La Presse Anarchiste

Croquemitaine

Hé là ! Homme ! Monsieur !

Hep ! Cama­rade ! Mon frère.

Je te fais peur ?

Ah je vois ! On t’a dit que j’é­tais anar­chiste ! On t’a fait le por­trait clas­sique, pro­ba­ble­ment ! La bombe ! Le cham­bar­de­ment ! La destruction !

Enfant !

Hé oui, enfant ! Tu sais, le petit gosse à qui on dit « Croquemitaine ! »

Tu ne sais donc pas encore que chaque fois que le gou­ver­nant, le ban­quier, le prêtre, le bour­geois, voit se dres­ser devant lui la Jus­tice et la Véri­té, vite il fait fabri­quer par son homme à tout faire : le jour­na­liste ou le pro­fes­seur, une image de cette Jus­tice et de cette Véri­té tel­le­ment laide, tel­le­ment méchante, que tu n’oses plus la regarder.

Oui, je suis anar­chiste, je suis libertaire.

Écoute ! Ne t’en vas pas ! C’est peu de chose que ce que je veux te dire : seule­ment ce que c’est qu’un libertaire.

Un liber­taire c’est un homme, un homme fait de chair et de sang exac­te­ment comme toi. C’est un petit homme, comme toi. Une femme l’a por­té dans son ventre pen­dant neuf mois. Elle a souf­fert pour le mettre au monde, exac­te­ment comme la femme dont le ventre t’a porté.

La seule dif­fé­rence qu’il y ait entre le liber­taire et l’homme du siècle, c’est que le coeur du liber­taire est peut-être un peu plus grand que celui de l’homme ordi­naire. Son esprit aus­si est un peu plus éle­vé, sim­ple­ment parce qu’il a réflé­chi à cer­taines choses plus pro­fon­dé­ment que d’autres.

Mais il n’y à là que qua­li­tés acquises, car on ne naît pas liber­taire. ON LE DEVIENT.

Le liber­taire, c’est l’homme qui croit de tout son coeur que l’in­di­vi­du a comme pre­mier droit : la Vie.

Il croit que tous les hommes ont ce même droit, et qu’ils sont tous égaux devant ce besoin : Vive.

Il a agran­di cer­tains mots sui­vant la mesure de son coeur et de son intel­li­gence : par exemple le mot Patrie repré­sente pour lui : la Terre des Hommes. Le mot Bon­heur, il le com­prend mieux que per­sonne, mais il l’é­tend à tous ses frères, et il pré­tend que l’homme ne peut pas être com­plè­te­ment heu­reux, si tous les hommes ne le sont pas.

Il est contre la Socié­té… TELLE QU’ELLE EST, parce que cette Socié­té n’a rien de social et que lui, il est SOCIAL.

Il est contre tous les gou­ver­ne­ments, sans excep­tion parce qu’il en a recon­nu l’i­nu­ti­li­té et la mal­fai­sance ; parce que le gou­ver­ne­ment (qu’il s’ap­pelle : Église, Royau­té, Répu­blique… ou de tout autre nom), n’est et ne peut être que le sou­tien d’une classe de pri­vi­lé­giés et le maître tout puis­sant de mil­liards d’es­claves qui tra­vaillent, meurent, et souffrent pour que les pri­vi­lé­giés ne tra­vaillent pas, vivent mieux, souffrent le moins pos­sible et s’enrichissent.

Alors, mon frère, tu dois com­prendre main­te­nant pour­quoi on t’a crié : « Croquemitaine ! »

Mais regarde-moi bien en face.

Est-ce que tu as encore peur ?

Alors, donne-moi la main.

Et main­te­nant, rentre chez toi et réfléchis.

Au revoir, cama­rade. A bientôt.

La Presse Anarchiste