La Presse Anarchiste

Polémique avec le journal l’Égalité

[[Article publié sans titre]]

Le jour­nal l’Éga­li­té, rédi­gé par M. Outine, bour­geois russe qui vit de ses rentes à Genève et occupe ses loi­sirs à insul­ter tous les révo­lu­tion­naires qui vivent de leur tra­vail — le jour­nal l’É­ga­li­té, disons-nous, a trou­vé plai­sant, à pro­pos du pro­cès Bebel-Liebk­necht, d’in­sul­ter la Fédé­ra­tion juras­sienne et son Comi­té fédé­ral — qu’il appelle agréa­ble­ment les grands prêtres de Son­vil­lier, — en repré­sen­tant cette fédé­ra­tion comme pac­ti­sant avec les agents de Bis­marck ! ![[Nous avons vu avec regret l’Inter­na­tio­nale de Bruxelles repro­duire l’ar­ticle où s’é­ta­laient ces immondes injures. Le Comi­té fédé­ral juras­sien a immé­dia­te­ment écrit au Conseil belge pour deman­der des expli­ca­tions. On trou­ve­ra plus loin la lettre du Comi­té fédé­ral juras­sien à ce sujet.]].

Il y a des choses aux­quelles la digni­té défend abso­lu­ment de répondre, et les injures de l’É­ga­li­té sont de ce nombre. Nous y sommes habi­tués, et nous dirons même que, vu le tem­pé­ra­ment de celui qui les écrit, nous les com­pre­nons et nous les trou­vons naturelles.

Mais ce que nous ne com­pre­nons pas, ce sont les éloges que cette même Éga­li­té ose nous adres­ser avec le plus effron­té cynisme, dans d’autres numé­ros où elle trouve poli­tique, de faire vibrer une autre corde.

Ain­si, dans son numé­ro du 2 mars 1872, à pro­pos du Congrès des gra­veurs, voi­ci com­ment elle parle des ouvriers du Jura :

« Dans les sec­tions du can­ton de Neu­châ­tel et du Val de St-Imier, une pro­pa­gande immense a été faite, l’es­prit de soli­da­ri­té s’y est for­te­ment enra­ci­né ; dans ces loca­li­tés, la presque tota­li­té des ouvriers gra­veurs et guillo­cheurs font par­tie des sec­tions, ceci témoigne de l’éner­gie et du dévoue­ment des Comi­tés, ain­si que de l’es­prit qui anime les membres pour s’u­nir pour la défense de leur droit et le main­tien de leur main-d’œuvre. »

Et dans un sup­plé­ment daté du 15 avril, et consa­cré à la grève des gra­veurs de la Chaux de Fonds, l’Éga­li­té loue la belle et éner­gique atti­tude des ouvriers du val­lon de St-Imier, qui a fait échouer les menées des patrons, et elle cite un pas­sage du Rap­port du Comi­té du dis­trict de Courtelary[[Le dis­trict de Cour­te­la­ry est le nom admi­nis­tra­tif du val de St-Imier.]] au Comi­té cen­tral, où il est dit que les ambas­sa­deurs des patrons ont dû repar­tir Gros Jean comme devant, « éprou­vant une médiocre satis­fac­tion en voyant l’u­nion et la soli­da­ri­té qui existent par­mi nous. »

Cepen­dant l’Éga­li­té le sait bien : les sec­tions des gra­veurs au Locle et au val­lon de St-Imier, appar­tiennent à la Fédé­ra­tion juras­sienne ; le pré­sident du Comi­té cen­tral des gra­veurs, à la Chaux-de-Fonds, est un des membres les plus connus de la Fédé­ra­tion juras­sienne ; et les grands prêtres de Son­vil­lier, les com­pères de Bis­mark, savez-vous qui c’est ? ce sont deux ouvriers gra­veurs, deux ouvriers guillo­cheurs et un ouvrier mon­teur de boîtes (ces cinq membres forment le Comi­té fédé­ral juras­sien) ; et ce sont ces deux gra­veurs et ces deux guillo­cheurs qui ont orga­ni­sé l’a­gi­ta­tion au val­lon de St-Imier pour com­battre l’ac­tion des patrons pen­dant la grève.

Oui, tout le monde sait cela chez nous ; aus­si, en lisant l’Éga­li­té, on hausse les épaules, ou on se détourne avec dégoût. Mais on ne le sait pas en Bel­gique, en France, en Alle­magne ; et les intri­gants de Genève spé­culent là-des­sus pour le suc­cès de leurs calomnies.

Ah ! que le Congrès géné­ral vienne seule­ment ! Et quand nous nous ver­rons là face à face, le jour se fera pour tout le monde, et les men­teurs pas­se­ront un mau­vais quart d’heure.

— O —

On demande com­ment Hen­ri Per­ret, secré­taire du Comi­té fédé­ral romand à Genève, et qui par consé­quent est soli­daire de ce qui s’im­prime dans l’Éga­li­té — com­ment Hen­ri Per­ret, disons-nous, a pu sié­ger au Congrès des gra­veurs, comme délé­gué, côte à côte avec Auguste Spi­chi­ger, délé­gué des gra­veurs du Locle, membre de la Fédé­ra­tion juras­sienne ; côte à côte avec Adhé­mar Schwitz­gué­bel, délé­gué des gra­veurs du val­lon de St-Imier, secré­taire du Comi­té fédé­ral juras­sien et par consé­quent l’un des grands prêtres de Son­vil­lier ?[[Trois des délé­gués au Congrès des gra­veurs à Genève — Adhé­mar Schwitz­gué­bel de Son­vil­lier, Alfred Jean­re­naud de St-Imier, et Auguste Spi­chi­ger du Locle — sont des signa­taires de la Cir­cu­laire du Congrès juras­sien de Son­vil­lier.]] On demande com­ment il a pu ser­rer la main à ces deux com­pa­gnons, leur témoi­gner son estime et son ami­tié, quoi­qu’il les eût lais­sé insul­ter chaque semaine depuis un an dans l’Éga­li­té, et qu’il dût les lais­ser insul­ter de nou­veau une fois le Congrès fini ? Com­ment le secré­taire du Comi­té fédé­ral romand expli­que­ra-t-il tant de lâche­té et d’hypocrisie ?

Mais au fait, que nous importe ? et pour­quoi rendre un ins­tru­ment res­pon­sable de ce qu’on lui fait faire ; — car les Outine, Per­ret, Gros­se­lin et Cie ne sont que des ins­tru­ments. C’est à la tète qu’il faut s’at­ta­quer — et la tète est à Londres.

— O —

L’Éga­lite du 7 avril conte­nait un article sur le pro­cès Liebk­necht-Bebel, où se trouve l’i­gnoble pas­sage qu’on va lire :

« Nous pas­sons outre sur les accu­sa­tions du pré­sident du tri­bu­nal : c’é­taient les mêmes cli­chés sté­réo­ty­pés que nous avons vus se repro­duire dans les trois pro­cès de l’empire bona­par­tiste contre l’In­ter­na­tio­nale, et que le jour­nal la Révo­lu­tion sociale, de triste mémoire, s’est don­né pour tâche de confir­mer et de ren­for­cer dans cha­cun de ses numé­ros : c’est tou­jours l’auto­ri­ta­risme dic­ta­to­rial du Conseil géné­ral, les ordres reçus de Londres, le chef suprême Karl Marx, etc. Qu’en pensent mes­sieurs les sépa­ra­tistes, les grands prêtres de Son­vil­lier, de ce tou­chant accord de leurs accu­sa­tions avec celles du pré­sident du tri­bu­nal qui a condam­né nos cou­ra­geux frères allemands ?…

« Cela suf­fi­ra-t-il enfin pour des­siller les yeux à ce groupe de nos frères ita­liens, devant lequel le comi­té du Jura ber­nois a la pré­ten­tion de poser en qua­li­té d’un second Conseil géné­ral de l’As­so­cia­tion inter­na­tio­nale, comme nous le voyons dans le Fas­cio Ope­raio ?

« Nos lec­teurs com­pren­dront faci­le­ment tout le sen­ti­ment pénible que réveille en nous le sou­ve­nir de ces pas­qui­nades récentes de la Révo­lu­tion sociale, lorsque nous voyons qu’en ver­tu de ces mêmes pas­qui­nades, le pré­sident du tri­bu­nal excite le jury à condam­ner les lut­teurs infa­ti­gables de notre sainte cause. »

À notre pro­fond éton­ne­ment, l’Inter­na­tio­nale, organe offi­ciel des Sec­tions belges, a repro­duit dans son n° du 14 avril cet article de l’Éga­li­té. Nous croyons qu’il n’y a pu avoir là qu’une inad­ver­tance du Comi­té de rédac­tion, qui aura repro­duit l’ar­ticle sans le lire. Quoi­qu’il en soit, si nous sommes indif­fé­rents aux injures de l’Éga­li­té, nous ne pou­vions pas témoi­gner la même indif­fé­rence en voyant ces injures réim­pri­mées dans l’Inter­na­tio­nale. Le Comi­té fédé­ral juras­sien a donc cru de son devoir d’a­dres­ser immé­dia­te­ment au Conseil belge une demande d’explications.

De son côté, le citoyen Cla­ris, ancien rédac­teur de la Révo­lu­tion Sociale, a envoyé à l’Inter­na­tio­nale une pro­tes­ta­tion que ce jour­nal a insé­rée dans son n° du 21 avril, et qu’on trou­ve­ra plus loin.

Voi­ci la lettre du Comi­té fédé­ral juras­sien au Conseil belge :

ASSOCIATION INTERNATIONALE DES TRAVAILLEURS

Fédé­ra­tion jurassienne.

Au Conseil belge.

Compagnons,

C’est avec un sen­ti­ment de dou­leur et d’in­di­gna­tion que nous avons vu repro­duites, dans le n° du 14 avril der­nier de l’In­ter­na­tio­nale, les per­fi­dies conte­nues, à notre égard, dans l’Éga­li­té de Genève, à pro­pos du compte-ren­du du pro­cès des rédac­teurs du Volkss­taat de Leipzig.

De la part de l’Éga­li­té ces per­fi­dies ne nous étonnent pas ; depuis deux ans toute la tac­tique des hommes qui ont été à la tête de la Fédé­ra­tion romande, ayant son siège fédé­ral à Genève, a été de nous calom­nier sys­té­ma­ti­que­ment, de faus­ser nos prin­cipes, de pré­sen­ter tous nos actes comme funestes à l’As­so­cia­tion. — On peut repro­cher à notre Fédé­ra­tion de ne pas avoir assez fait pour sa défense ; nous voyons aujourd’­hui que la tac­tique de nos adver­saires a por­té des fruits, puisque des jour­naux aus­si sérieux que l’est l’Inter­na­tio­nale se font l’é­cho des infa­mies qu’on ne craint pas de répandre contre nous.

Une situa­tion pareille devient into­lé­rable. Ou bien, il est démon­tré que nous sommes nui­sibles, que nous sommes des adver­saires de l’In­ter­na­tio­nale, et dès lors toutes les Fédé­ra­tions doivent for­mu­ler des accu­sa­tions pré­cises pour moti­ver une demande d’ex­pul­sion. Ou bien les Fédé­ra­tions ne sont pas suf­fi­sam­ment au cou­rant du conflit qui a sur­gi dans la Fédé­ra­tion romande, et dès lors, le sen­ti­ment de jus­tice leur com­mande de sus­pendre tout juge­ment jus­qu’à ce qu’une enquête sérieuse ait bien déter­mi­né tous les faits et la situa­tion qui en est résultée.

Quel que soit le ver­dict que pro­non­ce­ra l’As­so­cia­tion sur notre compte, nous ne pou­vons pour le moment lais­ser pas­ser les per­fi­dies débi­tées par l’Éga­li­té et repro­duites par l’Inter­na­tio­nale, sans éle­ver une pro­tes­ta­tion énergique.

Il faut véri­ta­ble­ment un jésui­tisme bien déve­lop­pé de la part des hommes de l’Éga­li­té, pour confondre nos pro­tes­ta­tions contre les ten­dances du socia­lisme auto­ri­taire repré­sen­té par le Conseil géné­ral de Londres, avec les accu­sa­tions for­mu­lées par le pré­sident du tri­bu­nal char­gé de condam­ner Liebk­necht et Bebel. — Il leur faut aus­si une impu­dence inouïe pour par­ler de grands prêtres de Son­vil­lier, quand dans un sup­plé­ment de l’Éga­li­té, on vante la conduite de ces mêmes grands prêtres, dans la grève des gra­veurs de la Chaux-de-Fonds, Car il n’est pas inutile de le dire, — pour bien carac­té­ri­ser com­bien les haines peuvent faire com­mettre d’er­reurs, — c’est à l’i­ni­tia­tive immé­diate des hommes insul­tés par l’Éga­li­té, qu’est due l’ac­tion éner­gique des ouvriers gra­veurs et guillo­cheurs du Val-de St-Imier, pour déjouer les intrigues des patrons, — et l’Éga­li­té elle-même est for­cée d’en conve­nir (voir sup­plé­ment de l’Éga­li­té, du 15 avril 1872). — Encore un mot sur cette épi­thète ridi­cule de grands prêtres : quelle est notre reli­gion ? quel est notre dieu ? — Qu’on for­mule net­te­ment l’accusation.

Enfin nous pou­vons démen­tir for­mel­le­ment l’ac­cu­sa­tion por­tée contre nous que nous nous soyons annon­cés vis-à-vis des sec­tions ita­liennes, comme un second Conseil géné­ral. Quelques-unes des Fédé­ra­tions ita­liennes ont répon­du très favo­ra­ble­ment à la cir­cu­laire du Congrès de Son­vil­lier ; il en est résul­té des rela­tions sui­vies et ami­cales qui ont conso­li­dé les liens inter­na­tio­naux fon­dés sur une com­mu­nau­té de vues et de ten­dances. Si c’est là un crime, alors c’est que l’In­ter­na­tio­nale aurait abdi­qué toute ini­tia­tive au pro­fit d’un pou­voir central.

Nous concluons : Les organes de l’In­ter­na­tio­nale qui contri­buent à répandre contre nous des calom­nies, des per­fi­dies, à nous décon­si­dé­rer, à nous ridi­cu­li­ser devant toute l’In­ter­na­tio­nale, doivent pour l’hon­neur de l’As­so­cia­tion qu’ils croient défendre, for­mu­ler des accu­sa­tions pré­cises et se fon­dant là-des­sus deman­der notre expulsion.

Si ceux qui ont encore quelques sen­ti­ments de jus­tice et de confra­ter­ni­té inter­na­tio­nale, ne par­viennent pas à décou­vrir contre nous des griefs fon­dés, ils ne peuvent plus hési­ter, à l’heure pré­sente, à flé­trir éner­gi­que­ment les actes d’une cote­rie qui s’est don­né pour mis­sion la ruine morale d’une par­tie de l’Internationale.

En consé­quence, com­pa­gnons, vous vou­drez bien dans un des pro­chains numé­ros de l’Inter­na­tio­nale vous pro­non­cer caté­go­ri­que­ment sur le bien ou le mal fon­dé des accu­sa­tions que l’Inter­na­tio­nale a repro­duites d’a­près l’Éga­li­té.

Salut et Solidarité !
 

Au nom du Comi­té fédé­ral juras­sien : Le secré­taire-cor­res­pon­dant, Adhé­mar SCHWITZGUÉBEL.

Son­vil­lier, le 25 avril 1872. 

— O —

Voi­ci main­te­nant la lettre du citoyen Claris : 

Au rédac­teur du jour­nal l’Inter­na­tio­nale.

Citoyen,

Vous publiez dans le der­nier numé­ro de votre jour­nal, au sujet de l’i­nique condam­na­tion pro­non­cée par le jury de Leip­zig contre Liebk­necht et Bebel, un article extrait de l’Éga­li­té de Genève. Cet article contient à l’a­dresse du jour­nal la Révo­lu­tion Sociale, que j’ai publié du mois d’oc­tobre au mois de jan­vier der­nier, des attaques que le pru­dent rédac­teur de l’Éga­li­té s’est bien gar­dé de for­mu­ler tant que j’ai eu une plume à la main pour faire jus­tice de ses incartades.

Dans ce fac­tum misé­rable, la rédac­tion de la Révo­lu­tion sociale est assi­mi­lée aux plus viles créa­tures de l’ex-empire, et qua­si trai­tée de poli­cière. Ceux qui nous connaissent per­son­nel­le­ment ou qui nous ont lu savent à quoi s’en tenir sur les insi­nua­tions odieuses de l’Éga­li­té ; mais comme vos lec­teurs ne connaissent très pro­ba­ble­ment la Révo­lu­tion sociale que par les calom­nies de l’Éga­li­té, per­met­tez-moi, citoyen, de leur apprendre que nous nous sommes bor­nés, dans notre jour­nal, à deman­der, ins­tam­ment il est vrai, ce que le Congrès ouvrier belge et bon nombre de jour­naux ita­liens et espa­gnols ont deman­dé et demandent encore à cette heure, c’est-à-dire un Congrès géné­ral uni­ver­sel char­gé de régler l’ordre et la marche du conseil géné­ral de Londres.

Quant à mes col­la­bo­ra­teurs, je livre leurs noms au public, qui ne les tient évi­dem­ment pas pour des bonapartistes.

Voi­ci ces noms : Arthur Arnould, E. Razoua, André Léo, G. Lefran­çais, L. Marchand.

Enfin, lorsque notre jour­nal est deve­nu l’or­gane de la Fédé­ra­tion Juras­sienne, celle-ci m’a adjoint une com­mis­sion com­po­sée des citoyens Malon et J. Guesde.

Je compte, citoyen, sur votre impar­tia­li­té pour l’in­ser­tion dans vos colonnes des lignes qui pré­cèdent et vous envoie mon salut fraternel.

A. Cla­ris, Rédac­teur en chef de la Révo­lu­tion sociale, 9, rue du Mont-Blanc. Genève, 17 avril 1872. 

La Presse Anarchiste