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Il y a des choses auxquelles la dignité défend absolument de répondre, et les injures de l’Égalité sont de ce nombre. Nous y sommes habitués, et nous dirons même que, vu le tempérament de celui qui les écrit, nous les comprenons et nous les trouvons naturelles.
Mais ce que nous ne comprenons pas, ce sont les éloges que cette même Égalité ose nous adresser avec le plus effronté cynisme, dans d’autres numéros où elle trouve politique, de faire vibrer une autre corde.
Ainsi, dans son numéro du 2 mars 1872, à propos du Congrès des graveurs, voici comment elle parle des ouvriers du Jura :
« Dans les sections du canton de Neuchâtel et du Val de St-Imier, une propagande immense a été faite, l’esprit de solidarité s’y est fortement enraciné ; dans ces localités, la presque totalité des ouvriers graveurs et guillocheurs font partie des sections, ceci témoigne de l’énergie et du dévouement des Comités, ainsi que de l’esprit qui anime les membres pour s’unir pour la défense de leur droit et le maintien de leur main-d’œuvre. »
Et dans un supplément daté du 15 avril, et consacré à la grève des graveurs de la Chaux de Fonds, l’Égalité loue la belle et énergique attitude des ouvriers du vallon de St-Imier, qui a fait échouer les menées des patrons, et elle cite un passage du Rapport du Comité du district de Courtelary[[Le district de Courtelary est le nom administratif du val de St-Imier.]] au Comité central, où il est dit que les ambassadeurs des patrons ont dû repartir Gros Jean comme devant, « éprouvant une médiocre satisfaction en voyant l’union et la solidarité qui existent parmi nous. »
Cependant l’Égalité le sait bien : les sections des graveurs au Locle et au vallon de St-Imier, appartiennent à la Fédération jurassienne ; le président du Comité central des graveurs, à la Chaux-de-Fonds, est un des membres les plus connus de la Fédération jurassienne ; et les grands prêtres de Sonvillier, les compères de Bismark, savez-vous qui c’est ? ce sont deux ouvriers graveurs, deux ouvriers guillocheurs et un ouvrier monteur de boîtes (ces cinq membres forment le Comité fédéral jurassien) ; et ce sont ces deux graveurs et ces deux guillocheurs qui ont organisé l’agitation au vallon de St-Imier pour combattre l’action des patrons pendant la grève.
Oui, tout le monde sait cela chez nous ; aussi, en lisant l’Égalité, on hausse les épaules, ou on se détourne avec dégoût. Mais on ne le sait pas en Belgique, en France, en Allemagne ; et les intrigants de Genève spéculent là-dessus pour le succès de leurs calomnies.
Ah ! que le Congrès général vienne seulement ! Et quand nous nous verrons là face à face, le jour se fera pour tout le monde, et les menteurs passeront un mauvais quart d’heure.
— O —
On demande comment Henri Perret, secrétaire du Comité fédéral romand à Genève, et qui par conséquent est solidaire de ce qui s’imprime dans l’Égalité — comment Henri Perret, disons-nous, a pu siéger au Congrès des graveurs, comme délégué, côte à côte avec Auguste Spichiger, délégué des graveurs du Locle, membre de la Fédération jurassienne ; côte à côte avec Adhémar Schwitzguébel, délégué des graveurs du vallon de St-Imier, secrétaire du Comité fédéral jurassien et par conséquent l’un des grands prêtres de Sonvillier ?[[Trois des délégués au Congrès des graveurs à Genève — Adhémar Schwitzguébel de Sonvillier, Alfred Jeanrenaud de St-Imier, et Auguste Spichiger du Locle — sont des signataires de la Circulaire du Congrès jurassien de Sonvillier.]] On demande comment il a pu serrer la main à ces deux compagnons, leur témoigner son estime et son amitié, quoiqu’il les eût laissé insulter chaque semaine depuis un an dans l’Égalité, et qu’il dût les laisser insulter de nouveau une fois le Congrès fini ? Comment le secrétaire du Comité fédéral romand expliquera-t-il tant de lâcheté et d’hypocrisie ?
Mais au fait, que nous importe ? et pourquoi rendre un instrument responsable de ce qu’on lui fait faire ; — car les Outine, Perret, Grosselin et Cie ne sont que des instruments. C’est à la tète qu’il faut s’attaquer — et la tète est à Londres.
— O —
L’Égalite du 7 avril contenait un article sur le procès Liebknecht-Bebel, où se trouve l’ignoble passage qu’on va lire :
« Nous passons outre sur les accusations du président du tribunal : c’étaient les mêmes clichés stéréotypés que nous avons vus se reproduire dans les trois procès de l’empire bonapartiste contre l’Internationale, et que le journal la Révolution sociale, de triste mémoire, s’est donné pour tâche de confirmer et de renforcer dans chacun de ses numéros : c’est toujours l’autoritarisme dictatorial du Conseil général, les ordres reçus de Londres, le chef suprême Karl Marx, etc. Qu’en pensent messieurs les séparatistes, les grands prêtres de Sonvillier, de ce touchant accord de leurs accusations avec celles du président du tribunal qui a condamné nos courageux frères allemands ?…
« Cela suffira-t-il enfin pour dessiller les yeux à ce groupe de nos frères italiens, devant lequel le comité du Jura bernois a la prétention de poser en qualité d’un second Conseil général de l’Association internationale, comme nous le voyons dans le Fascio Operaio ?
« Nos lecteurs comprendront facilement tout le sentiment pénible que réveille en nous le souvenir de ces pasquinades récentes de la Révolution sociale, lorsque nous voyons qu’en vertu de ces mêmes pasquinades, le président du tribunal excite le jury à condamner les lutteurs infatigables de notre sainte cause. »
À notre profond étonnement, l’Internationale, organe officiel des Sections belges, a reproduit dans son n° du 14 avril cet article de l’Égalité. Nous croyons qu’il n’y a pu avoir là qu’une inadvertance du Comité de rédaction, qui aura reproduit l’article sans le lire. Quoiqu’il en soit, si nous sommes indifférents aux injures de l’Égalité, nous ne pouvions pas témoigner la même indifférence en voyant ces injures réimprimées dans l’Internationale. Le Comité fédéral jurassien a donc cru de son devoir d’adresser immédiatement au Conseil belge une demande d’explications.
De son côté, le citoyen Claris, ancien rédacteur de la Révolution Sociale, a envoyé à l’Internationale une protestation que ce journal a insérée dans son n° du 21 avril, et qu’on trouvera plus loin.
Voici la lettre du Comité fédéral jurassien au Conseil belge :
ASSOCIATION INTERNATIONALE DES TRAVAILLEURS
Fédération jurassienne.
Au Conseil belge.
Compagnons,
C’est avec un sentiment de douleur et d’indignation que nous avons vu reproduites, dans le n° du 14 avril dernier de l’Internationale, les perfidies contenues, à notre égard, dans l’Égalité de Genève, à propos du compte-rendu du procès des rédacteurs du Volksstaat de Leipzig.
De la part de l’Égalité ces perfidies ne nous étonnent pas ; depuis deux ans toute la tactique des hommes qui ont été à la tête de la Fédération romande, ayant son siège fédéral à Genève, a été de nous calomnier systématiquement, de fausser nos principes, de présenter tous nos actes comme funestes à l’Association. — On peut reprocher à notre Fédération de ne pas avoir assez fait pour sa défense ; nous voyons aujourd’hui que la tactique de nos adversaires a porté des fruits, puisque des journaux aussi sérieux que l’est l’Internationale se font l’écho des infamies qu’on ne craint pas de répandre contre nous.
Une situation pareille devient intolérable. Ou bien, il est démontré que nous sommes nuisibles, que nous sommes des adversaires de l’Internationale, et dès lors toutes les Fédérations doivent formuler des accusations précises pour motiver une demande d’expulsion. Ou bien les Fédérations ne sont pas suffisamment au courant du conflit qui a surgi dans la Fédération romande, et dès lors, le sentiment de justice leur commande de suspendre tout jugement jusqu’à ce qu’une enquête sérieuse ait bien déterminé tous les faits et la situation qui en est résultée.
Quel que soit le verdict que prononcera l’Association sur notre compte, nous ne pouvons pour le moment laisser passer les perfidies débitées par l’Égalité et reproduites par l’Internationale, sans élever une protestation énergique.
Il faut véritablement un jésuitisme bien développé de la part des hommes de l’Égalité, pour confondre nos protestations contre les tendances du socialisme autoritaire représenté par le Conseil général de Londres, avec les accusations formulées par le président du tribunal chargé de condamner Liebknecht et Bebel. — Il leur faut aussi une impudence inouïe pour parler de grands prêtres de Sonvillier, quand dans un supplément de l’Égalité, on vante la conduite de ces mêmes grands prêtres, dans la grève des graveurs de la Chaux-de-Fonds, Car il n’est pas inutile de le dire, — pour bien caractériser combien les haines peuvent faire commettre d’erreurs, — c’est à l’initiative immédiate des hommes insultés par l’Égalité, qu’est due l’action énergique des ouvriers graveurs et guillocheurs du Val-de St-Imier, pour déjouer les intrigues des patrons, — et l’Égalité elle-même est forcée d’en convenir (voir supplément de l’Égalité, du 15 avril 1872). — Encore un mot sur cette épithète ridicule de grands prêtres : quelle est notre religion ? quel est notre dieu ? — Qu’on formule nettement l’accusation.
Enfin nous pouvons démentir formellement l’accusation portée contre nous que nous nous soyons annoncés vis-à-vis des sections italiennes, comme un second Conseil général. Quelques-unes des Fédérations italiennes ont répondu très favorablement à la circulaire du Congrès de Sonvillier ; il en est résulté des relations suivies et amicales qui ont consolidé les liens internationaux fondés sur une communauté de vues et de tendances. Si c’est là un crime, alors c’est que l’Internationale aurait abdiqué toute initiative au profit d’un pouvoir central.
Nous concluons : Les organes de l’Internationale qui contribuent à répandre contre nous des calomnies, des perfidies, à nous déconsidérer, à nous ridiculiser devant toute l’Internationale, doivent pour l’honneur de l’Association qu’ils croient défendre, formuler des accusations précises et se fondant là-dessus demander notre expulsion.
Si ceux qui ont encore quelques sentiments de justice et de confraternité internationale, ne parviennent pas à découvrir contre nous des griefs fondés, ils ne peuvent plus hésiter, à l’heure présente, à flétrir énergiquement les actes d’une coterie qui s’est donné pour mission la ruine morale d’une partie de l’Internationale.
En conséquence, compagnons, vous voudrez bien dans un des prochains numéros de l’Internationale vous prononcer catégoriquement sur le bien ou le mal fondé des accusations que l’Internationale a reproduites d’après l’Égalité.
Salut et Solidarité !
Sonvillier, le 25 avril 1872.
— O —
Voici maintenant la lettre du citoyen Claris :
Au rédacteur du journal l’Internationale.
Citoyen,
Vous publiez dans le dernier numéro de votre journal, au sujet de l’inique condamnation prononcée par le jury de Leipzig contre Liebknecht et Bebel, un article extrait de l’Égalité de Genève. Cet article contient à l’adresse du journal la Révolution Sociale, que j’ai publié du mois d’octobre au mois de janvier dernier, des attaques que le prudent rédacteur de l’Égalité s’est bien gardé de formuler tant que j’ai eu une plume à la main pour faire justice de ses incartades.
Dans ce factum misérable, la rédaction de la Révolution sociale est assimilée aux plus viles créatures de l’ex-empire, et quasi traitée de policière. Ceux qui nous connaissent personnellement ou qui nous ont lu savent à quoi s’en tenir sur les insinuations odieuses de l’Égalité ; mais comme vos lecteurs ne connaissent très probablement la Révolution sociale que par les calomnies de l’Égalité, permettez-moi, citoyen, de leur apprendre que nous nous sommes bornés, dans notre journal, à demander, instamment il est vrai, ce que le Congrès ouvrier belge et bon nombre de journaux italiens et espagnols ont demandé et demandent encore à cette heure, c’est-à-dire un Congrès général universel chargé de régler l’ordre et la marche du conseil général de Londres.
Quant à mes collaborateurs, je livre leurs noms au public, qui ne les tient évidemment pas pour des bonapartistes.
Voici ces noms : Arthur Arnould, E. Razoua, André Léo, G. Lefrançais, L. Marchand.
Enfin, lorsque notre journal est devenu l’organe de la Fédération Jurassienne, celle-ci m’a adjoint une commission composée des citoyens Malon et J. Guesde.
Je compte, citoyen, sur votre impartialité pour l’insertion dans vos colonnes des lignes qui précèdent et vous envoie mon salut fraternel.
A. Claris, Rédacteur en chef de la Révolution sociale, 9, rue du Mont-Blanc. Genève, 17 avril 1872.