La Presse Anarchiste

Notre programme

I

Chré­tiens et pro­lé­taires, nous avons sou­vent déplo­ré l’ab­sence d’un jour­nal de pro­pa­gande popu­laire, qui, tout en pro­cla­mant nos convic­tions, fit une part équi­table à nos reven­di­ca­tions et à nos aspi­ra­tions, sans les sépa­rer de nos espé­rances, de notre foi et de notre ardent désir d’y ame­ner les autres.

C’est cette lacune que l’Ère Nou­velle essaie­ra de com­bler, rédi­gée qu’elle est en dehors de toute pré­oc­cu­pa­tion ecclé­sias­tique ou politique.

Chré­tiens d’a­vant-garde, dis­ciples de celui qui n’eût pas un lieu où repo­ser sa tête, nous croyons en l’É­van­gile qu’il vint appor­ter à l’hu­ma­ni­té, non point en un Évan­gile tron­qué, défi­gu­ré, amoin­dri par les com­pro­mis­sions avec les puis­sances de ce monde ou les dog­ma­tiques des Facul­tés, mais en un Évan­gile abso­lu, com­plet, inté­gral, l’É­van­gile spi­ri­tuel, moral et social, l’É­van­gile du Salut, de la Pure­té et de la Jus­tice ; bloc indi­vi­sible, tout inséparable.

C’est cet Évan­gile inté­gral que l’Ère Nou­velle s’ef­for­ce­ra d’an­non­cer à ses lecteurs.

II

Nous sommes de ceux qui attendent impa­tiem­ment la Terre Nou­velle dont parle l’É­van­gile. Terre nou­velle, socié­té future, où habi­te­ra la jus­tice, où il n’y aura plus ni dou­leurs, ni larmes, ni deuil[[II. Pierre 3/​3.]], car toutes les choses du pas­sé auront disparu[[Apocalypse 2/​4]].

D’où il découle que cette Socié­té future dif­fé­re­ra tota­le­ment de celle où nous vivons actuel­le­ment, terre de souf­france où règne, hélas, en maître, l’in­jus­tice ; où abondent dou­leurs, deuils et larmes

Ce monde béni ne connaî­tra donc point :

  1. L’ex­ploi­ta­tion de l’homme par l’homme, quelque forme qu’elle revête.
  2. Le pau­pé­risme, quelque pré­texte qu’on invoque pour légi­ti­mer son existence
  3. L’aumône, de quelque nom qu’on la décore.
  4. La guerre ou l’ho­mi­cide léga­le­ment organisé.
  5. Un petit nombre d’hommes ayant tout le confort dési­rable : appar­te­ments spa­cieux, bien aérés, magni­fi­que­ment meu­blés, vête­ments en abon­dance, nour­ri­ture copieuse, saine, bien cuite, tan­dis que la mul­ti­tude, mal vêtue, s’en­tasse en d’é­troits loge­ments mal­sains, pri­vés d’air, mange peu et se nour­rit sou­vent de mets avariés.
  6. Une mino­ri­té, pos­sé­dant ou gagnant de grosses sommes, se trou­vant de ce fait à l’a­bri du besoin et fai­sant le plus sou­vent éta­lage d’un luxe inso­lent, tan­dis que la majo­ri­té, végète, gagne péni­ble­ment sa sub­sis­tance, à la mer­ci qu’elle est des caprices, du chô­mage et du capital.
  7. Les ins­tru­ments de la pro­duc­tion aux mains d’un petit nombre de ban­dits, tan­dis que la majo­ri­té, sans laquelle leur valeur ou leur uti­li­té serait nulle, doit, dans l’é­co­no­mie actuelle, renon­cer à tout espoir de les voir deve­nir siens.
  8. Le clé­ri­ca­lisme, autre­ment dit l’es­prit d’in­to­lé­rance, d’op­pres­sion et de fana­tisme superstitieux.

Aucun chré­tien digne de ce nom ne pour­rait sérieu­se­ment sou­te­nir que des ini­qui­tés de ce genre, et mille autres sem­blables sub­sis­te­ront dans la Terre Nou­velle, la Socié­té future. Sinon, ce serait la dou­leur, les pleurs, le deuil. L’É­van­gile tout entier, dans son Esprit, s’é­lève contre le main­tien des ini­qui­tés sociales dans une huma­ni­té régé­né­rée. Voyez l’or­ga­ni­sa­tion com­mu­niste qui sui­vit immé­dia­te­ment la for­ma­tion de la pre­mière Église chré­tienne à Jéru­sa­lem, dix-huit cents ans avant Babœuf, Cabet, Prou­dhon, etc. Si cette ten­ta­tive ini­tiale a échoué, nous ne trou­vons nulle part qu’elle soit condam­née. En dehors d’elle, n’a­vons-nous pas le dis­cours du Christ, sur la mon­tagne, l’É­pître de St Jacques, cent autres ver­sets pro­bants. Enfin, l’é­man­ci­pa­tion inté­grale de l’hu­ma­ni­té n’est-elle pas conte­nue dans cette ordon­nance type, fon­de­ment de toute vraie Socié­té : Tu aime­ras ton pro­chain comme toi-même.

Voi­là pour l’Évan­gile social, telle que nous l’en­vi­sa­ge­rons dans les colonnes de l’Ère Nou­velle ; nous ten­dons donc une main fra­ter­nelle à ceux qui, mus par d’autres mobiles que les nôtres, pour­suivent, néan­moins, l’é­man­ci­pa­tion de l’hu­ma­ni­té, per­sua­dés, en effet, que plus le sen­ti­ment de la jus­tice et de la soli­da­ri­té péné­tre­ra les couches pro­fondes de la popu­la­tion, plus le règne de l’É­qui­té et de l’A­mour s’ap­pro­che­ra rapi­de­ment ; ne nous appar­tient-il pas, en effet, à nous, dis­ciples du Christ, de hâter[[II. Pierre 3/​12]] la venue de ce jour-là.

III

Le côté social de l’É­van­gile ne nous lais­se­ra pas négli­ger son côté moral. Jamais, des hommes impurs, ou joueurs, ou immo­raux, ou ivrognes, ne sau­raient pré­tendre à une éman­ci­pa­tion quel­conque. Ne sont-ils pas les esclaves de la pas­sion qui les domine : la bou­teille, les cartes, la débauche, la pipe peut-être. Ils sont prêts à tout leur sacri­fier et ils parlent de réformes sociales !

Donc, parce que nous aimons notre pro­chain, parce que ce sont des fléaux sociaux, parce que l’É­van­gile les condamne[[Cor. 6/​9]], nous com­bat­tons : l’al­cool, l’im­mo­ra­li­té, l’im­pu­re­té, le jeu, en un mot tout ce qui dégrade et souille l’homme, tout ce qui flatte ses sens, ses mau­vais pen­chants au détri­ment de son esprit et de son corps.

IV

Notre tâche serait incom­plète si nous n’ac­cor­dions une place aus­si vaste au côté spi­ri­tuel de l’É­van­gile ; spi­ri­tuel, nous le répé­tons, car le tout, encore une fois, forme un bloc inat­ta­quable. Pas d’é­co­no­mie sociale sans éthique, sans bases sociales. Pas de morale sans bases spi­ri­tuelles. Nous croyons à l’exis­tence du mal, cause autant que résul­tat du misé­rable état social que nous subis­sons. Dis­ciples du Christ Rédemp­teur, du Socia­liste Par­fait, nous croyons qu’il a paru pour détruire, anni­hi­ler les causes et les résul­tats de ce Mal[[I. Jean 3/​8]]. En nous révé­lant le Salut per­son­nel, la Vie Éter­nelle, l’A­mour Vrai, le Christ Res­sus­ci­té nous a four­ni le moyen de vaincre l’É­goïsme et la Mort. 

V

L’Ère Nou­velle étant indé­pen­dante de toute secte, de toute église, de toute cote­rie, n’au­ra donc aucune rai­son de taire la véri­té. Ceux qui la rédigent sont des laïques, simples dis­ciples de l’É­van­gile qui s’ef­forcent d’i­mi­ter leur maître, le Cru­ci­fié du Calvaire.

Ce n’est pas sans une cer­taine conscience des dif­fi­cul­tés que nous lan­çons notre modeste feuille. Notre seule excuse est que nous la créons avec foi et avec bonne foi.

Ce sont nos uniques res­sources, y com­pris notre intense convic­tion que le mode d’é­van­gé­li­sa­tion laïque que défend l’Ère Nou­velle est le seul qui puisse atteindre effec­ti­ve­ment la foule. Cette foi, cette bonne foi, cette convic­tion, ne sont-elles pas déjà le gage du suc­cès ? Dieu fasse qu’elles contri­buent à la venue de cette ère nou­velle, après laquelle l’hu­ma­ni­té qui souffre, qui pense et qui hésite, sou­pire impa­tiem­ment et qu’elle appelle de tous ses vœux.

La rédac­tion

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