La Presse Anarchiste

Les luttes au Portugal

La situa­tion du Por­tu­gal montre, depuis quelques mois, d’in­ces­sants rebon­dis­se­ments ; tan­tôt, on croit y voir la reprise, le déve­lop­pe­ment et la radi­ca­li­sa­tion d’un mou­ve­ment social de por­tée révo­lu­tion­naire, dont l’é­lan ini­tial remonte à mai 1974 ; tan­tôt d’autres faits paraissent témoi­gner d’un pro­ces­sus patient, conti­nu, orga­ni­sé, de restruc­tu­ra­tion et de res­tau­ra­tion d’un ordre social secoué mais vivace, l’ordre du capital.

Fin sep­tembre, la vic­toire des socia­listes por­tu­gais et de leurs défen­seurs au sein du MFA (Melo Antunes), et la consti­tu­tion du 6e gou­ver­ne­ment, autour d’un pro­jet expli­cite de remise en ordre défi­ni­tive, ont paru scel­ler la défaite du mou­ve­ment révo­lu­tion­naire au Por­tu­gal. Quelque temps après, les mou­ve­ments de sol­dats de Por­to et de Lis­bonne, leur exten­sion, leur volon­té appa­rentes, de liai­son avec les com­mis­sions de tra­vailleurs et de quar­tiers, se sont don­nées comme une réponse offen­sive aux forces de droite, comme l’ex­ten­sion de l’é­lan révo­lu­tion­naire à des caté­go­ries nou­velles du peuple (sol­dats, habi­tants) qui jus­qu’a­lors ne s’é­taient pas expri­mées ni orga­ni­sées poli­ti­que­ment comme telles. De même, à l’oc­cu­pa­tion des radios et de la télé­vi­sion par l’ar­mée, puis par la police, sur ordre du gou­ver­ne­ment, et à la mise sous scel­lés de Radio-Renais­sance, pro­prié­té de l’é­vê­ché prise en main par des tra­vailleurs et jour­na­listes radi­caux (le 13 octobre). répon­daient tan­tôt la fra­ter­ni­sa­tion des sol­dats et des mani­fes­tants autour des stu­dios repris en mains, tan­tôt la mani­fes­ta­tion de mili­tants d’ex­trême-gauche, de tra­vailleurs et de sol­dats (de 30 à 50 000 per­sonnes) abou­tis­sant à l’oc­cu­pa­tion et à la remise en marche de l’é­met­teur de Radio-Renais­sance, sou­te­nu par le « pou­voir popu­laire ». Jus­qu’à ce qu’un com­man­do de para­chu­tistes sur ordre du Conseil de la Révo­lu­tion dyna­mite l’é­met­teur, le 7 novembre… Et ain­si de suite.

Néan­moins, c’est bien en des termes tra­di­tion­nels que se trouve actuel­le­ment posée la ques­tion du pou­voir : il s’a­git de savoir qui exer­ce­ra, et com­ment, le pou­voir sur les forces de pro­duc­tion et sur les tra­vailleurs : en les inti­mi­dant, en les mani­pu­lant, en les mobi­li­sant, en les démo­bi­li­sant, selon les cas.

Car d’un côté, il y a une situa­tion « anor­male » qui per­siste depuis plus d’un an, où le pou­voir est frag­men­té entre une mul­ti­tude de forces diverses et contraires, qui en outre changent par­fois rapi­de­ment de façade : par­tis rivaux, enga­gés dans la même com­pé­ti­tion, frac­tions instables du MFA, déte­nant de la force mais ne par­ve­nant pas à en faire un usage coor­don­né, même au ser­vice de la bour­geoi­sie, orga­ni­sa­tions ouvrières et agri­coles diver­se­ment reliées aux uns et aux autres ; cha­cun et cha­cune détient les par­celles d’un pou­voir de fait, mais limité.

Mais de l’autre côté, ou en face, on voit le recul pro­gres­sif, et à épi­sodes, du mou­ve­ment auto­nome des tra­vailleurs dans leurs propres orga­nismes, à peu près depuis l’é­poque des élec­tions, en avril 75, recul qui a contri­bué à vider ces orga­nismes de leur valeur sti­mu­la­trice, et les a offerts aux ten­ta­tives de mani­pu­la­tion et de prise en main, de la part du PC et des divers groupes gau­chistes, UDP, MRPP, LUAR, PRP, etc. De sorte qu’il est deve­nu dif­fi­cile, à moins d’être sur place, de savoir lequel de ces groupes s’ex­prime en fait à tra­vers telle ou telle « com­mis­sion de tra­vailleurs ». Les grèves qui sub­sistent. témoignent, par leur iso­le­ment, de ce recul glo­bal (par ex. celle des cen­traux télé­pho­niques de Lis­bonne, qui se ter­mi­ne­ra en juillet 75 par l’in­ter­ven­tion du COPCON, comme celle de la TAP en 1974 [[Cf. « Une lutte exem­plaire » ]]. Et les cli­vages poli­tiques qui ont pris la place du mou­ve­ment décli­nant se donnent, faute de mieux, des formes et déno­mi­na­tions nou­velles, der­rière les­quelles les par­te­naires poli­tiques habi­tuels sont vite recon­nus : ain­si, les TUV (Tra­vailleurs Unis Vain­cront) consti­tués fin octobre à l’i­mi­ta­tion des SUV, appe­lant à la liai­son des orga­nismes uni­taires de base, au contrôle ouvrier, au « pou­voir popu­laire », en liai­son avec les sol­dats, marins et offi­ciers « pro­gres­sistes », les TUV sont aus­si­tôt iden­ti­fiés comme une ten­ta­tive de même type et de même ori­gine — (savoir : le PRP) que celle des CRTSM, Conseils révo­lu­tion­naires, qui sem­blaient s’être éva­po­rés depuis août 75 ; leur « repré­sen­ta­ti­vi­té » est bien sûr immé­dia­te­ment contes­tée par le SPCTCIL (Secré­ta­riat pro­vi­soire des com­mis­sions de tra­vailleurs de la Cein­ture indus­trielle de Lis­bonne), qui, lui, réunit en fait les com­mis­sions pro-PC et pro-Inter­syn­di­cale… (Expres­so, 3 – 11-75).

La décom­po­si­tion, consé­cu­tive au 25 avril 74, d’une machine poli­tique – et éco­no­mique – vétuste, et l’ab­sence, en 1975, d’un mou­ve­ment de luttes sociales orga­ni­sé et géné­ra­li­sé, cela ne fait pas un « pou­voir popu­laire », ni, n’en déplaise aux nos­tal­giques de 1917, un « double pou­voir » ; cela ne fait pas non plus les condi­tions de l’un ou de l’autre. Cela ouvre sur­tout le champ à la riva­li­té des divers par­tis et groupes, civils et mili­taires, qui se portent can­di­dats à la remise en ordre et à la ges­tion entière ou par­ta­gée d’une socié­té qui reste une socié­té de classe. Même si on déclare que le but du socia­lisme est bien « la construc­tion d’une socié­té sans classe », comme le fait… Pin­hei­ro de Aze­ve­do. chef de l’ac­tuel gou­ver­ne­ment (Libé­ra­tion, 6 – 11-75). Riva­li­té qui s’ex­prime, entre autres, dans la confron­ta­tion des « pro­jets », tous plus démo­cra­tiques et avan­cés les uns que les autres, bran­dis par les par­tis et leurs par­ti­sans dans l’ar­mée (cf. pour un rap­pel et une ana­lyse de ces pro­jets, Front Liber­taire n° 44, Spé­cial Por­tu­gal, octobre 1975).

L’is­sue de cette confron­ta­tion, on l’a vue en sep­tembre, et plus net­te­ment encore aujourd’­hui : la réac­tion socia­liste est par­ve­nue à s’ins­tal­ler dans les deux ins­tances du pou­voir d’É­tat (Gou­ver­ne­ment et Conseil de la révo­lu­tion) ; elle tente main­te­nant d’exer­cer, à ces deux niveaux, les fonc­tions qui lui ont valu le sou­tien des petits patrons regrou­pés dans le PPD, comme celui, plus direct, des cadres, employés, pro­fes­sions libé­rales enrô­lés dans le PS : 1. faire reve­nir au Por­tu­gal, grâce à l’ap­pui des libé­raux euro­péens, les capi­taux méfiants (Melo Antunes obtient, début octobre, un prêt d’en­vi­ron 800 mil­lions de francs, sous réserve du ren­for­ce­ment d’un ordre poli­tique libé­ral et « plu­ra­liste »…) 2. res­tau­rer à cette fin une pro­duc­ti­vi­té et un taux d’ex­ploi­ta­tion inté­res­sants pour les inves­tis­se­ments étran­gers, en met­tant fin aux désordres dans les entre­prises et aux reven­di­ca­tions « incon­si­dé­rées » (c’est dans ces termes mêmes, ou pires, que le PC fus­ti­geait les grèves, lors­qu’il était encore au minis­tère du tra­vail… cf « L’autre Com­bat ») ; 3. recons­ti­tuer par consé­quent l’ins­tru­ment indis­pen­sable à la mise en place d’un capi­ta­lisme réno­vé et euro­péen, une armée uti­li­sable par le gou­ver­ne­ment, homo­gène, dis­ci­pli­née, prête à tirer sans dis­cus­sions pour défendre la pro­prié­té, le capi­tal et l’État.

Les politiciens à la curée

Com­ment les socia­listes ont-ils pu l’emporter ? Ils n’ont pas seule­ment pro­fi­té de l’exis­tence des nos­tal­giques de Sala­zar, de Cae­ta­no et de Spi­no­la, qui leur per­met­taient de bran­dir l’é­pou­van­tail du contre-coup d’É­tat fas­ciste et de se pré­sen­ter sous des ori­peaux de gauche. Ils ont éga­le­ment été ser­vis par l’hos­ti­li­té et la haine que le PCP a su accu­mu­ler contre lui, et pas seule­ment par­mi les classes moyennes, les petits pro­prié­taires ou les tra­vailleurs émi­grés crai­gnant pour leur pécule, mais aus­si par­mi les sala­riés de l’in­dus­trie ou de l’a­gri­cul­ture : ceux-ci ont vu les com­mu­nistes s’ef­for­cer de s’emparer métho­di­que­ment, l’un après l’autre, de tous les lieux de pou­voir : l’ar­mée, bien enten­du, mais aus­si les admi­nis­tra­tions, les mai­ries, les syn­di­cats et l’In­ter­syn­di­cale, les direc­tions de coopé­ra­tives, les com­mis­sions de tra­vailleurs, les organes de presse, etc. ; pla­çant leurs par­ti­sans, éli­mi­nant leurs adver­saires, avec toutes les consé­quences éco­no­miques éven­tuelles. Cette stra­té­gie s’est fina­le­ment retour­née contre les com­mu­nistes : témoin, outre leurs résul­tats piteux aux élec­tions, l’é­chec de leur ten­ta­tive pour télé­com­man­der une grève à la TAP en mai 75, alors qu’ils avaient tout fait pour tor­piller le mou­ve­ment puis­sant et réso­lu de ces mêmes tra­vailleurs en août 74 (cf l’ar­ticle ins­truc­tif de Joelle Küntz dans Libé­ra­tion, 15 mai 75) ; ou encore, le ren­ver­se­ment des direc­tions com­mu­nistes dans des syn­di­cats impor­tants et de plus en plus nom­breux (banques, bureaux, assu­rances) — au pro­fit d’une coa­li­tion de socia­listes et de maoïstes, sou­dés pour le moment dans la lutte contre l’en­ne­mi com­mun et « prin­ci­pal » : le « social-fas­cisme », les « cun­ha­listes » (comme disent les maos, par déli­ca­tesse de lan­gage, afin de pré­ser­ver la pure­té du terme « com­mu­niste »…) Face à de telles pra­tiques, bien des tra­vailleurs, même lors­qu’ils n’é­taient pas sous le coup de la tra­di­tion­nelle pro­pa­gande anti-rouge, ont été conduits à révi­ser leur adhé­sion aux com­mu­nistes, à reje­ter le dis­po­si­tif glo­bal d’en­ca­dre­ment qu’ils s’ef­for­çaient de mettre en place sous Gonçalves.

Ain­si, ni le régime que les com­mu­nistes ont échoué à impo­ser, ni celui que les socia­listes sont en train d’ins­tal­ler avec davan­tage de suc­cès, sous cou­vert de « démo­cra­tie plu­ra­liste », de tolé­rance, de res­pect des opi­nions et sur­tout de la pro­prié­té [[L’af­faire du jour­nal Repu­bli­ca illustre à mer­veille à quel point les défen­seurs miel­leux de la démo­cra­tie, du « plu­ra­lisme », de la « liber­té d’ex­pres­sion », ne sont en fait que les défen­seurs de l’ordre capi­ta­liste par­tout où il est mena­cé, ordre dont ils vivent, car il ali­mente leurs pri­vi­lèges de démo­crates dis­tin­gués. À cor et à cri, ils ont récla­mé, peur la direc­tion et les action­naires socia­listes de Repu­bli­ca, entre­prise pri­vée, le droit d’a­che­ter la force de tra­vail des typo­graphes et autres ouvriers du jour­nal, et de les faire tra­vailler comme bon leur semble, en échange d’un salaire, sans que les sala­riés aient à inter­ve­nir dans le pro­duit, dans le conte­nu du jour­nal : cela n’est rien d’autre que la divi­sion du tra­vail et le sala­riat, c’est le droit capi­ta­liste, c’est l’ex­ploi­ta­tion capi­ta­liste ; c’est cela que défendent et que veulent les Soares, les Mit­te­rand, et bien enten­du Séguy, com­mu­niste, condam­nant les cou­pures pra­ti­quées par les ouvriers d’im­pri­me­rie dans le jour­nal Minute. Soares a récem­ment décla­ré que Radio-Renais­sance « devrait être res­ti­tuée à ses pro­prié­taires ». Le récent conflit au jour­nal O Secu­lo, symé­trique de celui de Repu­bli­ca, indique, der­rière l’af­fron­te­ment des deux par­tis, la même atti­tude fon­da­men­tale : celle des exploiteurs.]]ne peuvent avoir pour fon­de­ment et pour fonc­tion autre chose que la vio­lence et la répres­sion. Pour les socia­listes, c’est main­te­nant plus clair que jamais : après les mises à sac orga­ni­sées des locaux du PC pen­dant l’é­té, la créa­tion de l’A­MI pour « assu­rer l’au­to­ri­té du gou­ver­ne­ment » (Cha­rais), la reprise de contrôle des diverses radios et TV, les épu­ra­tions et sanc­tions dans l’ar­mée, les mani­fes­ta­tions en com­mun avec le PPD, le CDS et le PPM, la démo­bi­li­sa­tion annon­cée de 30 000 sol­dats de l’ar­mée de terre, les inci­dents pro­vo­qués par la nomi­na­tion d’un gou­ver­neur socia­liste dans l’Al­garve, ou bien. par celle d’un secré­taire d’É­tat au minis­tère de l’in­for­ma­tion (le 5 novembre), le conflit PS – PC au jour­nal O Secu­lo, le plas­ti­cage de Radio-Renais­sance : voi­là ce qu’est la pra­tique du 6e gou­ver­ne­ment, pen­dant que son chef évoque la socié­té sans classes, mais en annon­çant « l’aus­té­ri­té pour tous les Portugais ».

Quant au pro­jet de « pou­voir popu­laire », dont les pré­misses seraient repré­sen­tées par les com­mis­sions de tra­vailleurs, com­mis­sions de mora­dores (d’ha­bi­tants), coopé­ra­tives, comi­tés de vigi­lance, TUV, SUV, etc. on ne peut évi­dem­ment pas le juger sur une pra­tique du pou­voir à l’é­chelle de la socié­té, pra­tique qui n’a pas encore eu la pos­si­bi­li­té de se réa­li­ser. Mais on peut pour­tant, se faire une idée de ce qu’il signi­fie en consi­dé­rant d’a­bord la poli­tique fron­tiste et avant-gar­diste des orga­ni­sa­tions qui le mettent en avant : FSP, MES, LUAR, LCI, regrou­pées dans le FUR, Front uni révo­lu­tion­naire, plus ou moins aco­qui­né avec le PC au départ, ain­si qu’a­vec les soi-disant offi­ciers pro­gres­sistes du COPCON et d’ailleurs ; ou bien encore, en rele­vant cer­taines décla­ra­tions mar­quantes des « per­son­na­li­tés » qui incarnent ce pro­jet. Par exemple l’i­né­nar­rable inter­view de O. de Car­val­ho au jour­nal Libé­ra­tion du 11 octobre 75 : Gon­çalves « pour­rait aider à for­mer poli­ti­que­ment ces cadres mili­taires dont la révo­lu­tion a tant besoin.. Sans le PC on ne pour­ra pas construire le socia­lisme au Por­tu­gal… M. Antunes a une par­faite conscience de la façon dont on peut, dans ce pays, construire un socia­lisme de base… ». Les décla­ra­tions de « l’a­mi­ral » Rosa Cou­tin­ho devant une assem­blée des tra­vailleurs de la CUF, fin sep­tembre : « Il n’est pas ques­tion pour moi d’im­po­ser ordre et dis­ci­pline tant que la révo­lu­tion n’est pas faite » ! (quoi d’é­ton­nant, après cela, à ce que les tra­vailleurs tardent à la faire, cette révo­lu­tion de géné­raux et d’a­mi­raux !). Le com­mu­ni­qué de la com­mis­sion cen­trale du PRP, du 24 octobre, qui réaf­firme « la néces­si­té impé­rieuse d’une direc­tion poli­ti­co-mili­taire qui uni­fie l’a­vant-garde et qui coor­donne les dif­fé­rents fronts et types de lutte au niveau natio­nal et régio­nal ». Et dans le jour­nal Revo­lu­çao, du même PRP, on peut lire, en mai 75, au moment où il était encore ques­tion des conseils révo­lu­tion­naires de tra­vailleurs, sol­dats et marins (cf La Lan­terne noire, n° 3) : « La bataille de la pro­duc­tion n’au­ra de valeur que dans la mesure où elle sera étroi­te­ment liée au pro­blème de la conquête du pou­voir par le pro­lé­ta­riat. Ceci étant, il faut admettre qu’un tel mot d’ordre se jus­ti­fie avant même la prise du pou­voir par le pro­lé­ta­riat. Néan­moins, il doit être limi­té aux sec­teurs natio­na­li­sés où les tra­vailleurs, une fois qu’ils sont orga­ni­sés en Conseils Révo­lu­tion­naires, doivent mettre en marche un pro­ces­sus de concré­ti­sa­tion de leur pou­voir. » (cité par J. Ber­nar­do, Um ano, um mês e um dia depois, Ed. Contra a cor­rente). Cette alliance dou­teuse entre « bataille de la pro­duc­tion », natio­na­li­sa­tion et Conseils révo­lu­tion­naires [[Une nou­veau­té : Le par­ti élu. Dans le Mani­feste de Conseils Révo­lu­tion­naires, avril 75, on lisait que « le par­ti révo­lu­tion­naire naî­tra inévi­ta­ble­ment du déve­lop­pe­ment du pro­ces­sus révo­lu­tion­naire, du déve­lop­pe­ment auto­nome de la classe, et sera com­po­sé par les mili­tants élus et recon­nus par la classe comme ses repré­sen­tants légi­times. » Cf. Por­tu­gal, la ques­tion de l’or­ga­ni­sa­tion révo­lu­tion­naire, juin 75, Escar­tin, BP 41, 92190 Meudon.]]relativise consi­dé­ra­ble­ment les dénon­cia­tions de ce même mot d’ordre que l’on trouve au PRP, ain­si que la notion de « pou­voir popu­laire » dont se gar­ga­rise l’ex­trême gauche, au Por­tu­gal et en France.

Donc, quel que soit le pro­jet rete­nu par­mi ceux qui s’offrent si géné­reu­se­ment aux tra­vailleurs por­tu­gais, on y trouve, comme l’en­vers et l’en­droit, pro­duc­tion et répres­sion. Serait-ce parce que les Por­tu­gais ne sont pas encore assez mûrs pour les sub­ti­li­tés de la démo­cra­tie occi­den­tale ? Ou bien parce que l’al­liance fatale des com­mu­nistes et des gau­chistes aurait reje­té, bien mal­gré eux. les socia­listes dans les bras de la droite, les « entraî­nant à jouer les Noske » (selon les savantes cré­ti­ne­ries qui se font pas­ser pour des ana­lyses, signées M. Duver­ger – Le Monde, 13 – 10-75) ?

Il y a bien d’autres rai­sons, et qui sub­sis­te­ront autant que le capi­ta­lisme au Por­tu­gal et autour de lui. Et d’a­bord le fait que la crise éco­no­mique y sévit plus sévè­re­ment qu’ailleurs : 25 % d’in­fla­tion de mai 74 à mai 75, 30 mil­liards d’es­cu­dos de défi­cit de la balance com­mer­ciale pré­vu pour 1975, chute des inves­tis­se­ments, boy­cott finan­cier et com­mer­cial (vins et tomates) de la part de l’Eu­rope, 300 000 chô­meurs (8 %) aux­quels viennent s’a­jou­ter une par­tie des 300 000 rapa­triés d’An­go­la, pro­prié­taires ruraux ou employés du ter­tiaire sans pers­pec­tive de réem­ploi au Por­tu­gal (Le Monde, 7 – 11-75). Situa­tion éco­no­mique catas­tro­phique [[Signa­lons un article docu­men­té sur les pro­blèmes éco­no­miques dans le Por­tu­gal d’au­jourd’­hui, vus dans une pers­pec­tive poli­tique : « Crise éco­no­mique et tran­si­tion au socia­lisme », par Yves Baron, Le Monde Diplo­ma­tique, octobre 1975.]], que les socia­listes et le gou­ver­ne­ment rap­pelle avec com­plai­sance, pour en conclure (P. de Aze­ve­do) à la néces­si­té « de pro­duire et de vendre davan­tage, et de consom­mer moins ». Com­mu­nistes ou socia­listes, les buts semblent dif­fé­rents, les moyens, eux, res­tent les mêmes ! Et le même recours à la manière forte. Car par ailleurs, les tra­vailleurs de ce pays ont su mon­trer depuis plus d’un an qu’ils pou­vaient et vou­laient se battre : exemple récent, les ouvriers d’une entre­prise sué­doise au Por­tu­gal ont rete­nu le direc­teur sué­dois et ros­sé l’am­bas­sa­deur de Suède venu à son secoure… à l’Hô­tel Ritz de Lis­bonne (auto­gé­ré, il est vrai !).

Une armée à reconquérir

Dans un tel contexte, on com­prend que la tâche la plus urgente pour le pou­voir en voie de recons­ti­tu­tion soit d’en finir avec une armée où l’in­dis­ci­pline (qui remonte à mai 1974, on l’i­gnore trop sou­vent) et les luttes de frac­tions entravent son uti­li­sa­tion dans un but répres­sif (entrave rela­tive, encore une fois, puisque le COPCON, tant pri­sé à l’ex­trême gauche, est inter­ve­nu en juillet der­nier aux Télé­phones, en sep­tembre à Radio-Renais­sance…) Le mou­ve­ment des SUV (Sol­dats Unis Vain­cront) est pré­sen­té par­tout comme une avan­cée du pro­ces­sus révo­lu­tion­naire au Por­tu­gal ; après les autres mou­ve­ments de base (tra­vailleurs, quar­tiers, pay­sans en coopé­ra­tives), la base de l’ar­mée se met­trait à son tour en mou­ve­ment, mul­ti­pliant les liai­sons avec les pré­cé­dents, pour consti­tuer « le bras armé du pou­voir des tra­vailleurs, l’ar­mée popu­laire révo­lu­tion­naire » (Appel des SUV). Et cer­taines mani­fes­ta­tions (celle du 23 – 9‑75 à Tra­fa­ria, impo­sant la libé­ra­tion de deux sous-offi­ciers des SUV, le sou­tien aux sol­dats de la caserne du RASP, à Por­to, début octobre, le cor­tège de 40 000 per­sonnes abou­tis­sant à la remise en marche de Radio-Renais­sance le 22 octobre) semblent bien indi­quer une conjonc­tion réelle entre les actions et réac­tions des mili­tants de gauche, dans l’ar­mée, et dans les grou­pe­ments poli­tiques, et les pré­oc­cu­pa­tions ou les ten­ta­tives des tra­vailleurs les plus actifs, les moins rési­gnés. Il existe incon­tes­ta­ble­ment une ten­dance endé­mique à l’a­gi­ta­tion, à la résis­tance (sinon, la res­tau­ra­tion de l’ordre ne serait pas récla­mée sur tous les tons du côté du pouvoir).

Mais quand elle n’est pas por­tée par un mou­ve­ment col­lec­tif réel, per­met­tant la reprise en masse d’ob­jec­tifs propres, cette par­ti­ci­pa­tion de la base dis­pa­raît aus­si faci­le­ment qu’elle a pu sur­gir. Et en ce qui concerne les luttes dans l’ar­mée, qui ont pris en octobre leur forme la plus aiguë, les compte-ren­dus les plus favo­rables (cf Libé­ra­tion du 7 et 17 octobre) expriment eux-mêmes les doutes les plus sérieux quant à leur carac­tère auto­nome et de base, rele­vant le rôle pré­émi­nent assu­mé dans les comi­tés par les offi­ciers et sous-offi­ciers du contin­gent ; ils sou­lignent aus­si, sur l’exemple du CICAP à Por­to, à quel point le manque de sou­tien popu­laire, l’ab­sence de mobi­li­sa­tion dans les usines, situe ces luttes dans l’ar­mée dans une phase de recul glo­bal du mou­ve­ment. Ce n’est que la déma­go­gie jour­na­lis­tique qui a fait appe­ler « vic­toire des mutins de Por­to » le com­pro­mis que les mili­taires iso­lés dans leur lutte ont dû. accep­ter sans enthou­siasme (cf. Le Monde du 16 octobre), et qui leur assu­rait la réin­té­gra­tion des deux sous-offi­ciers et des 5 sol­dats… sans aucune garan­tie, comme on l’a vu depuis [[Déci­sions remises en cause quelques jours plus tard, quand les sol­dats ont eu rega­gné leurs caser­ne­ments. Et quelques jours après, le fas­ciste Jaime Neves, des com­man­dos d’A­ma­do­ra, dont on deman­dait la des­ti­tu­tion, décla­rait qu’un « conflit armé est deve­nu néces­saire » pour enrayer la dyna­mique d’ex­trême-gauche dans l’ar­mée (Le Monde, 22 – 10-75).]]. Et en quoi, de toutes façons, de tels objec­tifs seraient-ils sus­cep­tibles d’en­traî­ner le sou­tien et la mobi­li­sa­tion des tra­vailleurs ? Tant que l’ar­mée n’est pas enga­gée à leurs côtés dans des luttes concrètes sur des objec­tifs qui leur soient réel­le­ment com­muns, les reven­di­ca­tions des offi­ciers, sous-offi­ciers et même des sol­dats ne peuvent vrai­ment tou­cher per­sonne, en dehors des casernes. Et de rap­pe­ler que les sol­dats ne sont autre chose que « des tra­vailleurs en uni­forme », cela n’y change rien [[Il est donc juste, et néces­saire, de dénon­cer le sta­tut de para­sites et les ambi­tions ges­tion­naires des offi­ciers appren­tis tech­no­crates. Peut-on dire pour autant que la seule façon, pour un mili­taire, de rejoindre les tra­vailleurs en lutte, c’est de tom­ber l’u­ni­forme et de revê­tir le bleu de tra­vail ? (cf. Por­tu­gal, la ques­tion de l’or­ga­ni­sa­tion révo­lu­tion­naire). Même s’il emporte avec soi son fusil et quelques muni­tions, les tanks, les F.M., les voi­tures blin­dées, tout cela reste dans les casernes, à la dis­po­si­tion d’of­fi­ciers que leur recru­te­ment social porte à rejoindre la droite ; quelques hommes suf­fisent pour diri­ger ces armes contre des tra­vailleurs ; si tout pou­voir révo­lu­tion­naire doit, pour se consti­tuer et s’é­ta­blir, gagner l’ar­mée à ses objec­tifs ou obte­nir tout au moins sa neu­tra­li­té, son refus d’in­ter­ven­tion, c’est parce que l’ar­mée, ce sont des armes. Les tra­vailleurs n’ont que faire d’une armée « à leur ser­vice », ils ont besoin des armes là où elles se trouvent et à la rigueur de ceux qui, par­mi eux, savent s’en ser­vir, peuvent l’ap­prendre aux autres, et sont bien pla­cés pour s’en empa­rer : les sol­dats, les tech­ni­ciens des com­mu­ni­ca­tions, etc.]].

Or, pour les tra­vailleurs, les choses n’ont pas suf­fi­sam­ment chan­gé depuis le 25 avril de l’an­née der­nière, pour qu’une iden­ti­té d’in­té­rêts leur appa­raisse concrè­te­ment entre leurs propres pro­blèmes et les affron­te­ments entre mili­taires de tous rangs et de toutes ten­dances, entre frac­tions du MFA, entre groupes et par­tis poli­tiques. Car plus d’un an après, il est clair que les « conquêtes » de la pré­ten­due révo­lu­tion por­tu­gaise (natio­na­li­sa­tions, évic­tion de cer­tains poli­ti­ciens et poli­ciers fas­cistes, « liber­tés » syn­di­cales et poli­tiques des régimes « démo­cra­tiques ») n’ont rien chan­gé d’es­sen­tiel aux condi­tions de vie des tra­vailleurs : hausse des prix, blo­cage des salaires, faillites, licen­cie­ments, chô­mage, main­tien des inéga­li­tés, des pri­vi­lèges, des para­sites civils et mili­taires, voi­là ce qu’ils trouvent en face d’eux ; les ten­ta­tives d’au­to­ges­tion, le plus sou­vent contraintes et for­cées, sombrent dans l’im­passe (comme à la Sogan­tal) ou dans un pro­duc­ti­visme rap­pe­lant l’ordre ancien (cf l’ar­ticle de Com­bate sur l’au­to­ges­tion [[Les tra­vailleurs des quelques 400 en­treprises occu­pées, qui se sont plus ou moins mis en auto­ges­tion, risquent de n’a­voir bien­tôt plus a auto­gé­rer que leur dénue­ment. Rien n’ayant fon­da­men­ta­le­ment chan­gé dans le sys­tème éco­no­mique régnant, ils ren­contrent les limites que leur impose le mar­ché capi­ta­liste, natio­nal et inter­na­tio­nal. Ce n’est pas d’eux, mais des banques et entre­prises por­tu­gaises et sur­tout étran­gères, que dépend leur appro­vi­sion­ne­ment en cré­dits ou matières pre­mières, ain­si que l’é­cou­le­ment de leur pro­duc­tion. Et l’in­ter­ven­tion de l’É­tat por­tu­gais, de por­tée limi­tée, est tou­jours assor­tie de ten­ta­tives de contrôle, soit par le biais des syn­di­cats, soit par celui de la Fédé­ra­tion des coopé­ra­tives, qui portent direc­te­ment atteinte au carac­tère auto­nome de l’i­ni­tia­tive des tra­vailleurs. Ain­si, la prise en main des entre­prises aban­don­nées ou en faillite n’est pas en soi un remède, et ne peut avoir de déve­lop­pe­ment que si elle conduit à une remise en cause de la nature même de la pro­duc­tion dans son sens social, des liens avec le mar­ché, de la struc­ture éco­no­mique de la socié­té tout entière. Faute de quoi, l’au­to­ges­tion ne peut être qu’un piège qui se refer­me­ra sur les tra­vailleurs. ]] ; les occu­pa­tions de terre, la col­lec­ti­vi­sa­tion des lati­fun­dia, enca­drée par l’Ins­ti­tut de la réforme agraire mais sur­tout par le PCP, se heurtent à l’ab­sence de cré­dits, aux dif­fi­cul­tés des cir­cuits de dis­tri­bu­tion, et à la résis­tance crois­sante des petits et moyens agri­cul­teurs (cf P. Georges, Le Monde du 2 – 11-75) : dans cer­taines coopé­ra­tives ins­tal­lées sur des domaines occu­pés, les « sala­riés » ne sont plus payés depuis plu­sieurs mois [[La situa­tion des pay­sans et des tra­vailleurs agri­coles est évi­dem­ment un élé­ment pri­mor­dial pour l’é­vo­lu­tion du pro­ces­sus por­tu­gais. Tout confirme que, depuis le 25 avril 1974, elle n’a fait que s’ag­gra­ver, sur­tout pour les petits exploi­tants du centre et du nord, vic­times de la hausse des prix ; c’est l’une des rai­sons du suc­cès de la réac­tion dans l’é­té 75. Par ailleurs, le mou­ve­ment d’oc­cu­pa­tion et d’ex­pro­pria­tion de terre, que le PC, puis­sant dans le sud, s’ef­for­çait de limi­ter ou de contrô­ler, s’est pour­tant pro­duit et éten­du de façon assez spon­ta­née ; ce qui parait indi­quer, mal­gré les témoi­gnages contra­dic­toires sur les condi­tions de vie meilleures qu’ap­portent les occu­pa­tions ou les impasses qu’elles ren­contrent, que ce mou­ve­ment cor­res­pond, là où il a lieu, à une amé­lio­ra­tion immé­diate. Mais pour com­bien de temps ? Cf. sur ce pro­blème, quelques infor­ma­tions dans Claude Col­lin, « Révo­lu­tion et contre-révo­lu­tion dans les cam­pagnes por­tu­gaises », Temps Modernes, octobre 1975.]]

Solidarité internationale ?

Les tra­vailleurs ne peuvent inter­ve­nir dans les affron­te­ments poli­tiques ou mili­taires que s’ils ont eux-mêmes, sous les yeux, quelque chose à défendre ou à conqué­rir. C’est la même rai­son qui explique leur indif­fé­rence à cet égard, et le recours de plus en plus pro­bable à l’ar­mée contre eux : l’ag­gra­va­tion de leurs condi­tions d’exis­tence, et la réduc­tion de leur marge de manœuvre, face à un pou­voir qui se renforce.

On le sait depuis long­temps, et il faut néan­moins le répé­ter : ou bien le pro­ces­sus révo­lu­tion­naire déclen­ché au Por­tu­gal s’in­ter­na­tio­na­lise, ou bien il s’ex­té­nue, dépé­rit et dis­pa­raît, en dou­ceur ou plus pro­ba­ble­ment dans la vio­lence contre-révo­lu­tion­naire. Car la contre-révo­lu­tion, elle, s’est déjà inter­na­tio­na­li­sée : pres­sions éco­no­miques de l’Eu­rope, conspi­ra­tions armées de la CIA en Espagne, conseils de « modé­ra­tion » de l’In­ter­na­tio­nale socia­liste (on appelle « modé­rés ». en termes jour­na­lis­tiques, ceux qui sont par­ti­sans d’un ren­for­ce­ment de l’au­to­ri­té dans la vie poli­tique, de la dis­ci­pline dans les casernes, de l’ar­deur au tra­vail dans les entreprises… !).

D’une façon ou d’une autre, l’in­ter­na­tio­na­li­sa­tion est ins­crite dans les faits : à l’ap­pro­fon­dis­se­ment de l’an­ta­go­nisme de classe au Por­tu­gal cor­res­pond le contraste entre le Por­tu­gal et l’Es­pagne, entre ce pays qui a bou­gé et celui qui se rai­dit, face aux tra­vailleurs espa­gnols et basques, dans les struc­tures fas­cistes d’un régime inadap­table et inac­cep­table. Cette jux­ta­po­si­tion dans la pénin­sule ibé­rique est explo­sive dès le départ. Ce qui s’est pas­sé au Por­tu­gal a déjà ron­gé le régime fran­quiste, encou­ra­gé la résis­tance inté­rieure. C’est, pour l’Es­pagne, une inci­ta­tion à l’é­meute. Et à la soli­da­ri­té : les inté­rêts révo­lu­tion­naires du Por­tu­gal et de l’Es­pagne sont étroi­te­ment liés, comme ils le sont aus­si à ceux des pays avoisinants.

Et de ce point de vue, les tra­vailleurs por­tu­gais, quand ils sont en lutte, ne voient guère d’ap­pui réel leur venir des autres pays. À leur iso­le­ment face à leur bour­geoi­sie et leurs classes moyennes, s’a­joute l’i­so­le­ment sur le plan inter­na­tio­nal ; même les tra­vailleurs por­tu­gais émi­grés en France, cou­pés des luttes qui se déroulent chez eux et de l’ex­pé­rience qu’elles pro­curent, intoxi­qués par les média, demeurent plus que méfiants face à une évo­lu­tion poli­tique réel­le­ment ambiguë.

Toute ini­tia­tive sus­cep­tible de bri­ser ou d’af­fai­blir cet iso­le­ment est un acte de soli­da­ri­té effec­tive avec les tra­vailleurs por­tu­gais. On a eu jus­qu’à pré­sent les mee­tings tra­di­tion­nels : du haut d’une tri­bune, des lea­ders fran­çais, des per­son­na­li­tés du MFA, de la LUAR, du PRP, du MES, règlent leurs petits comptes, exhortent une assem­blée réduite au silence à une soli­da­ri­té abs­traite, dis­si­mulent les inten­tions poli­ti­ciennes de leurs orga­ni­sa­tions. Dans un tel contexte, le mot d’ordre de « sou­tien aux luttes du peuple por­tu­gais » est vide de sens et même nocif : il masque par des paroles l’i­so­le­ment réel des Por­tu­gais, et il para­lyse, au nom de la soli­da­ri­té, les capa­ci­tés d’a­na­lyse à l’é­gard des ten­dances poli­tiques enga­gées dans la confron­ta­tion, il encou­rage les vieilles atti­tudes fron­tistes dans l’illu­sion d’une aide imaginaire.

Là où nous sommes, le pre­mier aspect d’une soli­da­ri­té réelle, c’est d’a­bord la volon­té de com­prendre ce qui se passe au Por­tu­gal, sans se lais­ser mys­ti­fier par les char­la­tans prêts à se ser­vir du Por­tu­gal, comme de l’Es­pagne ou du reste, pour ali­men­ter leurs méca­niques de pou­voir ; de s’in­for­mer en gar­dant la capa­ci­té de se poser des ques­tions, d’a­voir des doutes, mêmes s’ils sont sacri­lèges ; de bri­ser les mythes popu­listes, pro­gres­sistes, de la pseu­do-auto­ges­tion, de l’ar­mée au ser­vice du peuple, Povo-MFA, MFA-Povo, incan­ta­tion qui sonne de plus en plus creux ; de for­mu­ler, enfin, ce qui s’é­nonce chaque jour au Por­tu­gal, et qui vaut par­tout : que toute lutte est pro­mise à l’é­chec, même dans ses objec­tifs limi­tés, dès lors qu’elle n’es­saie pas de por­ter atteinte à la struc­ture de la socié­té capi­ta­liste, aux lois du mar­ché, de prendre le contrôle de la pro­duc­tion et de ses buts, de la rela­tion ville-cam­pagne, des échanges entre lieux de pro­duc­tion, des liens avec les autres pays.

Claude.

La Presse Anarchiste