La Presse Anarchiste

Réformes de structure ou institutions nouvelles ?

Vues générales

Ces mots volent de bouche en bouche, d’é­crit en écrit. Le fait qu’on les pro­nonce est signi­fi­ca­tif à plus d’un égard. 

Tout d’a­bord, cela indique une période cru­ciale. Mais se qui me plaît le plus, c’est le sens pro­fond de pareilles inquiétudes. 

Le fait qu’on soit obli­gé de faire cam­pagne pour de tels mots d’ordre implique, « a prio­ri », une condam­na­tion du régime qui, par le jeu interne de ses ins­ti­tu­tions, est inca­pable de s’a­dap­ter de lui-même et sans contrainte venant de l’extérieur. 

Une autre idée qui se dégage main­te­nant, idée encore confuse et incons­ciente pour beau­coup, c’est un renie­ment, un aban­don ou, pour le moins, un manque de confiance dans le pou­voir poli­tique dont le peuple dit sou­ve­rain est cen­sé dis­po­ser. On se rend compte de plus en plus que le droit de vote ne peut résoudre toutes les ques­tions, qu’à ce pou­voir doit s’en adjoindre un autre, pure­ment éco­no­mique celui-là, et dont, pour beau­coup, l’exemple le plus frap­pant est l’u­sage de ce pou­voir en juin 1936. 

Demain, les yeux s’ou­vri­ront. Demain, on s’a­per­ce­vra que le pou­voir poli­tique résul­tant du suf­frage uni­ver­sel était un leurre. Demain enfin, il ne sub­sis­te­ra qu’un pou­voir, l’é­co­no­mique, qui condi­tionne toutes les liber­tés. Celui-là seul est libre qui est cer­tain de man­ger à sa faim. 

Bien sûr, la révo­lu­tion est lente dans ce sens, mais elle n’en existe pas moins. Et elle pose­ra demain le pro­blème des institutions.

Les Institutions ne sont pas éternelles

Tout d’a­bord, par­lons du cadre dans lequel pour­rait se pro­duire l’une ou l’autre des expé­riences. Tous ceux qui écrivent actuel­le­ment sur ces ques­tions n’en­vi­sagent que l’É­tat, tel que nous le connais­sons actuel­le­ment, tel qu’il fonc­tionne depuis quelques siècles. Ils n’i­ma­ginent pas, même dans leurs pro­jets les plus miri­fiques, les plus fouillés, que les socié­tés, que les civi­li­sa­tions modernes puissent être régies et gou­ver­nées par d’autres lois, d’autres règles que celles que nous connais­sons. C’est humain, il est dif­fi­cile de sor­tir du cadre de son époque. 

Et, pour­tant, qu’est une vie, une géné­ra­tion, au regard des mil­liers de siècles que nous avons der­rière nous, que nous avons peut-être devant nous ? Pous­sière ! Les ins­ti­tu­tions ne sont pas per­pé­tuelles et sont fonc­tion de mul­tiples aspects du pro­blème : milieu géo­gra­phique, races humaines, évo­lu­tion des sciences, etc. Si le milieu géo­gra­phique et géo­lo­gique se modi­fie len­te­ment, il n’en va pas de même des sciences et des techniques. 

En 1900, après des mil­liers de siècles, l’homme, en moyenne, déployait une force égale à 2.000 calo­ries. Actuel­le­ment, il déploie une force égale à 16.000 calo­ries. Ain­si, en l’es­pace de qua­rante ans. il a vu sa force mul­ti­pliée par 8 par l’ap­port du machinisme. 

Il n’est pas dou­teux que des faits de ce genre pro­voquent des chan­ge­ments dans les méthodes de vie, de com­por­te­ment, d’ad­mi­nis­tra­tion, chan­ge­ments peu sen­sibles aux vœux des contem­po­rains qui « vivent » ces faits, mais qui appa­raî­tront clai­re­ment aux yeux des his­to­riens et des socio­logues d’i­ci cent années, par exemple. 

Ver­rons-nous des Conseils éco­no­miques, com­po­sés de l’en­semble des actuelles Fédé­ra­tions syn­di­cales, ain­si que des divers orga­nismes de consom­ma­teurs, ver­rons-nous, dis-je, ces conseils éco­no­miques rem­pla­cer les actuels Par­le­ments poli­tiques défaillants C’est fort pos­sible. L’i­dée n’est pas neuve, certes, mais elle conserve toute sa valeur de régé­né­ra­tion pour la société. 

Nous avons connu le régime éco­no­mique escla­va­giste, puis le régime féo­dal, bri­sé lui-même par la concen­tra­tion du capi­ta­lisme et l’ap­port du machi­nisme nais­sant. Le cadre de l’en­tre­prise d’a­lors ne pou­vait per­mettre de grandes choses. Quan­ti­tés de lois, décrets, ordon­nances, cou­tumes même enser­raient de mille liens le régime pro­duc­tif d’a­lors. Aus­si, on s’é­tonne moins, après ces quelques réflexions, que la Révo­lu­tion de 1789 fut aus­si bour­geoise dans ses résul­tats « effec­tifs ». Le régime capi­ta­liste était né. La loi de la jungle allait deve­nir la loi des hommes. 

Je m’ex­cuse de ce déve­lop­pe­ment, mais je vou­lais mon­trer que le régime éco­no­mique que nous subis­sons est rela­ti­ve­ment récent et aura duré beau­coup moins que ses devanciers. 

Mais je ne suis pas de ceux qui pensent qu’il va mou­rir de sa belle mort. Oui, tel que nous l’a­vons connu, régime de libre concur­rence, il est terminé. 

Mais il s’a­dapte ; cette libre concur­rence, tant prô­née comme sal­va­trice de tous nos maux, n’est plus qu’un mythe, et cela dès avant la crise éco­no­mique qui accen­tua le mou­ve­ment. Écra­se­ment des plus faibles, entente des plus forts entre eux, voi­là quel était le régime que nous connais­sions. En période de pros­pé­ri­té, tout allait bien ; mais vienne la crise, et l’on implore l’aide du gou­ver­ne­ment, qui ne peut se dés­in­té­res­ser d’aus­si grosses entre­prises sous peine de voir à la rue des mil­lions de chômeurs. 

M. Spi­nasse, qui s’in­té­res­sait fort au « petit com­merce » en 1936 – 37, dis­tri­bua, comme ministre, aux « petits bou­ti­quiers » sui­vants : Maga­sins du Louvre, 8 mil­lions ; Dufayel, 4 mil­lions ; Hôtel de Ville (Bazar), 3 mil­lions ; Petits-fils de Wen­del, 25 mil­lions ; de Wen­del (Nan­cy), 4 mil­lions ; Acié­ries de Rom­bas, 6 mil­lions ; Acié­ries de Longwy, 11 mil­lions ; Acié­ries de Jeu­mont, 5 mil­lions ; Acié­ries de Pom­pey, 4 mil­lions. Et j’en laisse !

Régime féodal

Oui, le capi­ta­lisme s’a­dapte, et il revient sous une forme plus vaste, à ses débuts : la féodalité.

Le mal­thu­sia­nisme, qui est un crime pour les juristes, est deve­nu la pra­tique cou­rante de nos éco­no­mistes. Ceux-ci ont com­men­cé par enser­rer la pro­duc­tion dans des liens étroits, des chaînes mul­tiples et solides. 

Nous pas­se­rons rapi­de­ment réduc­tion des embla­vures de blé ; réduc­tion des super­fi­cies du vignoble ; agran­dis­se­ment des mailles des filets de pêche ; plan Ste­ven­son pour la réduc­tion des cultures en hévéas (caou­tchouc).

Comme cela ne suf­fi­sait pas encore, comme les stocks s’en­flaient néan­moins, il ne leur res­tait qu’une solu­tion : le mal­thu­sia­nisme éco­no­mique, bap­ti­sé, pour la cir­cons­tance, et pom­peu­se­ment : assai­nis­se­ment des marchés. 

Oui, nous retrou­vons là, à une échelle plus vaste évi­dem­ment, le carac­tère pro­fond de l’é­co­no­mie féo­dale : contrainte, sta­bi­li­sa­tion de la pro­duc­tion à tout prix pour main­te­nir une norme de pro­fits convenable. 

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