Auparavant la C.G.T. anglaise avait opiné dans le même sens.
Ces deux décisions reflètent peut-être l’opinion des adhérents, mais certainement davantage celle des dirigeants.
Il est possible que ces derniers se soient prononcés en toute indépendance, que les hautes sphères du parti travailliste n’aient point partie liée avec leur gouvernement et que les visites des représentants des syndicats d’État russe n’aient eu aucun rapport avec les décisions de sir Walter Citrine et de son entourage.
On a quand même pris là une lourde responsabilité.
Parce que les gouvernements des pays vainqueurs pourront se servir de ce verdict de culpabilité et opprimer les classes laborieuses allemandes dans leurs conditions de paix, soit par étroitesse d’esprit, soit pour affirmer leur hégémonie politique et économique.
Par la suite, on aura bien du mal à rétablir des relations équitables entre classes ouvrières de différentes langues.
On a agi là comme si le peuple allemand était formé uniquement de scélérats, tous capables de mitrailler Asq ou Oradour, de persécuter les israélites, et dont la seule manifestation intellectuelle fût de s’écrier : « Hitler pense pour moi. » Qu’il y ait eu en Allemagne un fort parti de la guerre, nous n’en doutons pas ; mais ceci n’est peut-être pas particulier au seul Reich !
Que les dirigeants d’industrie lourde, qui forment la classe prépondérante, n’aient point hésité, ça se conçoit. Ils pouvaient s’appuyer naturellement sur les hobereaux et les Junkers propriétaires terriens et militaires, ultra-militaristes, nobles, figés de père en fils dans un nationalisme borné, s’estimant spoliés par la défaite de 1918 et appelant de tous leurs voeux la revanche.
Joignons‑y la classe moyenne à qui Hitler apparut comme un sauveur. Et ajoutons encore une bonne partie de la jeunesse, si malheureuse des suites de la première guerre mondiale. Cette jeunesse aux débouchés fermés, réduite au chômage et à qui des agitateurs véhéments expliquaient que tous ses malheurs venaient du traité de Versailles.
Il serait intéressant, mais, hélas ! impossible de faire encore la part de ceux qui dans ces classes ne souhaitaient pas la guerre, qui l’acceptaient seulement comme une chose inévitable, comme une calamité épisodique à laquelle ils ne croyaient point pouvoir se soustraire.
Responsabilité du prolétariat ?
Le prolétariat allemand, celui des villes et celui des champs, forme la classe la moins connue, la moins décrite et la plus nombreuse.
C’est lui certes qui a fabriqué les armes fratricides. Il a enduré sans murmure apparent les pires privations pour la préparation du conflit. Et au jour J il s’est précipité sans hésiter sur les objectifs de conquête assignés. Peut-être aurait-il pu agir autrement ? C’est ce que nous pourrons examiner quand la tourmente sera finie.
N’oublions pas toutefois que dès 1933 prisons et camps de concentration se développèrent à un rythme accéléré pour s’emplir d’opposants au nazisme, de syndicalistes, de pacifistes, de révolutionnaires, gens qui eussent réussi peut-être à former un contrepoids de paix.
On peut toujours relever deux faits typiques.
Le premier, c’est l’énorme organisation du mouchardage créée dans les usines par l’État nazi. Il prouve qu’on n’était pas tranquille en haut lieu sur le comportement des gens d’en bas, malgré la mise en lieu sûr des « meneurs ».
Le second, c’est Munich.
Les peuples ignorent encore ce qui s’est passé « exactement » à Munich lors de l’entrevue des quatre. Ils ont cru, hélas ! Qu’on y avait sauvé la paix. Et c’est pourquoi Chamberlain, Daladier, Mussolini et Hitler furent follement acclamés dans leurs pays respectifs et en Allemagne les masses étalaient une joie qui n’était point feinte.
C’est pourquoi nous estimons que Labour Party et C.G.T. Anglaise auraient dû d’abord faire une plus nette distinction entre gouvernants et gouvernés avant d’émettre une opinion catégorique.
Et attendre que sur la scène mondiale soient terminés le dernier acte et l’épilogue.