pain, et de citer des chiffres : 

Récolte de blé en 1943 : 84 mil­lions de quin­taux ; en 1944 : 63 mil­lions de quin­taux, donc défi­ci­taire par rap­port à l’an­née précédente. 

Mais, pen­dant quatre ans, les résis­tants du micro nous disaient, avec rai­son d’ailleurs, que les nazis pre­naient 80 pour cent de la pro­duc­tion, et nous, les résis­tants de Paris, en savions quelque chose. Alors, puisque les armées alliées ne prennent rien, ce qui est encore très vrai, les nazis réus­sis­saient donc ce tour de force de nous don­ner la ration de pain que M. Rama­dier, avec 63 mil­lions, ne peut augmenter. 

Il y a du louche, il y a du louche dans les « yeux » du pain.

Résistance ouvrière

De Lyon, le 15 janvier :

Une mani­fes­ta­tion spon­ta­née s’est dérou­lée cet après-midi près de la Bourse du Tra­vail, concer­nant de nou­velles res­tric­tions d’électricité. 

Envi­ron 10.000 per­sonnes ont enva­hi la salle des spec­tacles de la Bourse pour écou­ter des ora­teurs impro­vi­sés qui vou­laient orga­ni­ser une véri­table marche sur la Préfecture. 

Une délé­ga­tion fut envoyée pour cher­cher le pré­fet, qui fut accueilli par les cris de « À man­ger ! » et « De la lumière ! ». 

Il par­vint à se faire écou­ter et apprit aux ouvriers qu’il avait déci­dé de sur­seoir pour qua­rante-huit heures à l’ap­pli­ca­tion ces res­tric­tions sur l’électricité.

De Lille, le 18 janvier :

Le manque de cer­tains pro­duits a pro­vo­qué des inci­dents dans la région de Valenciennes. 

C’est ain­si que 1.200 habi­tants de Denain ont enva­hi le car­reau des mines d’An­zin, où ils se sont empa­rés de 150 tonnes de charbon. 

550 ména­gères de la même loca­li­té ont ten­té de défon­cer les portes d’une raf­fi­ne­rie de sucre. 

À Lourches, tou­jours dans le Nord : Une cin­quan­taine de mani­fes­tants ont récla­mé du char­bon à la direc­tion de la mine, où l’in­gé­nieur a d’ailleurs fait pro­cé­der immé­dia­te­ment à une dis­tri­bu­tion de combustible. 

La popu­la­tion fran­çaise a accep­té de bonne grâce, parait-il, les nou­velles restrictions. 

Ces faits nous démontrent que les ouvriers de Lyon et du Nord ne sont pas de cet avis. Sont-ils les seuls, d’ailleurs ? 

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