Même quand il s’accompagne d’une part de déception, tout film de Chaplin est plus qu’une œuvre importante : un grand événement dans notre vie. Pas d’hésitation possible : Limelight vient au premier rang parmi les créations, ne disons pas seulement de l’écran, mais de l’art d’aujourd’hui. Et cependant l’on peut se demander si la différence dans l’accueil réservé à cette œuvre en Angleterre et en France ne vient pas du fait que le public anglais en a forcément suivi tout le dialogue, le spectateur du continent ayant au contraire le privilège de devoir s’en tenir plus strictement à l’image. La banalité de la « philosophie » des paroles ne peut que gagner à ne pas être entièrement comprise. Mais même l’image seule, il faut bien le dire, laisse perplexe. Certes, rien de plus admirablement réglé que l’évocation du vieux Londres, la pantomime, le ballet, les « numéros » de Chaplin et l’incomparable scène de la mort. Mais moins qu’un film, nous avons ici une série de portraits de Chaplin, chacun très beau, mais dont la suite reste comme figée, statique (impression que dégageait aussi, jadis, « le Cirque »). Peut-être l’hésitation que l’on éprouve à entrer dans le drame vient-elle de la difficulté de croire que ce Chaplin, si débordant de présence, d’intelligence et de génie, est le clown fini qu’il prétend incarner ? – Le sommet de l’accomplissement, c’est, nous a‑t-il paru, le numéro Chaplin-Buster Keaton. Mais combien sinistre. Ce piano, qui perd ses cordes, cette malédiction, sous les espèces de l’instrument, d’un monde qui se détraque, c’est notre monde. On songe et à Kafka et aux catastrophes qui nous guettent. Dans le film, toutefois, cela demeure un prestigieux, et corrosif, morceau d’anthologie.
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