La Presse Anarchiste

Spectacles

On par­le beau­coup d’un fléchisse­ment du film français, et ce ne sont évidem­ment pas deux comédies légères comme Coif­feur pour dames et Adorables créa­tures qui peu­vent pré­ten­dre à en restituer les qual­ités les plus hautes. Au reste n’y pré­ten­dent-elles aucune­ment. Mais l’intelligente grâce de Fer­nan­del dans la pre­mière, l’excellence, dans la sec­onde, du dia­logue, de François Per­ri­er et de ses parte­naires féminins (jamais Edwige Feuil­lère ni Danièle Dar­rieux n’ont été meilleures) sont bien agréables. Et quoiqu’il soit de mode de mépris­er un peu et même beau­coup ce qui, tout bon­nement, peut plaire, sans rien de bas ni coupage de cheveux en qua­tre, l’on se dit que le dix­ième des qual­ités de ces deux œuvres mineures suf­fi­raient ample­ment à ren­dre quelque vie aux fab­ri­ca­tions hol­ly­woo­d­i­ennes, voire même à met­tre un tan­ti­net de lev­ain d’esprit dans nom­bre de films ital­iens des mieux intentionnés.

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Il en faudrait plus du dix­ième pour sauver un navet aus­si navet que Europe 1951, de ce pau­vre Rosselli­ni. Déjà, qu’il emploie désor­mais son tal­ent à s’efforcer de nous per­suad­er de celui de Mme Ingrid Bergmann, si même on se répète que l’on ne peut pas dis­cuter des sen­ti­ments et qu’ils sont tous respecta­bles, il y a des min­utes où, au risque d’être impoli, le spec­ta­teur ose presque s’avouer ce qu’il en pense. Des min­utes qui s’additionnent tout au long de la pro­jec­tion, hélas ! Mais out­re cela, la pho­to est si améri­caine­ment « pro­pre »… Et puis, nous nous rap­pelons le sujet mag­nifique que Rosselli­ni était venu un jour soumet­tre à Silone. Nous nous le rap­pelons, parce que, à la réflex­ion, c’est le même. Seule­ment à tel point banal­isé qu’on a l’impression, lorsqu’on s’en sou­vient, d’être vic­time d’un phénomène de paramnésie. Au fait : puisqu’il est ques­tion de sou­venir, Rosselli­ni, avant de tourn­er Europe 1951, a dû appren­dre par cœur « Le monde où l’on s’ennuie ».

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Le beau film ital­ien, en revanche, que Due sol­di di sper­an­za, de Castel­lani. La thèse, si thèse il y a, en est bien anodine, certes : si dif­fi­cile que soit la vie lorsque, comme partout dans le Sud ital­ien, le tra­vail manque, elle finit par s’arranger. De Daudet à Pag­nol, les « midis » sem­blent avoir un faible pour la « philoso­phie » qui con­siste à dire : soyons philosophes. Avouons que c’est un peu trop éty­mologique. Mais devant ces Deux sous d’espoir, ce qu’on s’en moque ! Tout le cli­mat du pays napoli­tain est là, et son « élo­quence » (mer­veilleux rôle de la Mère), au prix de laque­lle les galé­jades de Mar­seille font presque effet de lacon­isme bri­tan­nique. – Ça, c’est du cinéma.

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Umber­to D, de De Sic­ca, manque de peu d’être aus­si un chef‑d’œuvre. Les pris­es de vues, le per­son­nage de la bonne – admirable scène du réveil de la pau­vre gosse, enceinte –, le mer­veilleux acteur qui incar­ne Umber­to, tout cela devrait être inou­bli­able. Mal­heureuse­ment, le sen­ti­men­tal­isme qui, à la dif­férence de ce qu’éprouvèrent bien des bons juges, nous gênait dans Le voleur de bicy­clettes, recou­vre un peu trop le tout. Ce n’est plus à Alphonse Daudet qu’on pense, mais à des écrivains (?) plus ou moins du Nord : De Ami­cis, voire Hec­tor Mal­ot. Bien sûr, nous sommes injuste. Que l’on veuille bien com­pren­dre que c’est pour mieux crier casse-cou.

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Casse-cou, c’est ce que nous crions aus­si, après la Manon des sources de Pag­nol. Où sont les Angèle d’antan ?

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Il faudrait bien plus qu’une de ces notules pour digne­ment par­ler du chef‑d’œuvre qu’est La Jeune Folle, d’Yves Allé­gret. D’autres auront déjà mieux dit que nous ne sauri­ons taire la qual­ité incom­pa­ra­ble de l’image et du jeu des acteurs. (Hen­ri Vidal est peut-être encore meilleur que Danièle Delorme, dont on sent que Gigi lui était si naturelle qu’il ne l’est pas moins qu’elle veuille ten­ter le con­traire : les grands rôles noirs ; mais on le sent peut-être encore trop.) Ce qui, dans le film, nous aura le plus frap­pé, c’est que, situé dans ce pays d’Irlande dont nous savons en somme bien peu de chose, il est de ce fait comme la tragédie de la révolte en soi. La lutte des ter­ror­istes répub­li­cains, on la suit, on la vit, mais somme toute sans la juger, sans bonne ni mau­vaise con­science. Et c’est ce qui fait que le sujet échappe à la poli­tique, au sens étroit, pour n’être plus que l’évocation, sous les espèces de l’Irlande, de l’atmosphère même de ce temps, – quels que soient les « camps » dont nous puis­sions nous réclamer. Et cela sans jamais devenir épure, à la sou­vent déce­vante façon sar­tri­enne. Film, si l’on ose dire, essen­tielle­ment exis­ten­tiel. Sans prêche aucun. Nulle part cela n’apparaît mieux que dans la journée de la Tou­s­saint : affublés de masques, ces enfants espi­ons (ils voudraient bien touch­er la prime promise par la police à qui l’aidera à « faire » les ter­ror­istes) con­stituent non seule­ment comme un bal­let de l’horreur et de l’abjection inno­cente (voisin, sauf ce dernier trait, des images que nous avons pu voir du Mex­ique), mais encore, par cela même, l’une des expres­sions mal­heureuse­ment les plus véridiques de tout ce que l’époque a, peut-être sans remède, de mau­dit. À ce point-là, mon­tr­er, même ou juste­ment sans inten­tion voulue, accuse, libère. 


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