La Presse Anarchiste

La ligue des patrons

Dans une réu­nion qui a eu lieu à Son­ce­boz en avril, les patrons hor­logers du Jura bernois ont con­clu un pacte d’al­liance dont le but n’est rien moins que l’anéan­tisse­ment de toutes nos sociétés ouvrières.

Messieurs les patrons se sont engagés par leur sig­na­ture à ne plus traiter qu’indi­vidu­elle­ment avec leurs ouvri­ers, et à tenir pour nulle et non avenue toute démarche col­lec­tive qui serait faite auprès d’eux.

Voici le texte de ce pacte, qui est cer­taine­ment l’un des faits les plus graves qui se soient pro­duits chez nous depuis des années :

« ART. 1.

« Toutes propo­si­tions émanant de comités d’ou­vri­ers ou four­nisseurs, qui auront pour base la hausse col­lec­tive, ne seront pas pris­es en con­sid­éra­tion par les fabricants.

Il est lois­i­ble à chaque fab­ri­cant de traiter à l’ami­able avec ses ouvri­ers et ses fournisseurs.

« ART.2.

« Les ouvri­ers et chefs d’ate­liers qui ne veu­lent pas se soumet­tre aux exi­gences des comités de résis­tance et se trou­vent sans tra­vail, peu­vent s’adress­er aux fab­ri­cants sous­signés, qui leur ouvrent l’en­trée de leurs ate­liers et se fer­ont un devoir d’oc­cu­per les ouvri­ers qui veu­lent jouir de leur indépendance.

« ART. 3.

« Tout fab­ri­cant s’en­gage à ne recevoir dans ses ate­liers aucun ouvri­er qui ne pro­duirait pas un cer­ti­fi­cat le libérant de ses engage­ments envers son patron.

« ART. 4.

« L’étab­lisse­ment de tri­bunaux de prud’hommes, com­posés de fab­ri­cants et d’ou­vri­ers, est recommandé. »

Ces arti­cles ont été signés par 229 patrons, appar­tenant aux local­ités de St-Imi­er, Sonvil­li­er, Bienne, Trame­lan, Por­ren­truy, Renan, Courte­lary, Cor­moret, Corgé­mont, Fonte­nais, Mon­tignez , Vendlin­court, St-Ursanne, Tavannes, Cornol, Bon­fol, Lugnez, et les Bois.

Quel sera le résul­tat de cette atti­tude nou­velle de la bour­geoisie indus­trielle ? Cette pré­ten­tion à ne pas recon­naître l’ex­is­tence des sociétés ouvrières, à dénier aux tra­vailleurs le droit de faire des actes col­lec­tifs — et cela au moment même où les patrons font, pour leur pro­pre compte, un acte col­lec­tif au pre­mier chef — cette pré­ten­tion abouti­ra-t-elle, comme on paraît l’e­spér­er, à l’écrase­ment de toute organ­i­sa­tion ouvrière ?

Nous ne le pen­sons pas. Nous croyons, au con­traire, que la déc­la­ra­tion de guerre de Messieurs les patrons sera, pour tous les ouvri­ers, une écla­tante démon­stra­tion de la néces­sité qu’il y a pour eux de s’u­nir, de se grouper. Les patrons ne veu­lent avoir affaire qu’aux ouvri­ers isolés, c’est-à-dire faibles et impuis­sants ; n’est-ce pas la preuve que l’in­térêt des ouvri­ers est d’être unis, et que c’est seule­ment par l’u­nion, par l’as­so­ci­a­tion, qu’ils pour­ront sauve­g­arder leurs droits ?

Cette vérité se com­prend chaque jour davan­tage. Aus­si, dans la lutte qui va cer­taine­ment s’en­gager d’i­ci à peu de temps, d’un bout à l’autre de la fab­rique d’hor­logerie, entre les patrons qui veu­lent tuer l’or­gan­i­sa­tion ouvrière, et les ouvri­ers qui ne veu­lent pas se laiss­er tailler à mer­ci, on peut déjà prévoir que l’a­van­tage restera aux ouvri­ers, si ceux-ci savent tir­er par­ti de la force que leur donne l’u­nion et la solidarité.

À la Chaux-de-Fonds, où à la suite d’in­trigues poli­tiques, le par­ti social­iste avait été momen­tané­ment désor­gan­isé, la grève des graveurs a fourni l’oc­ca­sion de con­stituer une fédéra­tion locale des sociétés ouvrières, qui devien­dra le cen­tre de la résis­tance au cap­i­tal. Au Locle et au Val-de-St-Imi­er se pro­duit une agi­ta­tion de bon augure, et nous ne dou­tons pas que d’i­ci à peu de temps l’ex­em­ple de la Chaux-de-Fonds ne soit suivi dans d’autres local­ités. — À Por­ren­truy même, ville où jusqu’à présent per­son­ne n’avait paru s’apercevoir de l’ex­is­tence de la ques­tion sociale, les ouvri­ers ont com­mencé à se con­stituer en sociétés de résistance.

On le voit, le moment est grave. Le mou­ve­ment social­iste, inter­rompu un instant chez nous à la suite des préoc­cu­pa­tions de la guerre, a repris son cours et s’an­nonce d’une manière grandiose. Aus­si le Con­grès de la fédéra­tion jurassi­enne a‑t-il eu grande­ment rai­son, à notre avis, de porter à son ordre du jour « le mou­ve­ment ouvri­er dans l’in­dus­trie horlogère. » 


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