La Presse Anarchiste

La lutte des classes enseignée de l’autre côté de la barricade

Nous livrons aujourd’­hui quelques frag­ments du cours pro­fes­sé à l’Ins­ti­tut d’É­tudes Poli­tiques de Paris (ex « Sciences Po ») en 1951 — 52 par M. Delou­vrier (sic), Direc­teur Géné­ral des Impôts, homme de confiance de la haute finance, actuel­le­ment Direc­teur de Cabi­net de M. René Mayer (pré­sident de la Haute Auto­ri­té Char­bon-Acier) et pré­sen­té pour rem­pla­cer M. Dubois, repré­sen­tant de la France au Maroc, démis­sion­naire. Ce cour, obli­ga­toire et « fon­da­men­tal » est des­ti­né à faire com­prendre à tous les futurs direc­teurs des admi­nis­tra­tions publiques et pri­vées les méca­nismes pra­tiques du sys­tème qu’ils auront à gérer. Sous le titre géné­ral de « Poli­tique éco­no­mique de la France », il livre le bilan des expé­riences faites en ce pays depuis la grande crise de 1929. Or le fait symp­to­ma­tique qui se dégage à la lec­ture de ce cours, ce que, à tra­vers tous les tâton­ne­ments de la bour­geoi­sie, la vie éco­no­mique a été entiè­re­ment ryth­mée et condi­tion­née par les mou­ve­ments de masse de la classe ouvrière d’une part et d’autre part par la tra­hi­son per­ma­nente des direc­tions des par­tis de gauche et des cen­trales syn­di­cales. C’est à ces deux pôles qu’est limi­tée toute l’ac­tion de la classe diri­geante qui tan­tôt est obli­gée de céder sous la pres­sion des masses, et tan­tôt reprend ce qu’elle a cédé grâce aux lea­ders « ouvriers ».

Voi­ci ce qui se rap­porte à la période 1936 — 1945. La période d’a­près-guerre sera ana­ly­sée dans un pro­chain numéro.

Tout ce qui est sou­li­gné par nous et les sous-titres sont de « Noir et Rouge »

Les chiffres entre paren­thèses cor­res­pondent aux pages du cours et ne sont indi­qués qu’à titre de référence.

Situation en France en 1936 (94 – 95) 

… De 1930 à 1935 les reve­nus du tra­vail sala­rié auraient flé­chi de 30 %, alors que le coût de la vie ne bais­sait que de 18 % dans la Seine et de 20 % ailleurs.

Les fonc­tion­naires, les retrai­tés, les pen­sion­naires, les ren­tiers, avaient vu amé­lio­rer leur niveau de vie réel, mais ils n’en tiraient guère de satis­fac­tion psy­cho­lo­gique. Au contraire, l’obs­ti­na­tion des Minis­tères des Finances à réduire les reve­nus nomi­naux les avaient exaspérés.

La misère des ouvriers et la colère des fonc­tion­naires expliquent dans une large mesure l’ex­plo­sion élec­to­rale et gré­viste au prin­temps de 1936, qui allait avoir pour consé­quence un chan­ge­ment com­plet dans la poli­tique éco­no­mique de la France.

Le res­sen­ti­ment des vic­times de la défla­tion, la dis­ci­pline élec­to­rale appli­quée au second tour par les par­tis de gauche regrou­pés depuis les évè­ne­ments du 6-11-1934, les consignes de col­la­bo­ra­tion don­nées au P.C par le 7e Congrès du Komin­tern en août 1935, telles furent les causes essen­tielles de la vic­toire du Front Popu­laire (aux élec­tions du 4 mai 1936)

Dans les autres pays euro­péens, en Angle­terre, dans les États scan­di­naves, en Bel­gique même, il y avait déjà plu­sieurs années que le Par­ti Socia­liste avait accé­dé au pou­voir. En France son arri­vée tar­dive fut un évè­ne­ment consi­dé­rable, et pour cer­taines classes de la popu­la­tion, elle consti­tuait une sur­prise et même une émo­tion dont on a un cer­tain mal à se rendre compte aujourd’hui.

Les grèves (97 – 98)

Mais on ne com­pren­drait abso­lu­ment rien aux mesures prises par le gou­ver­ne­ment Blum, si on oubliait le cli­mat social dans lequel ces mesures ont été prises. C’est ce qui per­met de dire que cette poli­tique, dans cette pre­mière phase n’a été que « rela­ti­ve­ment » déli­bé­rée[[Ce que L. Blum a appe­lé lui-même son « expé­rience » com­prend 2 phases :
– pen­dant les pre­miers mois, la poli­tique à été « rela­ti­ve­ment » voulue.
– les mesures prises à par­tir de sep­tembre ne fai­sait pas par­tie du pro­gramme ini­tial ;elles ont été impo­sées par les cir­cons­tances.]]. Tout de suite après les élec­tions qui se ter­minent le 3 mai on assiste à une explo­sion de grèves sans pré­cé­dent par leur nombre et leur nature.

… Dans la Seine seule on a comp­té 1.300 conflits, 338.000 gré­vistes et à peu près autant d’oc­cu­pa­tions d’u­sines que de conflits[[Appelées aus­si « grèves sur le tas ».]]. (Ces chiffres) ne tra­duisent pas l’at­mo­sphère réelle de cette espèce d’é­norme sou­lè­ve­ment popu­laire, véri­table lame de fond entre­prise avec beau­coup d’en­thou­siasme et un carac­tère en fin de compte, on peut le dire main­te­nant, assez « bon enfant ».

M. Jou­haux, secré­taire géné­ral de la C.G.T., a bien dit, dans son dis­cours au Comi­té Confé­dé­ral Natio­nal du 16 mai 1936 : 

« Le mou­ve­ment s’est déclen­ché sans qu’on su vrai­ment com­ment et où. »

L’o­pi­nion de droite n’a jamais com­pris ni vou­lu croire cette asser­tion de M. Jou­haux, mais il est à peu près avé­ré aujourd’­hui que cer­tains chefs syn­di­caux ont été sur­pris de l’am­pleur de la réac­tion popu­laire et véri­ta­ble­ment débor­dés, de même qu’ils ont été sur­pris et débor­dés par leur suc­cès consi­gné dans les accords Mati­gnon. Ce n’est pas le lieu d’é­tu­dier les ori­gines (encore aujourd’­hui casez mal élu­ci­dées) de ce mou­ve­ment, ni d’en mon­trer dans tous les domaines les consi­dé­rables consé­quences dont la plus fon­da­men­tale fut la nais­sance du qua­trième pou­voir de la R. F., le pou­voir syndical.

L’ex­plo­sion des grèves a obli­gé le gou­ver­ne­ment à mettre en œuvre ses idées avec une pré­ci­pi­ta­tion et une ampleur qu’il ne dési­rait cer­tai­ne­ment pas en pre­nant le pou­voir. Elle a de plus mis le Par­le­ment en état de moindre résis­tance aux pro­po­si­tions qui lui étaient faites par le gou­ver­ne­ment pen­dant la pre­mière année, la seule en fait, pen­dant laquelle le Front popu­laire a gou­ver­né sans conteste il ne fut pas utile de recou­rir aux décrets-lois. Le Sénat lui-même votait tout.

Accord Matignon

… Dès la fin du mois de juin 1936, les mesures essen­tielles de reva­lo­ri­sa­tion du pou­voir d’a­chat étaient prises et la réduc­tion de la durée du tra­vail acquise dans son prin­cipe. Les masses sala­riées avaient conquis plus de « loi­sirs » et plus « d’argent ».

Quelques réformes (?) du gouvernement Blum (103 — 104)

La réforme de la Banque de France n’a pas eu d’in­ci­dence directe sur la poli­tique éco­no­mique ; elle était sur­tout spec­ta­cu­laire et révé­la­trice d’un état d’es­prit : le désir mani­fes­té par le gou­ver­ne­ment de se débar­ras­ser du « mur d’argent » et d’é­li­mi­ner du pou­voir des « 200 familles ».

La « natio­na­li­sa­tion » des usines de guerre a été pré­vue par la loi du 2 août 1936 loi qui, à la véri­té n’a­vait pas d’ob­jec­tifs éco­no­miques, et qui prend sa place essen­tiel­le­ment par­mi les textes pré­pa­rant la nation à la guerre. La loi a été prise pour une large part sous l’in­fluence des mili­taires dési­reux d’a­voir un « sta­tut natio­nal des indus­tries de guerre » et la main­mise directe sur cer­taines fabrications.

La pause Blum (114 — 115)

Le pre­mier cabi­net Blum est res­té au pou­voir à peine plus d’un an, il est tom­bé le 21 juin 1937, mais l’ex­pé­rience Blum est offi­ciel­le­ment ter­mi­née le 5 mars 1937… le gou­ver­ne­ment déci­da à chan­ger de voie et vou­lut obte­nir un choc psy­cho­lo­gique, expres­sion fami­lière de Léon Blum et qui a fait for­tune ; dans le com­mu­ni­qué du 5 mars 1937 il annon­ça la « pause » ce qui rap­pelle à plu­sieurs égards l’o­bli­ga­tion où se trou­va Lénine d’ins­tau­rer la N.E.P., nou­velle poli­tique éco­no­mique. On assis­ta à cette situa­tion curieuse : le pre­mier gou­ver­ne­ment socia­liste que se fut don­né la France, contraint pour n’a­voir pas pu choi­sir de faire la poli­tique tra­di­tion­nelle de la confiance.

Les troubles poli­tiques et sociaux étaient conti­nuels et don­nèrent lieu à des inci­dents graves (émeutes de Cli­chy fin mars). En juin de nou­velles dif­fi­cul­tés de tré­so­re­rie apparurent…

Il fal­lait donc des moyens excep­tion­nels. Le gou­ver­ne­ment Blum deman­da le 14 juin les pleins pou­voirs pour prendre les mesures néces­saires à la défense de l’en­caisse-or et au redres­se­ment éco­no­mique et finan­cier. Son inten­tion parais­sait être d’é­ta­blir le contrôle des changes et de s’en­ga­ger dans la voie de la socia­li­sa­tion. La Chambre lui accor­da les pleins pou­voirs mais le Sénat, inquiet de l’u­sage qu’il en ferait les lui refusa.

On crai­gnit un moment une crise consti­tu­tion­nelle. Le gou­ver­ne­ment hési­ta puis fina­le­ment démis­sion­na le 21 juin 1937. Aus­si le gou­ver­ne­ment Blum qui avait com­men­cé de si héroïque manière, finis­sait d’une façon fort clas­sique, ter­ras­sé par le mal finan­cier et ses amis modé­rés. Les échéances se moquent des théo­ries du cabi­net comme des enthou­siasmes popu­laires. Le plé­bis­cite des por­teurs de bons et des por­teurs de francs l’a­vait empor­té sur le plé­bis­cite des masses sala­riées.

Conclusion sur Blum (127 — 128)

Dès le départ, la com­po­si­tion même du cabi­net Blum et son pro­gramme recé­laient des contra­dic­tions para­ly­santes pour le gou­ver­ne­ment et cho­quantes pour l’o­pi­nion. Le 31 mai 1936, à la veille de prendre le pou­voir M. Léon Blum, « avec cette clar­té émou­vante dont il a le secret » expli­ci­tait aus­si à la tri­bune du congrès du Par­ti Socia­liste uni­fié la contra­dic­tion fon­da­men­tale de sa situation :

« Non seule­ment le par­ti socia­liste n’a pas eu la majo­ri­té mais les par­tis pro­lé­ta­riens ne l’ont pas eue davan­tage. Il n’y a pas de majo­ri­té socia­liste ; il n’y a pas de majo­ri­té pro­lé­ta­rienne. Il y a la majo­ri­té du Front Popu­laire dont le pro­gramme de front popu­laire est le lieu géo­mé­trique. Notre man­dat, notre devoir c’est d’ac­com­plir et d’exé­cu­ter ce pro­gramme. Il s’en­suit que nous irons à l’in­té­rieur du régime actuel, de ce même régime dont nous avons mon­tré les contra­dic­tions et les ini­qui­tés au cours de notre cam­pagne élec­to­rale. C’est cela l’ob­jet de notre expé­rience, et le vrai pro­blème, que cette expé­rience va poser, c’est le pro­blème de savoir si, de ce régime social, il est pos­sible d’ex­traire la quan­ti­té de bien-être, d’ordre, de sécu­ri­té, de jus­tice qu’il peut com­por­ter pour la masse des tra­vailleurs et des producteurs. »

Ain­si le pre­mier gou­ver­ne­ment socia­liste accep­tait la socié­té capi­ta­liste et accep­tait de voir appli­quer son pro­gramme dans le cadre du sys­tème capi­ta­liste. Et, dès lors qu’il avait choi­si la poli­tique de contra­dic­tion, il était dans les contra­dic­tions. Dès lors qu’il ne vou­lait faire ni déva­lua­tion ni contrôle des changes, ni pré­lè­ve­ment fis­cal excep­tion­nel, dès lors qu’il accep­tait les aug­men­ta­tions de salaires, les qua­rante heures, les cinq huit, les cré­dits mili­taires, il était condam­né à faire une poli­tique de gauche avec les porte-mon­naie de droite. Il se sou­met­tait, comme tous ses suc­ces­seurs, comme ses pré­dé­ces­seurs au plé­bis­cite des por­teurs de bons et des por­teurs de francs.

La posi­tion était inte­nable et la logique des faits si forte que M. Léon Blum sera obli­gé suc­ces­si­ve­ment de prendre toutes les posi­tions, d’a­bord de faire la déva­lua­tion, ensuite de faire la pause pour recher­cher la confiance puis enfin en mars – avril 1938, il pro­po­se­ra pour la pre­mière fois un sys­tème cohé­rent, c’est-à-dire le contrôle des changes, le pré­lè­ve­ment sur le capi­tal et la mobi­li­sa­tion des avoirs ban­caires. Il était trop tard, le moment était pas­sé poli­ti­que­ment, socia­le­ment et inter­na­tio­na­le­ment.

« Ce n’est pas l’ar­ri­vée au pou­voir du par­ti socia­liste qui pou­vait éton­ner, dit M. Rist en 1937. L’An­gle­terre, les États scan­di­naves, la Bel­gique ont fait déjà l’ex­pé­rience d’un gou­ver­ne­ment socia­liste. Il était inévi­table qu’un jour ou l’autre étant don­né la crois­sance de ce par­ti aux élec­tions suc­ces­sives la France connût éga­le­ment un gou­ver­ne­ment de cette nature. Nous serions, au contraire, plu­tôt ten­tés de regret­ter que la par­ti­ci­pa­tion au pou­voir de ce par­ti n’ait pas eu lieu plus tôt. Il eut connu plus tôt éga­le­ment les dif­fi­cul­tés que com­portent les res­pon­sa­bi­li­tés du pou­voir et la néces­si­té de main­te­nir, quel que soit le pro­gramme théo­rique sur lequel on s’ap­puie les forces per­ma­nentes d’un État. S’il avait fait cette expé­rience plus tôt sa prise de pou­voir eut moins effrayé et il est heu­reux qu’on ait trou­vé à sa tête un chef dont l’au­to­ri­té et la grande culture ont per­mis d’at­té­nuer bien des impa­tiences. Mais le seul fait que l’é­ti­quette socia­liste fut celle du par­ti diri­geant, de la majo­ri­té, devait entraî­ner néces­sai­re­ment dans une par­tie de l’o­pi­nion des craintes et des inquié­tudes qui n’ont pas ces­sé de peser sur le déve­lop­pe­ment éco­no­mique et finan­cier des évènements. »

Conclusions sur les chances d’un gouvernement de coalition (130)

En temps nor­mal la poli­tique d’un gou­ver­ne­ment de coa­li­tion ne peut être qu’une poli­tique de com­pro­mis : ce sont les voix d’ap­point pour faire la majo­ri­té qui fina­le­ment déter­minent le pro­gramme ou plus exac­te­ment l’édulcorent.


Décrets-lois Chau­temps 6 août 1937 (120)

Le gou­ver­ne­ment a reçu mis­sion de remettre les capi­taux, les patrons et les sala­riés au tra­vail ; une condi­tion est tou­te­fois posée pour les capi­taux, il faut les remettre « au tra­vail » sans contrôle des changes. C’est-à-dire que le nou­veau gou­ver­ne­ment de Front popu­laire à direc­tion radi­cale s’en­gage dans la poli­tique de la confiance et la res­tau­ra­tion du cré­dit public…

Conclusion sur la période de Front Populaire (129 — 130)

« Le Front popu­laire, réin­tro­duit dans notre vie poli­tique la vieille émo­tion his­to­rique, celle des Jac­que­ries, des trois révo­lu­tions et de la Com­mune. Quoi de plus typi­que­ment fran­çais, de plus tra­di­tion­nel que ces vastes mou­ve­ments populaires ? »

M. Rosen­stock-Frank (Démo­cra­ties en crise Roos­velt, Van­zee­land, Blum)

Les mou­ve­ments gré­vistes de 1936 ont dres­sé contre le cabi­net Blum l’hos­ti­li­té impla­cable des patrons qui ren­daient res­pon­sable le gou­ver­ne­ment des occu­pa­tions d’u­sines. L’oc­cu­pa­tion d’u­sines, c’est l’at­teinte la plus grave que l’on puisse faire à l’au­to­ri­té patro­nale, et les patrons ont été très pro­fon­dé­ment atteints dans leur psy­cho­lo­gie par cette opé­ra­tion. Un patron dans une usine vidée par la grève reste le maître. Mais un patron dans une usine rem­plie par la grève n’y trouve plus sa place ; d’ailleurs on ne la lui laisse pas, on lui inter­dit d’en­trer ; alors quel sen­ti­ment de spo­lia­tion de sub­ver­sion de l’ordre éta­bli !

Cette posi­tion sen­ti­men­tale (sic) s’est tra­duite, pen­dant 2 ans, par une hos­ti­li­té très dure — et très triste à consi­dé­rer — entre un front patro­nal et un front ouvrier, hos­ti­li­té qui n’a cédé, du côté patro­nal (resic) qu’en 1938, après l’é­chec de la grève géné­rale.

Enfin l’at­mo­sphère sociale empoi­son­née pen­dant plus de 2 ans, les contra­dic­tions du gou­ver­ne­ment, les dif­fi­cul­tés finan­cières, la hausse des prix entraî­nèrent la crainte de tous ceux qui manient l’argent depuis la grande banque, consciente de ces actes, jus­qu’à l’é­par­gnant ano­nyme qui agit au gré des nou­velles. On assiste alors à la grève alter­née des capi­taux et des tra­vailleurs. Tout pour l’é­par­gnant est un élé­ment de crainte et l’oc­ca­sion est trop belle de jouer de cette crainte contre le gou­ver­ne­ment. La presse finan­cière, qui est entre des mains conser­va­trices dit et répète l’é­chec de l’ex­pé­rience socia­liste. Les inté­rêts mena­cés se coalisent.

L’ex­pé­rience Blum a été un échec total.

À cette époque il n’y a eu que deux pro­grammes cohérents :
– Celui de M. Blum en mars — avril 1938 mais il n’y avait plus de force poli­tique pour le soutenir.
– Celui de M. Paul Rey­naud en novembre 1938, qui n’a réus­si que grâce à l’é­chec de la grève générale.

Daladier — Reynaud (119, 131, 132, 133, 134, 135, 136)

Le 5 octobre 1938 après la crise de Munich M. Dala­dier demande à nou­veau les pleins pou­voirs (et les obtient pour réa­li­ser le redres­se­ment de la situa­tion éco­no­mique et financière).

M. Mar­chan­deau (radi­cal) alors ministre des Finances incli­nait vers l’a­dop­tion des mesures de contrainte et de contrôle pra­ti­que­ment vers la reprise des mesures essen­tielles indi­quées par Léon Blum dans son pro­gramme du mois de mars et dont M. Mar­chan­deau n’a­vait en mai et juin, appli­qué que les mesures secon­daires. Après des débats ora­geux au Conseil des ministres M. Mar­chan­deau cède sa place, d’ac­cord avec ses col­lègues, à M. P. Rey­naud le 1er octobre 1938.

Le 13 novembre 1938, 42 décrets-lois paraissent au Jour­nal Officiel…

Le prin­cipe de la loi de 40 heures est main­te­nu mais on l’« assou­plit ».

D’a­bord la durée du tra­vail sera répar­tie obli­ga­toi­re­ment sur 6 jours. Ensuite les indus­triels pour­ront faire faire des heures sup­plé­men­taires sur leur seule demande, et enfin, les heures sup­plé­men­taires seront payées à un tarif non prohibitif.

Les décrets-lois à peine parus le gou­ver­ne­ment se heurte à la résis­tance vio­lente de la classe ouvrière à ces décrets-lois, ou plus exac­te­ment des mili­tants de la C.G.T. La C.G.T. avait fait des 40 heures une ques­tion de prin­cipe… un che­val de bataille… et une mys­tique pour les masses. Aus­si la C.G.T. dans son com­mu­ni­qué célèbre décla­ra-t-elle nuls et non ave­nus les décrets-lois de M. Rey­naud. Le 26 novembre 1938 la com­mis­sion admi­nis­tra­tive de la grande cen­trale syn­di­cale donne l’ordre de grève géné­rale pour le 30 novembre 1938. La grève devait avoir lieu sans occu­pa­tion d’usine mais l’ordre — fait nou­veau et impor­tant — s’ap­pli­quait éga­le­ment à tous les fonc­tion­naires. La grève fut dans son ensemble, un échec indis­cu­table et carac­té­ri­sé. Les troupes n’a­vaient pas sui­vi. M. Léon Blum le 1er décembre 1938 dans Le Popu­laire décla­rait : « Je dirai que la jour­née d’hier n’a pas été une vic­toire pour l’or­ga­ni­sa­tion syn­di­cale » et en conclu­sion de son article « Ce n’est pas une vic­toire de la classe ouvrière. » Le 5 décembre, au Comi­té Natio­nal de la C.G.T. M. Jou­haux consta­tait qu’il fal­lait révi­ser la concep­tion même de la grève géné­rale et que celle du 30 novembre avait cau­sé une pro­fonde décep­tion par­mi les syn­di­qués ; il expri­mait des craintes pour l’a­ve­nir du mou­ve­ment. En fin de réso­lu­tion, la C.G.T. se décla­rait prête à toute dis­cus­sion pour mettre terme au conflit…

Cet échec fut une heu­reuse chance pour l’ex­pé­rience de M. Rey­naud. Elle a créé pour toute une frac­tion de l’o­pi­nion le choc psy­cho­lo­gique qui man­quait au départ.

Après la pre­mière étape, le plan Rey­naud devait en com­por­ter une deuxième, elle fut domi­née par les pers­pec­tives inter­na­tio­nales. Après l’an­nexion de la Tché­co­slo­va­quie, une loi du 19 mars 1939 la der­nière des 6 lois de Délé­ga­tions de pou­voir votées depuis 1934 déclare que le gou­ver­ne­ment auto­rise à prendre les mesures néces­saires à la défense. natio­nale. Cette fois-ci il n’est plus ques­tion de redres­se­ment éco­no­mique et finan­cier. La pré­oc­cu­pa­tion pri­mor­diale est la pré­pa­ra­tion à la guerre.

… On auto­rise la semaine de 60 heures dans les usines d’armement…

… Un décret décide qu’il n’y a pas de rému­né­ra­tion des heures sup­plé­men­taires avant la 45e heure ce qui est vrai­ment une entorse grave à la loi de 1936, et abaisse le taux des heures sup­plé­men­taires à 5 % après la 45e heure. Petite mesure mais carac­té­ris­tique du cli­mat social de l’é­poque, les chô­meurs, qui refusent du tra­vail pour la défense natio­nale sont pri­vés d’al­lo­ca­tion de chômage…

Le pro­blème se posait de savoir si la pro­duc­tion pour­rait se déve­lop­per assez rapi­de­ment… une aug­men­ta­tion de la pro­duc­tion aurait exi­gé un effort de tra­vail et un effort d’in­ves­tis­se­ment accru c’est à dire d’une réduc­tion rela­tive du niveau de vie.

Comment financer une politique :

L’im­pôt ? (143 — 144)

Napo­léon a ren­du à l’An­gle­terre un très grand ser­vice en la for­çant à adop­ter « l’in­come-tax ». On ne sau­rait trop dénon­cer, au contraire, la res­pon­sa­bi­li­té dans les dif­fi­cul­tés finan­cières de l’entre-deux-guerres des milieux modé­rés qui après 1870 et jus­qu’à la guerre de 1914 se sont refu­sés avec une obs­ti­na­tion farouche à admettre un sys­tème d’im­pôt sur le revenu.

Il n’a jamais été pos­sible de faire payer par la voie. fis­cale leur part des charges publiques aux agri­cul­teurs, qu’ils soient fer­miers ou pro­prié­taires exploi­tants. Mieux même, les pay­sans reçoivent plus de l’É­tat et des col­lec­ti­vi­tés publiques qu’ils ne leur rap­portent. Or ils repré­sentent plus du tiers de la popu­la­tion.

Les avances de tré­so­re­rie ? (145)

L’in­fla­tion fidu­ciaire pour les besoins de l’É­tat met en jeu le pro­ces­sus infla­tion­niste sui­vant un rythme qui s’ac­cé­lère. Faute d’un pré­lè­ve­ment « conscient » par l’im­pôt les dépenses sont finan­cées par un pré­lè­ve­ment aveugle sur les vic­times natu­relles de l’in­fla­tion : ren­tiers, fonc­tion­naires, retrai­tés, sala­riés, etc. On peut dire que l’in­fla­tion est l’im­pôt pré­fé­ré des démo­cra­ties faibles.

La vie des gou­ver­ne­ments est pla­cée entre les mains des fameux « por­teurs de bons ».

L’emprunt ? (147)

L’a­bus de l’emprunt d’É­tat a sté­ri­li­sé l’é­pargne natio­nale. L’ac­cu­mu­la­tion du capi­tal est la loi du capi­ta­lisme ; si l’on empêche l’ac­cu­mu­la­tion pri­vée il faut la rem­pla­cer par l’ac­cu­mu­la­tion publique, faute de quoi l’é­co­no­mie péri­clite et se trouve rapi­de­ment sur­clas­sée par les concur­rents internationaux.

Situation en 1939 (158, 159, 160, 161)

Les chan­ge­ments (1929 — 1939) dans l’or­ga­ni­sa­tion et le fonc­tion­ne­ment des mar­chés ont comme consé­quence indi­recte que le pou­voir éco­no­mique se cen­tra­lise de plus en plus.

Chan­ge­ments dans la déten­tion du pou­voir éco­no­mique (qui passe de plus en plus de l’en­tre­pre­neur à l’É­tat, à la pro­fes­sion, au syndicat).

Lorsque le pou­voir syn­di­cal inter­vient pour influer sur les déter­mi­na­tions éco­no­miques dans le sys­tème capi­ta­liste ses objec­tifs immé­diats sont essen­tiel­le­ment conser­va­teurs ; il s’a­git presque moins d’ob­jec­tifs que de réflexes.

Dès que les pro­duc­teurs se groupent, leur ten­dance natu­relle est d’ob­te­nir un mono­pole et avant tout la pro­tec­tion doua­nière, puis si les prix baissent de réduire la pro­duc­tion et enfin, de main­te­nir des uni­tés éco­no­miques, démo­dées et peu rentables.

En France, l’É­tat s’est allié aux deux pou­voirs, pro­fes­sion­nel et syn­di­cal pour aller dans le sens de l’os­si­fi­ca­tion de l’économie.

On a pu dire que la France était un pays de 30 mil­lions d’ha­bi­tants si l’on compte que ceux qui par­ti­cipent à la vie indus­trielle. Dix mil­lions vivraient presque en éco­no­mie fer­mée se conten­tant d’é­changes moné­taires très limités.

Le libé­ra­lisme a sa limite dans le monopole…

La guerre (172)

La guerre moderne implique une direc­tion totale de l’é­co­no­mie par l’É­tat, c’est-à-dire la sub­sti­tu­tion comme moteur essen­tiel du méca­nisme éco­no­mique de l’ordre gou­ver­ne­men­tal au pro­fit capitaliste.

Vichy (191, 192, 199, 200, 212, 213, 214)

La cor­po­ra­tion. agri­cole a été extrê­me­ment tota­li­taire et elle s’est rat­ta­chée tous les orga­nismes exis­tant dans l’agriculture…

… La main­mise des diri­geants de la cor­po­ra­tion pay­sanne sur l’en­semble des orga­nismes de la paysannerie…

Au point de vue éco­no­mique il suf­fit de savoir que la Charte du Tra­vail inter­di­sait les grèves et que les Comi­tés sociaux locaux inter­ve­naient dans la règle­men­ta­tion des salaires, pour l’embauchage et le congé­die­ment ; cette inter­ven­tion fut en réa­li­té à peu près nulle puisque la fixa­tion des salaires était à cette époque entre les mains de l’État.

Alors que l’in­dice des prix de détail sur la base de 100 en 1938 s’é­le­vait à 280 au prin­temps 1944, à la même date l’in­dice des salaires horaires s’é­ta­blis­sait à 163.

La classe des sala­riés des villes est celle qui, de très loin, a le plus souf­fert de l’Oc­cu­pa­tion et que seule la pré­sence des baïon­nettes alle­mandes a empê­ché les ouvriers de se mettre constam­ment en grève.

La domi­na­tion alle­mande, le régime poli­tique, l’in­fla­tion elle-même, avaient bou­le­ver­sé les rap­ports de force nor­maux entre les classes sociales ou éco­no­miques. Tous ceux qui pro­duisent ou qui vendent avaient été favo­ri­sés au détri­ment de la masse des sala­riés, des fonc­tion­naires et des retrai­tés.

Conclusion finale (233)

(D’août 1944 à juin 1950) Pour l’es­sen­tiel l’ac­crois­se­ment de la pro­duc­tion indus­trielle n’a été pos­sible que grâce à l’al­lon­ge­ment de la durée heb­do­ma­daire du travail.

… La nation n’a retrou­vé son niveau de vie anté­rieur qu’au prix du sacri­fice par la classe ouvrière du « gain de loi­sirs » réa­li­sé en 1936.

De quel côté la France a‑t-elle le plus pesé dans la guerre mondiale ? (172, 200, 218)

L’ins­tau­ra­tion de l’é­co­no­mie de guerre en France a été conco­mi­tante de… l’in­cor­po­ra­tion à l’é­co­no­mie de guerre du Reich…

… Pré­lè­ve­ments de plus en plus lourds opé­rés par l’Oc­cu­pa­tion… 600.000 tra­vailleurs d’a­bord volon­taires puis contraints…

… 58.000 décès mili­taires de 1940 à 1945… 40.000 décès chez les incor­po­rés dans la Wer­march seule­ment 3 dépar­te­ments (Alsa­ciens-Lor­rains)…

La Presse Anarchiste