Précisément un de ces livres qui démontrent par contraste avec l’absence d’œuvres plus modernes vraiment dignes de compter que, comme nous venons de le dire de la France en particulier, toute l’Europe vit sur son fonds. En l’espèce, ce n’est d’ailleurs pas le moins du monde une critique, car il faut s’avouer content qu’un document comme cette correspondance entre deux hauts esprits du plus récent passé ait fait l’objet d’une aussi sérieuse publication. Passé est d’ailleurs mal dit : tout d’abord pour Gide, que l’« accident » extérieur de sa mort n’empêche pas d’être, pensons-nous, toujours plus présent, plus actuel. Moins par ce qu’il a créé en « littérature » que par l’exemple insigne de son constant effort vers la sincérité. Et Rilke, à nos yeux, demeure presque également l’un des guides de la sensibilité d’aujourd’hui, surtout, voudrions-nous préciser, par ses œuvres d’ordinaire les moins goûtées en France : les Élégies de Duino et les Sonnets à Orphée. Aussi est-il émouvant de constater dans ces lettres méticuleusement présentées par Mme Renée Lang (son commentaire insiste parfois sur des détails presque trop connus, mais c’est sans doute la nature de la tâche qui voulait cela, car son André Gide et la pensée allemande n’avait aucune lourdeur universitaire), – aussi, disons-nous, est-il émouvant de voir deux grands hommes de génies si divers, s’approcher, puis longuement se comprendre. Encore que pour Rilke la découverte de Valéry l’ait en somme, à partir d’environ 1920, amené à se pencher moins attentivement sur l’œuvre gidienne. Faut-il le regretter ? Peut-être, si l’on songe combien les beaux poèmes par lesquels Rilke pensa traduire ceux de Valéry en réalité les altèrent. Mais, forme à part, eût-il mieux rendu l’exigeante pensée de Gide ? Question oiseuse : l’essentiel, c’est que cette correspondance apporte une inappréciable contribution à l’histoire des rapports entre trois des plus grands d’entre les maîtres de la dernière phase vivante de la vraie culture européenne.
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