La Presse Anarchiste

Poème pour l’amie

J’ai cessé, tu le sais, de croire à bien des choses
Et je m’en suis sou­vent allé, désabusé.
J’ai vu le vent du nord éparpiller les roses
Et j’ai tant prodigué mon courage qu’usé,
Désil­lu­sion­né, las, mon cœur a peine à battre.
Plein d’en­t­hou­si­asme on part, soulevé par l’espoir,
Mais en cours de chemin force est bien d’en rabattre,
Le temps vole et bien­tôt de la brise du soir
Le souf­fle vous sur­prend. Au terme du voyage,
Il n’est pour vous d’ac­cueil, de repos, de pitié :
Rien que le sou­venir d’un déce­vant mirage !
Cepen­dant, mal­gré tout, je crois à l’amitié.
Mais pour moi l’ami­tié n’est pas une parole,
Un mot creux qu’on profère à la légère, puis
Que bal­aie un beau jour un passe-temps frivole.
Pour moi telle qu’hi­er et telle qu’aujourd’hui
Elle sera demain : puis­sante, indestructible,
Nar­guant les traits du sort et les coups du destin,
D’un métal sans fêlure, imbris­able, infusible.
Autre je ne la veux. Comme elle est au matin,
J’en­tends la retrou­ver quand le soleil se couche.
Être amis, c’est pour moi se don­ner tout entier,
D’un don tout à la fois ardent, ten­dre et farouche ;
Du plus secret de soi ne se rien réserver,
L’un en l’autre nour­rir une con­fi­ance telle
Que tout devient com­mun : plaisirs comme douleurs.
Plus de l’ad­ver­sité la mor­sure est cruelle,
Plus brûlante la plaie et amères les pleurs,
Plus tenace est l’a­mi, plus sen­si­ble son aide.
Faux amis que l’ab­sence ébran­le ou rend moins sûrs,
Que la sépa­ra­tion éloigne ou fait plus tièdes,
Du lan­gage vous souillez le mot le plus pur.

[/E. Armand,

en cap­tiv­ité, mars 1940./] 


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