La Presse Anarchiste

Pensées, formes et sons

Sons…

Dans ce domaine où l’art se mani­feste de façons si capri­cieuses et si variées, il y aurait beau­coup à dire. Et on ne sait trop com­ment abor­der le sujet lorsque, ayant des goûts per­son­nels irré­duc­ti­ble­ment déter­mi­nés, on ne veut pas heur­ter ceux des autres, qui sont par­fois si dif­fé­rents, mais pas for­cé­ment plus mau­vais pour cela. 

Ceci dit, c’est donc en confor­mi­té des goûts qui sont les nôtres que nous allons cau­ser musique. Si nous avons, par la suite, des ennuis avec des lec­teurs qui ne seraient pas de notre avis, nous sau­rons nous expli­quer et nous défendre s’il le faut. (En regard des com­bats san­glants qui se livrent actuel­le­ment de par le monde, ce genre de contro­verse nous sera fort agréable.…) 

Mal­gré des dif­fi­cul­tés sans nombre, il semble que la vie musi­cale com­mence à reprendre ses droits, et nous voyons reve­nir les pro­grammes musi­caux copieux, ― ce qui ne suf­fit pas pour que nous nous décla­rions satisfaits. 

Si de grands com­po­si­teurs furent révo­lu­tion­naires dans leur art, le conser­va­tisme paraît bien fami­lier à cer­tains de ceux qui pré­sident à l’exé­cu­tion de leurs œuvres. C’est ain­si que M. Eugène Bigot, des Concerts Lamou­reux, tient encore la baguette bien que, de noto­rié­té publique, il ait la spé­cia­li­té de trans­for­mer en dor­toir la salle gar­nie du public le mieux intentionné. 

Cette illustre asso­cia­tion pré­sente inva­ria­ble­ment des pro­grammes com­po­sés de mor­ceaux assez connus et attrayants ; c’est très com­mer­cial et ça fait salle comble. Cepen­dant que, les mêmes mor­ceaux reve­nant trop sou­vent à l’af­fiche, finissent par être dépré­ciés au point de deve­nir des banalités. 

M. Charles Munch dirige tou­jours aus­si brillam­ment l’or­chestre de la Socié­té des Concerts du Conser­va­toire. C’est là, avec M. Paul Paray, des Concerts Colonne, les deux plus grands chefs d’or­chestre que nous ayons en France. 

Depuis que les nazis n’oc­cupent plus le ter­ri­toire, nous voyons repa­raître des noms d’au­teurs qui étaient inter­dits ou mis à l’in­dex durant l’oc­cu­pa­tion. C’est ain­si que nous enten­dons à nou­veau des œuvres de Dukas, Pro­ko­fieff, Rey­nal­do-Hahn, et nous en pas­sons. Par contre, pas de Wag­ner ni de Jean-Sébas­tien Bach. De ce maître de la musique alle­mande, dans ce qu’elle a de plus par­fait, on ne joue même pas les « Concer­tos brandebourgeois ». 

Aux Concerts Colonne, séance du 27 jan­vier, exé­cu­tion remar­quable du « Concer­to pour pia­no n°3 » de Bee­tho­ven. Le pia­niste fit montre d’une véri­table vir­tuo­si­té, tant par la per­fec­tion de son jeu, par sa par­faite com­pré­hen­sion de Bee­tho­ven que par la faci­li­té avec laquelle il exé­cu­ta. Il s’a­git là d’un membre de l’ar­mée américaine. 

Dans les numé­ros sui­vants nous revien­drons sur ces ques­tions. Et nous n’o­met­trons pas de cau­ser de musique de chambre, de scène, de charme ou même de jazz. 

…Formes, Notes picturales et mercantiles

L’ex­po­si­tion de vingt et une toiles du doua­nier Rous­seau au Musée d’Art Moderne, par le Front Natio­nal des Arts, est un évé­ne­ment impor­tant de l’ac­tua­li­té artis­tique. Mais pour­quoi diable n’a­voir pas le cou­rage, un mois après la dénon­cia­tion par Maxi­mi­lien Gau­thier de la pré­sence, par­mi les vingt et une toiles qui com­posent cette expo­si­tion de « faux » bien connus des ama­teurs, de décro­cher ces faux. Crainte de se déju­ger ? Mais ne voit-on pas, ce fai­sant, que l’on couvre les sales petites opé­ra­tions mer­can­tiles de mar­gou­lins qui « font » dans la pein­ture comme d’autres dans le mar­ché noir ou le com­merce d’armes, des for­tunes ? Union à tout prix, alors ? Si c’est cela… 

Chez Fabia­ni, ce pour­voyeur, par­mi tant d’autres, d’art fran­çais à l’é­tran­ger, Mme Edmond de Golea expose une remar­quable col­lec­tion d’im­pres­sion­nistes. Mais il faut, pour entrer dans cette cha­pelle, payer 20 francs qui seront ver­sés à la « Stage Door Canteen ». 

Fière et noble dame qui avez sans doute une for­tune hono­ra­ble­ment acquise et qui pro­fi­tez des loi­sirs qu’elle vous donne pour vous lan­cer dans la phi­lan­thro­pie, avez-vous pen­sé qu’il y a actuel­le­ment bien des étu­diants, employés, petites gens pour les­quels 20 francs sont une somme (oui, en 1945, au moment même où les der­nières places, pour le Gala de la 1ère armée fran­çaise, au Palais de Chaillot, sont à « 800 » francs) ? Et que cette fête des yeux, qu’est cette expo­si­tion pour­rait leur être ren­due acces­sible par une « phi­lan­thro­pie » bien com­prise, car, pour ce qui est d’ai­der finan­ciè­re­ment les armées anglo-amé­ri­caines, par­don­nez-nous, chère madame, mais c’est une bien curieuse idée…

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