La Presse Anarchiste

Courrier

(…) Pour en venir au numé­ro 2, je l’ai trou­vé pas­sion­nant, bien que mes diver­gences avec vous soient pro­fondes. Quoi qu’il en soit, vos vues obligent le lec­teur à remettre en ques­tion, et appro­fon­dir d’une façon cri­tique ses options théoriques.

Par exemple, je suis le pre­mier à admettre que le phé­no­mène fas­ciste n’est pas seule­ment dû à des pro­blèmes éco­no­miques, mais qu’entrent en action des pro­blèmes affec­tifs, comme l’a clai­re­ment prou­vé à de mul­tiples reprises Wil­helm Reich dans La psy­cho­lo­gie de masse du fas­cisme ou dans L’homme et l’É­tat.

Mais l’er­reur dans la cri­tique de LEPEINTRE à pro­pos des Cahiers du Futur, est de confondre les faits sub­jec­tifs et les faits objec­tifs : si des mili­tants sociaux-démo­crates ou com­mu­nistes alle­mands ont rejoint, à cause de fac­teurs irra­tion­nels (chau­vi­nisme, peste émo­tion­nelle, racisme, cor­po­ra­tisme), les S.A., c’est oublier qu’il n’a jamais été ques­tion pour Hit­ler ou Himm­ler de faire une révo­lu­tion sociale, même chau­vi­no-popu­liste, comme a pu le faire Per­on, par exemple : ils se sont sim­ple­ment ser­vis des aspi­ra­tions de jus­tice sociale des masses alle­mandes afin de les cana­li­ser, et inves­tir la poten­tia­li­té révo­lu­tion­naire des masses dans une poli­tique agres­sive, raciste, don­nant ain­si aux masses une illu­sion de mouvement.

Aujourd’­hui, cette ambi­guï­té du fas­cisme n’est plus pos­sible, le ver­biage socia­li­sant des fas­cismes n’a plus cours, il a fait place à sa véri­table image, la por­tique bar­bare des couches sociales en prise à une peur panique devant la mon­tée des forces révo­lu­tion­naires par­tout dans le monde. Pino­chet, Fran­co, l’A.A.A. ne s’embarrassent plus de faire « social », ils répriment, tuent, tor­turent, envoient les forces répres­sives dans les usines, dans les champs, afin d’im­po­ser leur dic­ta­ture – il est d’ailleurs signi­fi­ca­tif que l’A.A.A., d’a­bord « Alliance Anti-impé­ria­liste d’Ar­gen­tine », soit deve­nue « Alliance Anti­com­mu­niste d’Ar­gen­tine », four­guant au ves­tiaire la phra­séo­lo­gie natio­na­lo-chau­vine, afin de se mon­trer telle qu’elle est en véri­té, une force répres­sive, anti-révolutionnaire…

Quoi qu’il en soit, tout ce qui est dit est vrai pour la période allant de 1920 à 1945. Bien sûr, on pour­rait par­ler de Per­on, de l’Ar­gen­tine d’au­jourd’­hui où des gens de droite comme des gens de « gauche » (Mon­to­ne­ros) se réclament de Per­on : cela est dû au simple fait que Per­on est le seul dic­ta­teur fas­ciste ayant pris au sérieux, sous l’in­fluence d’E­vi­ta Per­on, la phra­séo­lo­gie sociale-chau­vine du fas­cisme. C’est en quoi le phé­no­mène péro­niste est inté­res­sant, et que les évé­ne­ments en cours en Argen­tine sont pas­sion­nants ; bien que je consi­dère les « Mon­to­ne­ros » non pas comme des sociaux-fas­cistes, mais comme des gau­chistes un peu par­ti­cu­liers, légè­re­ment appa­ren­tés aux trots­kystes, mais sur­tout au guévarisme…

P. Z., Argen­tat (19).

réponse (sur l’irrationnel et la barbarie)

un par­ti moderne autour d’une idéo­lo­gie cohérente

« Jamais tant qu’au­jourd’­hui, les don­nées scien­ti­fiques les plus récentes, tant dans les domaines de la chi­mie, de la bio­lo­gie, de la psy­cho­lo­gie, de la méde­cine ou de l’ur­ba­nisme — pour ne citer que ceux-là — n’ont démon­tré l’im­por­tance, dans le pro­ces­sus de for­ma­tion de la vie des notions d’ordre, de sélec­tion, de hié­rar­chie. De ces notions que, pré­ci­sé­ment, nous reven­di­quons comme bases de notre société. »

(Pré­sen­ta­tion de Pro­po­si­tions pour une Nation nou­velle, mani­feste du Par­ti des Forces Nou­velles, dans Ini­tia­tive Natio­nale — « men­suel des Forces Nou­velles » — N° 5, juillet-août 75.)

Un ouvrage aus­si « sérieux que l’En­cy­clo­pae­dia Uni­ver­sa­lis peut réduire la dis­cus­sion de l’œuvre lit­té­raire et poli­tique d’un Drieu La Rochelle à une ques­tion d’im­puis­sance sexuelle. Le concept d’hys­té­rie de masse, mer­veilleuse alliance du non-homme et du non-indi­vi­du, esca­mote de même la réa­li­té sociale d’un mou­ve­ment. Contre la peste (brune), contre le can­cer (rouge), contre la gan­grène et la pour­ri­ture (démo­cra­tiques). une pro­phy­laxie s’im­pose. Et c’est ain­si que les démo­cra­ties ont pu mettre à leur actif ces magni­fiques triomphes du génie humain que furent Dresde, Ham­bourg, Hiro­shi­ma et Nagasaki…

Je suis bien d’ac­cord peur éta­blir la dis­tinc­tion entre le dis­cours du fas­cisme et sa nature véri­table — encore faut-il voir qu’il n’en va pas autre­ment du sta­li­nisme (ou de la démo­cra­tie répu­bli­caine) — dont la psy­cho­lo­gie de masse n’a pas à être faite, puisque ces pestes-là (la rouge et la tri­co­lore) nous viennent de l’a­po­théose de la Rai­son, l’Être Suprême de Robes­pierre, ins­pi­ra­teur de Lénine. Divi­ni­té humaine bien assoif­fée de sang, et enne­mie de toute huma­ni­té, qui a cau­tion­né toutes les Ter­reurs. De nos jours, c’est bien au nom du Socia­lisme Scien­ti­fique que les contes­ta­taires sont soi­gnés dans les asiles psy­chia­triques de la Patrie du Socia­lisme ; et faut-il rap­pe­ler les expé­riences neu­ro­lo­giques envi­sa­gées contre les « fous » de la R.A.F. ?

Il ne s’a­git pas de faire l’a­po­lo­gie de la folie, qui n’a pas plus — mais pas moins — de sens que celle du crime. Mais il fau­drait bien se deman­der où s’ar­rête (et sur­tout, où com­mence) la rai­son du plus fort…

Quant au point cen­tral de cette lettre, à savoir la faillite du fas­cisme en tant qu’i­déal (contre-) révo­lu­tion­naire de masse, le pro­blème est vaste, et se pose d’ailleurs pour les autres idéo­lo­gies (et rap­pe­lons que Pino­chet n’est pas plus fas­ciste que Bou­me­dienne n’est léni­niste, ou Indi­ra Gand­hi démo­crate). Nous y reviendrons…

P. L.

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