La Presse Anarchiste

Mourir tranquille

Nous extrayons de la Pioche et la Tru­elle les lignes qui suiv­ent, l’abon­dance des matières ne nous ayant pas per­mis de citer l’ar­ti­cle tout entier pub­lié sous le même titre :

Voici un catholique sur son lit de mort : c’est un homme qui a été rel­a­tive­ment pieux ; il s’est acquit­té régulière­ment de ses devoirs religieux ; il a même pu être pro­posé en exem­ple pour ses qual­ités très réelles. Il est inqui­et au moment de com­para­ître devant Dieu. Est-ce le ciel, est-ce l’en­fer, est-ce le pur­ga­toire qui l’at­tend ? Il n’est pas ras­suré. Il appelle son curé :

– Mon père, lui dit-il avec anx­iété, dans quelques instants je serai appelé au tri­bunal de Dieu : me recevra-t-il au ciel ?

– Je l’e­spère, répond le prêtre.

Mais l’e­spérance ne suf­fit pas au mourant : il voudrait une assur­ance formelle ; il insiste.

– Ai-je assez fait pour aller au ciel ?

– La mis­éri­corde de Dieu est insond­able et il ne peut man­quer de faire grâce à un de ses meilleurs serviteurs.

– Alors, je suis sûr d’aller au Ciel ?

Le prêtre se trou­ble, il reste silen­cieux, la solen­nité de la ques­tion répétée avec une angoisse crois­sante arrête sur ses lèvres les con­so­la­tions banales.

Le mourant a le sen­ti­ment qu’on ne peut lui don­ner la moin­dre assur­ance : il pousse un soupir douloureux, et laisse retomber lour­de­ment sa tête sur son oreiller ; son vis­age con­tracte exprime un vio­lent débat intérieur. Il se tourne vers le prêtre :

– Et vous, Mon­sieur le curé, dit-il enfin, êtes-vous sûr d’aller au ciel ?

– Je ne suis qu’un pau­vre pécheur comme vous et, comme vous, je m’en rap­porte à la grâce de Dieu…

– Qui donc est sûr d’aller au paradis ?

– L’ab­solue cer­ti­tude serait un acte de présomption…

– Alors, où vais-je aller ? Au pur­ga­toire ? Le prêtre ne répond pas..

– N’ai-je pas reçu l’ab­so­lu­tion de mes péchés ?

– Si.

– Alors votre abso­lu­tion ne m’a pas absous ?

Le prêtre ne sait que dire. 

– Com­bi­en de temps resterai-je dans le purgatoire ?

Même silence.

– Dix ans, vingt ans, mille ans ?

– On ne peut pas savoir, bal­bu­tie le prêtre.

– Je vous ai lais­sé toute une for­tune pour me dire des mess­es. Est-elle suffisante ?

Nou­veau silence.

– Faut-il don­ner le dou­ble, le triple ? Dites. Je suis prêt à tous les sac­ri­fices, mais fix­ez un délai au nom du salut de mon âme !

Com­ment le prêtre pour­rait-il le ren­seign­er, puisqu’il l’ignore ?…
Le mori­bond s’éteint, incon­solé ― et le prêtre s’en va, trou­blé lui-même, en voy­ant se pos­er devant lui d’une manière si trag­ique des prob­lèmes qu’il na jamais osé abor­der et devant lesquels sa théolo­gie le laisse dans les ténèbres.

― O ―

Je me rap­pelle encore avec quelle stupé­fac­tion j’ap­pris dans ma jeunesse que le pape Pie IX en mourant, avait com­mandé des prières dans toutes les églis­es de la chré­tien­té et lais­sé des sommes fab­uleuses pour des ser­vices per­pétuels.— Voilà donc me dis­ais-je, l’as­sur­ance d’un pape ! Le vicaire de Jésus-Christ, celui qui a le pou­voir de lier et de déli­er ! Il a besoin de mess­es per­pétuelles pour assur­er le repos de son âme !!! Mais alors, quelle espérance reste-t-il aux sim­ples fidèles ?

… … … … … … … … … … … …

Grâce à Dieu, la reli­gion de l’É­vangile est autrement con­solante. « Celui qui croit au Fils a la vie éter­nelle ». Si pau­vre que tu sois, et quand même tu te croirais le plus grand des pêcheurs — surtout si tu te crois le plus grand des pêcheurs ― Dieu te fait grâce au nom du Seigneur Jésus ; et ce ciel qui est trop splen­dide pour que tu le con­quières par toi-même il te le donne gra­tu­ite­ment. Meurs en paix, mon frère, les yeux fixés sur la croix où tes péchés ont été expiés par le sang du Sauveur… « Christ est ma vie et la mort m’est un gain, dis­ait Saint Paul… La couronne de jus­tice m’est réservée… Je sais en qui j’ai cru. »
Samuel Vincent 


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