La Presse Anarchiste

Quoi de neuf pour la jeunesse ?

Quelle a été l’at­ti­tude du gou­ver­ne­ment pro­vi­soire de la Répu­blique face au pro­blème de la jeu­nesse depuis la libé­ra­tion ? Quelle a été sa poli­tique, ses pro­jets et ses réa­li­sa­tions au point de vue social ? 

Reve­nons à l’oc­cu­pa­tion alle­mande, pour mieux com­prendre l’é­tat d’es­prit géné­ral des jeunes ; pen­dant quatre année ces jeunes, pour échap­per à la dépor­ta­tion et à la répres­sion nazies ont dû vivre dans l’illé­ga­li­té ; cer­tains sont ren­trés direc­te­ment dans celle de la Résis­tance, avec ses maquis, son « ter­ro­risme ». D’autres ont vécu une autre école de l’illé­ga­li­té, se cachant, se camou­flant en pro­vince ou dans les villes, étant obli­gés, pour vivre, de recou­rir à des expé­dients, des « com­bines », le mar­ché noir, et aus­si, dans cer­tains cas, au ban­di­tisme. Tout cela n’a guère contri­bué à don­ner (en géné­ral, s’en­tend) une mora­li­té des plus grandes aux jeunes, qui ont trou­vé par­fois, dans ces cir­cons­tances si tra­giques de la guerre, les moyens de satis­faire au goût équi­voque de l’es­prit d’a­ven­ture, héri­té de leur enfance. Satis­fac­tion de pen­chants qui a don­né de fâcheux résultats. 

Mais on ne peut, pour cela, les condam­ner ; toutes ces choses sont inhé­rentes au régime lui-même, régime de guerre, de fas­cisme ; mais il n’en reste pas moins qu’en manière de réac­tion à ce régime, la mora­li­té des jeunes se retrouve actuel­le­ment avec une « men­ta­li­té de guerre », un esprit guer­rier et chau­vin habi­le­ment exploi­tés. Vichy a vou­lu for­mer, façon­ner la jeu­nesse avec des méthodes cal­quées sur celle de l’Al­le­magne nazie. Son but n’a pas été atteint. 

Vichy a vécu, nous sommes à nou­veau en Répu­blique, la IVe. Un gou­ver­ne­ment pro­vi­soire est ins­tal­lé. Quel a été son pre­mier acte en faveur d’une poli­tique de la jeu­nesse ? Il a dis­sous les « Centres de jeu­nesse », les « Équipes natio­nales », tous les grou­pe­ments de jeunes d’es­sence vichys­soise et hit­lé­rienne, redon­né la léga­li­té aux mou­ve­ments de jeunes d’a­vant 1940 et éla­bo­ré des pro­jets pour l’é­du­ca­tion pro­fes­sion­nelle, les loi­sirs, etc. 

Rup­ture avec le pas­sé, avec tout ce qui était issu d’une poli­tique de quatre années d’oc­cu­pa­tion ? Non, pas tout à fait. Dis­so­lu­tion des « Centres de jeu­nesse », des « Équipes natio­nales », il serait plus juste, plus réel de dire « modi­fi­ca­tion ». En effet, les « Centres de jeu­nesse » vont être conser­vés dans leur prin­cipe ; ils dépendent direc­te­ment du gou­ver­ne­ment, les comi­tés de ges­tion dis­pa­raissent, et ces centres ne s’oc­cu­pe­ront plus désor­mais que de for­ma­tion professionnelle. 

Quelle conclu­sion tirer de des faits ? C’est que tout cela n’a rien d’une révo­lu­tion, mais n’est que sub­sti­tu­tion, et, à la place d’une poli­tique, on en met une autre. Une nou­velle mys­tique s’ins­talle sur les sou­ve­nirs de l’an­cienne. Les pho­tos du Maré­chal sont recou­vertes pour de nou­velles, d’autres « mar­chands de soupe », par­fois les mêmes, prennent les fau­teuils des dis­gra­ciés, et l’on repart pour des buts et à l’aide de moyens qui ont un petit air de famille avec ceux de Vichy. Quant aux résul­tats, attendons. 

Lors de l’oc­cu­pa­tion, la « jeu­nesse résis­tante » avait fait son uni­té au sein des Forces unies de la jeu­nesse patrio­tique (F.U.J.P.), qui unis­saient l’U­nion patrio­tique des orga­ni­sa­tions de la jeu­nesse (U.P.O.J.), orga­nisme offi­ciel au sein du Gou­ver­ne­ment provisoire. 

Que repré­sente-t-il ? Un agglo­mé­rat d’or­ga­ni­sa­tions telles que : les Jeu­nesses com­mu­nistes, les Jeu­nesses socia­listes, les Jeunes de l’O.C.M., les Jeunes pro­tes­tants patriotes, les Jeunes chré­tiens com­bat­tant, etc. Mou­ve­ment, comme on le voit, très hété­ro­gène, com­po­sé d’élé­ments sociaux très dif­fé­rents, de ten­dances poli­tiques, phi­lo­so­phiques et reli­gieuses plus ou moins opposées. 

Quant au pro­gramme, rien de bien consis­tant : reven­di­ca­tion à la vie poli­tique des jeunes par le droit de vote à 18 ans ; orga­ni­sa­tion d’un appren­tis­sage pro­fes­sion­nel, orga­ni­sa­tion des loi­sirs, etc. Le tout sur des bases très incom­plètes et sans précision. 

Bien qu’or­ga­nisme offi­ciel, son influence, au sein du gou­ver­ne­ment, est pour ain­si dire nulle, au même titre que les orga­nismes adultes de la Résis­tance, qui se sont vu, petit à petit, reti­rer de la scène gou­ver­ne­men­tale leur rôle actif du début de la libé­ra­tion ; c’est main­te­nant la réac­tion et les Trusts qui font loi. 

Un accord vient d’être signé entre l’URSS et la France ; la consé­quence pre­mière en est la mobi­li­sa­tion de trois jeunes classes (pour com­men­cer) qui doivent leur incor­po­ra­tion à la Rus­sie, et leur équi­pe­ment en armes et maté­riel aux États-Unis, qui ne veulent pas être en reste. 

Ces jeunes, dont l’in­cor­po­ra­tion est déjà com­men­cée, vont être ins­truits à une cadence très rapide et envoyés pour com­battre sur le front de l’Ouest, ou peut-être… en Indo­chine et en Extrême-Orient, l’en­ne­mi pre­mier à abattre étant l’Al­le­mand ou le Japonais. 

Ils vont se battre pour les inté­rêts de l’URSS et des États-Unis, qui, anta­go­nistes, veulent s’as­su­rer l’un ou l’autre la main­mise sur l’in­dus­trie et l’é­co­no­mie fran­çaises d’a­près-guerre ; c’est pour­quoi, en réponse à l’in­fluence russe pour la mobi­li­sa­tion fran­çaise, les États-Unis répondent par l’en­voi de maté­riel de guerre et bien­tôt de vivres ! 

Encore une fois, ce n’est pas la grosse indus­trie et les banques inter­na­tio­nales qui envoient les jeunes jouer les conqué­rants de la der­nière heure, mais elles ne trou­ve­raient pas d’autre moyen meilleur pour retrou­ver ou conser­ver leurs pro­fits et leurs privilèges. 

Cette mobi­li­sa­tion, elle est aus­si la pre­mière réa­li­sa­tion concrète que le gou­ver­ne­ment offre à la jeu­nesse ; elle est, encore et tou­jours, la guerre, alors que des tra­vaux de paix la sol­li­citent plus vive­ment encore ; elle est, peut-être, enfin, un acte pour une liber­té sans hit­lé­risme comme sans fas­cisme, — encore qu’il y aurait beau­coup à dire là-des­sus, — mais non pour une liber­té sans impé­ria­lisme et sans capitalisme. 

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