La Presse Anarchiste

Pour un anticléricalisme révolutionnaire

Fon­da­men­ta­le­ment, sur le plan éthique, l’a­nar­chisme de toute ten­dance est for­cé­ment a‑religieux et estime le phé­no­mène reli­gieux, un fléau pour l’homme dans son indi­vi­dua­li­té et dans son col­lec­tif. Adepte, avant tout du « libre exa­men », l’a­nar­chiste ne peut admettre aucune théo­rie posant au départ dogmes et pos­tu­lats. La reli­gion pose au départ une idée d’au­to­ri­té, donc de hié­rar­chie et fait accep­ter du même coup l’i­dée de l’i­né­ga­li­té sociale. Jules Lher­mi­na, dans son « A.B.C. du liber­taire » écri­vait : « L’i­dée de dieu est néces­saire aux oppres­seurs, aux enva­his­seurs, aux néga­teurs du droit col­lec­tif. Pour l’in­cul­quer aux masses, on a eu l’in­fer­nale habi­le­té de la com­pli­quer de l’i­dée de com­pen­sa­tion. Qui a souf­fert sur la terre joui­ra d’un bon­heur éter­nel… D’où la rési­gna­tion et l’a­ban­don aux aigre­fins des biens de la Terre… ». On connaît l’a­pos­trophe de Prou­dhon : « Dieu c’est le mal ». Il se trouve d’ailleurs que l’an­ti-clé­ri­ca­lisme et l’an­ti-reli­gion ont tou­jours été une base fon­da­men­tale dans l’ac­tion du mou­ve­ment ouvrier dans son ensemble.

Que se passe-t-il aujourd’hui ?

Depuis la fameuse « Main ten­due aux catho­liques » prô­née par Mau­rice Tho­rez, nous avons assis­té à une évo­lu­tion au sein de la classe ouvrière qui a abou­ti en pra­tique à un aban­don à peu près total de toute action anti-reli­gieuse dans ce qu’il est conve­nu d’ap­pe­ler les « par­tis ouvriers ». Même dans nos milieux et par­ti­cu­liè­re­ment chez les jeunes mili­tants, la même ten­dance s’est faite jour. La ten­dance fon­te­niste, à la F.C.L, n’é­tait pas la der­nière à prô­ner la nou­velle tac­tique. Pour les gens dont nous par­lons, l’an­ti-clé­ri­ca­lisme est une forme péri­mée de l’ac­tion. On se moque volon­tiers des anti-clé­ri­caux en les trai­tant de vieux fos­siles bons pour le pla­card aux sou­ve­nirs. On pense bien sûr, que les croyants sont les sur­vi­vants d’un autre âge, mais on se dit « maté­ria­liste his­to­rique » et on affirme au nom de ce « maté­ria­lisme » que l’on vient de décou­vrir que la reli­gion s’ef­fon­dre­ra en même temps que le Capi­ta­lisme. Il suf­fit alors de com­battre le Capi­ta­lisme. La lutte anti-reli­gieuse est une chose inutile sinon nui­sible. Ne ren­contre-t-on pas sur le lieu du tra­vail des mili­tants chré­tiens « drô­le­ment sym­pas ? » Qui n’a pas connu de prêtres ouvriers ? On nous pose la ques­tion : « Nie­rez-vous qu’il y a des tra­vailleurs chré­tiens ? Nie­rez-vous qu’ils sont bons syn­di­ca­listes ? Nie­rez-vous qu’ils sont anti colo­nia­listes ? Anti capi­ta­listes ? » Les tra­vailleurs chré­tiens se retrouvent avec nous dans les Comi­tés de grève, ils sont exploi­tés comme nous, etc., etc. Et on en vient à l’i­dée qu’une lutte anti-reli­gieuse pour­rait bête­ment nous alié­ner ces gens si inté­res­sants et, par­tant, bri­ser le front de classe du pro­lé­ta­riat. Rien que ça ! Et puis, tout le monde sait que les athées et les « libres pen­seurs » sont en géné­ral des bour­geois. Ils sont en grand nombre membres de la Franc-Maçon­ne­rie qui est un orga­nisme de col­la­bo­ra­tion de classe. Ils sont en majo­ri­té membres du par­ti radi­cal ou de l’aile droite de la S.F.I.O qui…, que… Nous n’a­vons rien à faire avec ces gens-là. Et nous pré­fé­rons un balayeur membre de la C.F.T.C. qui est un exploi­té, un appren­ti de la J.O.C. qui est un exploi­té à un action­naire radi­cal et anti-clé­ri­cal qui « bouffe un curé tous les matins » et qui est, par ailleurs, un exploiteur.

Nous sommes beau­coup, par­mi les membres des G.A.A.R. à esti­mer que ce rai­son­ne­ment hâtif (mais par ailleurs en plu­sieurs points juste, et en par­ti­cu­lier sur le côté anti-lutte de classes de la Franc-Maçon­ne­rie) doit être étayé par des argu­ments plus solides, résul­tat d’une ana­lyse sérieuse des dif­fé­rentes don­nées du problème.

Nous avons tou­jours été éton­nés par l’ex­tra­or­di­naire igno­rance de l’His­toire de beau­coup de ces « maté­ria­listes his­to­riques ». Où ces gens ont-ils vu que l’É­glise était atta­chée à une forme éco­no­mique don­née ? Où ces gens ont-ils vu que l’É­glise était atta­chée à un régime quel­conque ? Médi­tons ces dates : 1790 : L’É­glise chante le « Te Deum » à l’a­vè­ne­ment du dic­ta­teur Napo­léon et lui pros­ti­tue son caté­chisme ― 1816 : L’É­glise chante le « Te Deum » aux céré­mo­nies d’ar­ra­chage des arbres de la Liber­té. ― 1940 – 1950 : L’É­glise est col­la­bo­ra­trice (Suhard), résis­tante (Ger­lier), com­mu­niste (Abbé Bou­lier), anti-com­mu­niste (Osser­va­tore Roma­no). L’É­glise a tou­jours été de tous les régimes, de toutes les formes de civi­li­sa­tion : monar­chiste, répu­bli­caine, fas­ciste, selon les cas et les époques. La seule chose qui l’in­té­resse c’est de main­te­nir son emprise sur les consciences et les évè­ne­ments. Elle est, par contre anti-monar­chiste, anti-répu­bli­caine, anti­fas­ciste lorsque l’un quel­conque de ces régimes la menace dans son indé­pen­dance. Elle a enter­ré joyeu­se­ment la civi­li­sa­tion romaine qu’elle devait sau­ver dans l’i­dée de Constan­tin. Elle a été féo­dale au Moyen-Age. Elle a ral­lié le régime bour­geois tota­le­ment sous Napo­léon. Elle est main­te­nant furieu­se­ment démo­crate en France et furieu­se­ment fas­ciste en Espagne. Elle est main­te­nant, avant tout, capi­ta­liste en régime capi­ta­liste. Qui sait si elle ne sera pas demain com­mu­niste en régime com­mu­niste ou même liber­taire si nous n’y pre­nons pas garde ?

Au sein du régime actuel, l’É­glise tient une place trop sou­vent igno­rée ou pas­sée sous silence. Des vins du Chian­ti aux usines FIAT, d’His­pa­no-Sui­za aux tram­ways de Madrid, des mines de mer­cure d’Es­pagne aux usines de conserves amé­ri­caines, des fabriques de bas nylon au casi­no de Monte-Car­lo, le Vati­can tient une place plus qu’­ho­no­rable dans divers conseils d’Ad­mi­nis­tra­tion. Cela dit, l’É­glise, comme toute puis­sance capi­ta­liste joue un jeu poli­tique. On connaît son influence sur cette socié­té secrète appe­lée Synar­chie. On connaît l’exis­tence de cette autre socié­té secrète appe­lée « Sapi­nière » avant guerre et pré­sen­te­ment nom­mée « Fides Roma­na ». On connaît l’as­so­cia­tion pour le « Saint Empire Romain Ger­ma­nique » qui a son siège à Bonn et dont Pinay, Ade­nauer et Schu­man sont les membres influents. On connaît l’ac­tion des dif­fé­rents par­tis « démo­crates chré­tiens » qui avaient réus­si à avoir la main sur les dif­fé­rents minis­tères des affaires étran­gères de la « libé­ra­tion » des pays occi­den­taux. On connaît l’ac­tion de Thier­ry d’Ar­gen­lieu en Indo­chine. On arrive de là au fameux Pool Char­bon-Acier, à la relance euro­péenne : J’en passe et des meilleurs… La main­mise clé­ri­cale, en France, sur la presse, le ciné­ma, la radio se voit à l’œil nu. Et la fameuse loi Baran­gé vient de réveiller les « laïques » pour­tant timo­rés. Et tout cela se passe pen­dant que nos « maté­ria­listes his­to­riques » pro­clament l’an­ti-clé­ri­ca­lisme dépassé.

Et les tra­vailleurs chré­tiens ? Que font-ils dans tout cela ?

La plu­part d’entre eux sont membres de la C.F.T.C. Cette même C.F.T.C. que nous retrou­vons par­fois dans les Comi­tés de grève et avec qui les diri­geants sta­li­niens de la C.G.T. aiment se marier porte dans ses prin­cipes les points sui­vants qu’il est néces­saire de publier :

« La C.F.T.C. pro­fesse qu’on ne sau­rait appor­ter un remède effi­cace et durable aux erreurs éco­no­miques et aux injus­tices sociales qui ont ame­né les désordres actuels, qu’en se réfé­rant aux ensei­gne­ments conte­nus plus par­ti­cu­liè­re­ment dans les ency­cliques RERUM NOVARUM et QUADRAGESI O ANNO. »

Les chré­tiens avec qui nous par­lons se gaussent volon­tiers du pro­gramme social de l’É­glise qui ren­ferme (paraît-il) la solu­tion au pro­blème de la lutte des classes. En les inter­ro­geant plus avant, on se rend compte que bien peu ont lu ces fameuses ency­cliques. Au moment de la nais­sance de la grande indus­trie, au moment de l’es­sor du mou­ve­ment ouvrier, il fal­lait trou­ver un anti­dote. Et le pape Léon XIII de pré­co­ni­ser comme remède à la situa­tion la consti­tu­tion de syn­di­cats mixtes com­po­sés des patrons et des ouvriers. La C.F.T.C. de 1956 n’a en rien renié ce but final, elle y met sim­ple­ment des formes. Mais lais­sons la parole à Zirn­held qui fut pré­sident de la C.F.T.C. en 1934 et 1935 :

« Le Capi­tal est incon­tes­ta­ble­ment un moyen qui peut aider puis­sam­ment la pro­duc­tion à se déve­lop­per, mais il ne sau­rait pré­tendre à être l’agent propre, ni donc l’élé­ment essen­tiel. C’est pour y avoir pré­ten­du, pour avoir usur­pé la pre­mière place dans l’é­co­no­mie qu’il a entraî­né le dés­équi­libre dans l’é­co­no­mie que nous consta­tons aujourd’­hui et cau­sé les graves conflits sociaux et éco­no­miques actuels. C’est aus­si parce que l’on a top sou­vent confon­du la pro­prié­té, prin­cipe par­fai­te­ment juste lors­qu’il dérive du pro­duit du tra­vail, et le capi­tal qui n’est, la plu­part du temps, que son appa­rence ou son mode d’emploi humain, qu’on a cru pou­voir admettre les abus du capi­tal mal acquis, les jus­ti­fier comme la consé­quence nor­male de la pro­prié­té légi­time et lui réser­ver une place et des avan­tages qu’il ne méri­tait pas. Le capi­tal, acces­soire de la pro­duc­tion, a évi­dem­ment droit à une rente équi­table. Il a droit, de plus à l’as­su­rance du risque qu’il court, cette assu­rance étant orga­ni­sée et payée par la production… »

Il fal­lait, bien sûr, trou­ver une théo­rie qui, sans tou­cher au prin­cipe essen­tiel du régime capi­ta­liste, soit un amé­na­ge­ment des­ti­né à conten­ter les masses et ain­si empê­cher le déve­lop­pe­ment des idées révo­lu­tion­naires. La pro­prié­té est néces­saire — nous dit-on ― mais c’est le capi­tal qui n’a pas fait son devoir. Quand il sera à sa place tout ira bien. Ce sera la grande embras­sade géné­rale, la fin de la lutte de classe qui inquiète tant ces mes­sieurs. Nous ne nous attar­de­rons pas à dis­cu­ter ce genre de théo­rie. Remar­quons tou­te­fois qu’il n’y a pas au fond plu­sieurs pen­sées de droite. Il n’y en a qu’une et c’est bien l’É­glise qui la dis­pense. Les pro­grammes sociaux des dif­fé­rents par­tis fas­cistes d’a­vant guerre étaient tous ins­pi­rés des prin­cipes que nous venons de citer. La Charte du Tra­vail de Pétain n’é­tait rien moins qu’un essai d’ap­pli­ca­tion. Les Comi­tés d’En­tre­prise ins­ti­tués par Vichy n’é­taient que le pré­lude à ce fumeux syn­di­cat mixte des patrons et des ouvriers. On sait qu’ils font encore aujourd’­hui l’en­chan­te­ment des patrons de 1956. La fameuse asso­cia­tion Capi­tal-Tra­vail du R.P.F repo­sait aus­si sur les mêmes prin­cipes. Il y a bien uni­té de pen­sée. Obser­vons ce que dit Pou­jade et nous consta­tons encore l’é­non­cé des mêmes prin­cipes. Mieux que cela, la Confé­dé­ra­tion Géné­rale des Syn­di­cats Indé­pen­dants a repris les mêmes prin­cipes en enle­vant l’é­ti­quette chré­tienne. La fameuse asso­cia­tion d’ins­pi­ra­tion clé­ri­cale inti­tu­lée « Jeune Patron » a aus­si repris la doc­trine. Il s’a­git paraît-il de patrons sociaux qui recon­naissent volon­tiers l’exis­tence du syn­di­cat dans leur entre­prise. Un syn­di­cat du type « col­la­bo­ra­tion » bien enten­du. Il ne faut pas croire qu’une lutte même accom­pa­gnée d’une grève suf­fit à défi­nir une action révo­lu­tion­naire. Lisons plu­tôt ce qu’é­cri­vait la C.F.T.C. En 1938 : « La C.F.T.C. consi­dé­rant la grève comme le der­nier moyen à employer pour faire triom­pher le bon droit cherche à obte­nir les résul­tats sou­hai­tés par des moyens paci­fiques : démarches, envoi de cahiers de desi­de­ra­ta. Sou­vent, hélas ce genre de reven­di­ca­tion s’est heur­té à une fin de non-rece­voir. On ne peut donc s’é­ton­ner d’a­voir vu les syn­di­cats chré­tiens recou­rir à la grève, pour un motif grave, une cause indis­cu­ta­ble­ment juste, et après que toutes les pos­si­bi­li­tés d’en­tente eurent été épui­sées. » On lit plus loin :

« Met­tant en appli­ca­tion ses prin­cipes de col­la­bo­ra­tion la C.F.T.C. entre­tient les meilleures rela­tions avec l’or­ga­ni­sa­tion des patrons catho­liques. Dès 1930, une com­mis­sion mixte était consti­tuée entre la C.F.P. et la C.F.T.C. ; en 1932, notam­ment, elle étu­diait le grave pro­blème de la « ratio­na­li­sa­tion » et, fait remar­quable, patrons et ouvriers chré­tiens par­ve­naient à se mettre d’ac­cord sur cette déli­cate question. »

Or, on lit dans les « Cahiers de la Pro­duc­ti­vi­té » d’oc­tobre-Novembre 1954 :

« Les syn­di­cats (il s’a­git d’une étude sur les syn­di­cats amé­ri­cains) ne pré­tendent pas se sub­sti­tuer au « mana­ge­ment » dont ils recon­naissent la com­pé­tence, l’ef­fi­ca­ci­té. Ils ne cherchent pas à sup­pri­mer le pro­fit consi­dé­ré comme un sti­mu­lant indis­pen­sable. Les chefs syn­di­ca­listes amé­ri­cains sont consi­dé­rés sur­tout comme des hommes d’af­faires char­gés d’ob­te­nir le maxi­mum d’a­van­tages pour les gens qui leur ont confié leurs inté­rêts, en l’oc­cur­rence les syn­di­qués qui paient leur coti­sa­tion. Le prin­cipe de la co-ges­tion ne consti­tue aujourd’­hui ni un objec­tif immé­diat, ni même un idéal loin­tain. » Il arrive que les diri­geants syn­di­ca­listes tiennent le lan­gage sui­vant : « Vous ne pou­vez pas aug­men­ter les salaires parce que votre affaire est mal gérée. Nous allons vous envoyer des spé­cia­listes char­gés de la réor­ga­ni­ser ». Il est même arri­vé que des syn­di­cats aient prê­té de l’argent à des entre­prises en dif­fi­cul­té pour sau­ver les sala­riés du chô­mage. À l’é­gard du pro­blème tech­nique de l’ac­crois­se­ment de la pro­duc­ti­vi­té les syn­di­qués par­tagent la posi­tion de prin­cipe de l’en­semble des Amé­ri­cains : ils pensent que le pro­grès assu­rant l’a­mé­lio­ra­tion du sort de tous est un objec­tif essen­tiel. Mais ils estiment que ce n’est pas le rôle des syn­di­cats de pro­mou­voir l’a­mé­lio­ra­tion de la pro­duc­ti­vi­té : le « mana­ge­ment », en géné­ral s’en charge et avec succès ». 

Voi­là bien de quoi faire retour­ner dans sa tombe feu Léon XIII !
Il est à noter en pas­sant que ces méthodes font l’ad­mi­ra­tion d’un grand nombre de bonzes de F.O (Le Beurre et consorts).

Il n’y a pas, au fond, de véri­table ori­gi­na­li­té entre syn­di­ca­listes de tout poil qui dési­rent lut­ter dans le cadre du régime capi­ta­liste. Et, là encore, c’est la pen­sée de l’É­glise, en défi­ni­tive que nous retrou­vons. Voi­là qui jette une sin­gu­lière lumière sur les idées des soi-disant chré­tiens révolutionnaires.

Deux autres mou­ve­ments groupent des tra­vailleurs chré­tiens : Le Mou­ve­ment de Libé­ra­tion du Peuple et la Jeune Répu­blique. Le pre­mier est issu du mou­ve­ment d’ac­tion catho­lique inti­tu­lé Ligue Ouvrière Chré­tienne qui était la JOC des adultes. Trans­for­mé en Mou­ve­ment Popu­laire des Familles (mou­ve­ment d’en­tr’aide) après la libé­ra­tion il devient main­te­nant un mou­ve­ment poli­tique avec des posi­tions révo­lu­tion­naires ou soi-disant telles. (atti­tudes cou­ra­geuses sur le plan anti-colo­nia­liste ou sur l’an­ti-capi­ta­lisme). Ce mou­ve­ment n’a pas encore été capable d’é­la­bo­rer une doc­trine propre et pour cause : à l’in­té­rieur existe une seconde orga­ni­sa­tion tra­vaillant avec les aumô­niers qui s’ap­pelle l’Ac­tion Catho­lique Ouvrière. Étant don­né que cette orga­ni­sa­tion pro­fesse la doc­trine sociale de l’É­glise citée plus haute. La Jeune Répu­blique est issue du « Sillon » de Marc San­gnier. Rap­pe­lons que le « Sillon » qui avait vou­lu sim­ple­ment récon­ci­lier l’É­glise avec les idées démo­cra­tiques fut condam­né par le pape et que ces pro­ta­go­nistes se sou­mirent à l’é­poque. La Jeune Répu­blique a des posi­tions « gauches » et pro­fesse une vague « sociale démo­cra­tie » chré­tienne qui serait plus à gauche que la S.F.I.O. De toute façon aucun de ces deux mou­ve­ments ne sort du cadre du réfor­misme. Il se peut qu’il y ait par­mi les chré­tiens qui y appar­tiennent d’au­then­tiques révo­lu­tion­naires. Nous en avons connu. Nous avons dans ce cas, beau­coup plus inté­rêt à leur mon­trer qu’ils sont des dupes de l’É­glise (puis­sance réac­tion­naire) qu’à aban­don­ner notre lutte anti-clé­ri­cale pour nous les conci­lier d’une façon artificielle.

Nous avons mon­tré que sous ses aspects divers, la pen­sée de l’É­glise est une et qu’elle est en fait la source de toute la pen­sée dite de « droite ». Nous ajou­te­rons de la droite intel­li­gente. Celle qui a com­pris qu’il ne reste qu’une planche de salut à la bour­geoi­sie et que cette planche de salut est le réfor­misme. Une récente émis­sion à la radio Vati­can s’ef­for­çait de dis­tin­guer la pen­sée de l’É­glise de la pen­sée révo­lu­tion­naire, et le chro­ni­queur affir­ma : « L’É­glise est réso­lu­ment réformiste ! »

Ceci nous amène à envi­sa­ger les autres réfor­mismes que nous connais­sons et (nous en fai­sons la remarque à pro­pos de F.O.) nous obser­vons une paren­té de pen­sée évi­dente entre nos sociaux-démo­crates actuels et les chré­tiens sociaux. Nous pour­rions en dire autant de la bour­geoi­sie « intel­li­gente » repré­sen­tée par Men­dès-France. C’est pour­quoi il ne faut pas s’é­ton­ner outre mesure des alliances entre radi­caux et clé­ri­caux lors des der­nières élec­tions muni­ci­pales ou légis­la­tives. C’est pour­quoi il ne faut pas s’é­ton­ner de l’adhé­sion de nom­breux clé­ri­caux au soi-disant « Front Répu­bli­cains ». Il ne faut pas s’é­ton­ner de la pré­pa­ra­tion d’un Concor­dat et de la main­mise des clé­ri­caux sur cer­tains élé­ments de la Franc-Maçon­ne­rie (sujet sur lequel nous revien­drons au pro­chain numé­ro). C’est là où l’a­na­lyse révo­lu­tion­naire prend tout son sens.

Tous les par­tis réfor­mistes consi­dèrent le régime démo­cra­tique comme trem­plin de leur action. Or nous savons que le régime de démo­cra­tie bour­geoise cor­res­pon­dait sur­tout au stade concur­ren­tiel du régime capi­ta­liste. L’é­vo­lu­tion vers le mono­pole éco­no­mique éta­tique ou pri­vé de nou­velles formes poli­tiques, soit en réac­tion, soit en concor­dance. Ces formes poli­tiques sont toutes du type fas­ciste. La bour­geoi­sie a besoin d’un sou­tien pour construire le fas­cisme. Où peut-elle mieux le trou­ver que dans l’É­glise qui a pour prin­cipe pre­mier la des­truc­tion de toute pen­sée libre ? À ceux qui en dou­te­raient nous cite­rons un extrait de l’en­cy­clique Quan­ta Cura du pape Pie IX : « Il ne manque pas d’homme qui, appli­quant à la socié­té civile l’im­pie et absurde prin­cipe du natu­ra­lisme… osent ensei­gner que la per­fec­tion des gou­ver­ne­ments et le pro­grès civil demandent impé­rieu­se­ment que la socié­té humaine soit consti­tuée et gou­ver­née sans plus tenir compte de la reli­gion que si elle n’exis­tait pas, ou du moins, sans faire aucune dif­fé­rence entre la vraie reli­gion et les fausses. En consé­quence de cette idée abso­lu­ment fausse du gou­ver­ne­ment social, ils n’hé­sitent pas à favo­ri­ser cette opi­nion erro­née que la liber­té de conscience et des cultes est un droit propre à chaque homme… »

Tous les efforts des réfor­mistes de tout poil abou­tissent, en fait, au ren­for­ce­ment du régime, confor­mé­ment au plan éla­bo­ré par Léon XIII, que Guy Mol­let suit comme les autres. Nous savons que le régime capi­ta­liste va vers une forme poli­tique auto­ri­taire. C’est pour­quoi, il est nor­mal, en fin de compte que les démo­crates bour­geois fassent le jeu du clé­ri­ca­lisme, même s’ils se pré­tendent anti-clé­ri­caux d’opinion.

Il res­sort de nos consta­ta­tions que l’an­ti-clé­ri­ca­lisme est plus néces­saire que jamais, puisque l’ac­tion de l’É­glise marque fon­da­men­ta­le­ment le fonc­tion­ne­ment du régime que nous vou­lons détruire. Si une cer­taine forme d’an­ti-clé­ri­ca­lisme du genre de celui des radi­caux ne cor­res­pond plus à la réa­li­té puis­qu’elle n’empêche pas en fait, que ces radi­caux de rejoindre la réac­tion et de faire ain­si le jeu de l’É­glise com­bat­tue ver­ba­le­ment, il appar­tient aux révo­lu­tion­naires de défi­nir un anti-clé­ri­ca­lisme réel, basé sur les faits. Cer­tains libres pen­seurs pensent que leur action doit se faire uni­que­ment sur le plan phi­lo­so­phique. À les en croire, il suf­fit de faire des confé­rences pour nier l’exis­tence de l’en­fer ou l’exis­tence de Dieu pour que les foules soient convain­cues. Il n’est pas dans notre pro­pos de nier l’in­té­rêt d’une telle action sur le plan édu­ca­tif (bien sûr). Mais il ne faut pas perdre de vus que l’i­déo­lo­gie chré­tienne cor­res­pond à une réa­li­sa­tion poli­tique et qu’il est absurde de vou­loir dis­so­cier les deux aspects. Il est absurde de ne pas envi­sa­ger le jeu éco­no­mique de l’É­glise et du Capi­tal, dans la lutte anti-reli­gieuse et il serait d’ailleurs aus­si absurde de sépa­rer le pro­blème reli­gieux pur du pro­blème poli­tique ou éco­no­mique. Sébas­tien Faure écri­vait sur ses affiches :

« Croire en Dieu, ou nier Dieu, ce pro­blème est plus que jamais d’ac­tua­li­té. Il n’est pas d’ordre stric­te­ment phi­lo­so­phique : il se pro­longe dans le domaine social. La foi pousse les consciences à la rési­gna­tion, foyer de réac­tion. L’A­théisme les pousse à la révolte, source de Révo­lu­tion. Foi ou athéisme, Rési­gna­tion ou Révolte, Réac­tion ou Révo­lu­tion. Tout se tient. Il faut choisir. »

Un autre aspect néga­tif est la lutte anti-clé­ri­cale basée sur le répu­bli­ca­nisme. Il est curieux de vou­loir com­battre l’É­glise pour défendre la Répu­blique qui est en fait la démo­cra­tie bour­geoise, alors que cette même Répu­blique est entiè­re­ment entre les mains des clé­ri­caux ou de ceux qui jouent leur jeu. Il serait temps d’être logique. Citons à ce pro­pos l’oeuvre néga­tive s’il en fut des Comi­tés d’Ac­tion laïque qui ont basé toute leur action sur l’es­poir d’une majo­ri­té anti-clé­ri­cale aux élec­tions du 2 jan­vier. Ladite majo­ri­té a été théo­ri­que­ment obte­nue, on sait ce qu’il advint depuis… Nous écri­vions dans notre pré­cé­dent numéro :

« En fait, main­te­nant comme tou­jours il y a d’un côté la Révo­lu­tion et de l’autre la Contre Révo­lu­tion. Dans cette pers­pec­tive de pen­sée, nous disons que nous com­bat­tons le Réfor­misme, quel que soit sa forme ou le par­ti dont il se couvre. »

Dans le pro­blème pré­cis de l’an­ti-clé­ri­ca­lisme, la seule solu­tion nous semble être basée sur la lutte de classes du pro­lé­ta­riat. Il faut, pour ce faire, tou­jours ana­ly­ser les posi­tions de l’ad­ver­saire en fonc­tion de la situa­tion sociale et de l’é­vo­lu­tion du régime d’exploitation.

Consi­dé­ré sous cet angle, l’an­ti-clé­ri­ca­lisme peut deve­nir un fac­teur puis­sant dans la prise de conscience des exploi­tés et cimen­ter l’u­ni­té ouvrière que les par­tis soi-disant « ouvriers » cherchent en parole depuis si long­temps. Alors que ces mêmes par­tis ont pré­ci­sé­ment aban­don­né cette forme de lutte. On déplore volon­tiers un cer­tain maté­ria­lisme sor­dide de la classe ouvrière qui ne pen­se­rait qu’au beef­steak. Les foules qui se pressent dans les réunions anti-clé­ri­cales montrent que ce pro­blème est l’un des rares pro­blèmes éthiques qui touchent les masses de ce pays. À ceux qui cherchent l’é­du­ca­tion du pro­lé­ta­riat d’en tenir compte !

Guy Bour­geois


Nota. ― L’au­teur de ces lignes tient à dire que les récents tra­vaux du Congrès Natio­nal de la « Libre Pen­sée » fran­çaise mani­festent très net­te­ment une prise de conscience du pro­blème tel que nous l’ex­po­sons ici. Le texte de la plu­part des réso­lu­tions tient compte des pro­blèmes poli­tiques et éco­no­miques et de la lutte des classes d’une façon très nette. La « Libre Pen­sée » qui se rajeu­nit peut encore jouer un rôle très impor­tant dans l’é­du­ca­tion de la masse ouvrière. Aux anar­chistes révo­lu­tion­naires de s’y intéresser.

La Presse Anarchiste