La Presse Anarchiste

Mouvement social

PARIS. — Same­di der­nier, Sébas­tien Faure a com­men­cé la série des confé­rences qu’il se pro­pose de faire chaque semaine, les mar­di et same­di soir, à la salle d’Ar­ras. Il y a déve­lop­pé ses opi­nions sur la ques­tion sociale et sur les causes de la souf­france morale dont l’hu­ma­ni­té sup­porte de plus en plus impa­tiem­ment le far­deau. Quelques contra­dic­teurs, entre autres MM. Fabe­rot, Mor­dacq, Des­farges, sont venus appor­ter à la tri­bune les objec­tions archi­con­nues et non moins réfu­tées, contre la concep­tion d’une socié­té sans pro­prié­té ni gou­ver­ne­ment. Notre cama­rade n’a eu aucune peine à répondre vic­to­rieu­se­ment à ces banalités.

Au cours de la dis­cus­sion, le public pré­sent dans la salle a fait quelque tapage ; et c’est à regret­ter. Pour ma part, je ne sau­rais admettre l’in­to­lé­rance qui couvre la voix d’un contra­dic­teur et l’empêche de pré­sen­ter ses objec­tions quelles qu’elles soient. Les cris d’a­ni­maux et les sif­flets ne sont pas des argu­ments et de tels pro­cé­dés de dis­cus­sion dénotent chez ceux qui s’y livrent une bien maigre confiance en la jus­tesse de leur cause, puis­qu’ils paraissent redou­ter pour elle la pro­duc­tion au grand jour d’ar­gu­ments adverses.

N. B. — Les confé­rences du same­di soir de chaque semaine seront seules contradictoires.

— O —

encore les omni­bus. — C’é­tait à pré­voir. Aus­si­tôt après la ren­trée des gré­vistes, la Com­pa­gnie s’est empres­sée d’a­bu­ser lâche­ment de sa vic­toire, en révo­quant en masse tous ceux qui s’é­taient plus ou moins signa­lés au cours de la grève par leur esprit de soli­da­ri­té. Hypo­cri­te­ment, elle a paru faire des conces­sions, se réser­vant le droit cepen­dant de ne pas reprendre ceux des gré­vistes dont l’at­ti­tude aurait été par trop inju­rieuse à son égard. Les gré­vistes, comp­tant sur la bonne foi d’un Cuvi­not, sont ren­trés béné­vo­le­ment après trois jours de chô­mage, lâchant le pré­sident et le secré­taire de leur syn­di­cat, vic­times de leur dévoue­ment. Une fois retom­bés entre les griffes de la puis­sante com­pa­gnie, ils ont vu tous ceux d’entre eux qui, par leur indé­pen­dance ou l’éner­gie de leur carac­tère, avaient acquis l’es­time de leurs cama­rades, impi­toya­ble­ment éli­mi­nés sans autre rai­son si ce n’est que la Com­pa­gnie voit en eux un élé­ment de résis­tance à ses fan­tai­sies oppressives. 

Ceux-ci ont adres­sé à la popu­la­tion pari­sienne un appel que plu­sieurs jour­naux ont repro­duit. De nou­veaux bruits de grève cir­culent. Il est à sou­hai­ter, si la menace est mise à exé­cu­tion que la pro­chaine grève ne se ter­mine pas, comme la pré­cé­dente, en eau de boudin.

— O —

Les allu­met­tiers — Encore une grève qui vient de finir sur la simple pro­messe que les desi­de­ra­ta des gré­vistes feraient l’ob­jet d’une étude. Les ouvriers allu­met­tiers se sont mis en grève parce qu’ils en avaient assez d’être empoi­son­nés par le phos­phore qu’ils manient et absorbent par tous les pores, du matin au soir. Rien n’é­tait plus simple que de chan­ger le phos­phore employé, ou phos­phore blanc, en phos­phore amorphe, lequel est inof­fen­sif. Cette petite modi­fi­ca­tion eût évi­té la mort pré­ma­tu­rée, ame­née par une prompte décom­po­si­tion de l’or­ga­nisme, de tous les tra­vailleurs de cette indus­trie. Mais, et c’est là le prin­ci­pal, le phos­phore amorphe est un peu plus cher. Donc, pour une ques­tion de quelques gros sous, pen­dant des années, on a lit­té­ra­le­ment empoi­son­né des mil­liers d’hommes, et l’empoisonneur était l’É­tat. Il a fal­lu que ces mal­heu­reux refu­sassent, pour engrais­ser quelques ronds-de-cuir, d’ab­sor­ber plus long­temps ce ter­rible poi­son, pour qu’on se prît à obser­ver qu’en effet, il y aurait peut-être lieu d’exa­mi­ner si l’on ne pour­rait pas mettre un terme à cet assas­si­nat orga­ni­sé. C’est que le sujet demande réflexion ! 

L’Ad­mi­nis­tra­tion va donc être invi­tée à recher­cher les voies et les moyens d’ar­ri­ver à une entente en vue de sub­sti­tuer le phos­phore amorphe au phos­phore blanc. Len­te­ment, gra­ve­ment, pesam­ment, on dres­se­ra rap­ports sur rap­ports, puis, quelque jour, quelque employé flé­mard oublie­ra le dos­sier dans un car­ton et les trop cré­dules ouvriers conti­nue­ront de suc­com­ber à l’intoxication. 

À qui la faute ? sinon aux gré­vistes eux-mêmes qui n’ont pas su, dès le début, poser éner­gi­que­ment leur reven­di­ca­tion : Plus de phos­phore blanc ou plus de tra­vailleurs ! Ils se sont lais­sé endor­mir par une nuée de poli­ti­ciens plus com­pa­tis­sants les uns que les autres, venant, en échange de la pro­tec­tion offerte, s’as­su­rer quelques uni­tés de plus au chiffre des suf­frages futurs, et s’en sont fiés à eux pour obte­nir gain de cause. 

M’est avis que l’a­ve­nir leur fera perdre cette illusion.

André Girard (Max Buhr)

— O —

Le groupe des étu­diants socia­listes révo­lu­tion­naires inter­na­tio­na­listes de Paris, se réunit tous les mer­cre­dis, à 8 h 12 du soir, 7, rue Cor­neille. Mer­cre­di pro­chain, 22 mai, il don­ne­ra, salle Octobre, rue de la Mon­tagne-Sainte-Gene­viève, une confé­rence faite par Jean Alle­mane, sur le mou­ve­ment syndical.

— O —

Cha­tillon — Nous avions reçu la semaine der­nière une lettre de H. Duch­mann, adres­sée au pré­fet de police, et dans laquelle ce cama­rade se plaint des vexa­tions dont il a été vic­time. La place nous a man­qué pour l’in­sé­rer ; et comme elle a été publiée par divers jour­naux, nous nous bor­ne­rons à la résu­mer. Le domi­cile du cama­rade Duch­mann a été déva­li­sé pen­dant son absence par des gens de police, sur la dénon­cia­tion d’un voi­sin qui avait pris une cou­veuse arti­fi­cielle pour une machine infer­nale. On lui a en outre inter­cep­té un colis conte­nant des vête­ments, sous pré­texte qu’il conte­nait des matières explo­sives ; depuis des semaines, il n’a pu ren­trer en pos­ses­sion de ses objets. Le pré­fet de police ferait-il cou­ver pour son compte des petits policiers ?

A. G.

— O —

Bourges (Cor­res­pon­dance locale). — Vous avez lu sans doute le récit du sui­cide de Chan­te­lat avec ses quatre enfants. J’ai recueilli des ren­sei­gne­ments pré­cis sur la situa­tion de sa famille. La presse locale a fait tout ce qu’elle a pu pour dégui­ser la véri­té afin qu’on ne sache pas que c’est la misère qui a pous­sé cet homme au déses­poir. Voi­ci la vérité : 

Chan­te­lat était jour­na­lier ; le sort des jour­na­liers, à Bourges, est assu­ré­ment plus mau­vais que ne l’é­tait ci lui des esclaves. Les jour­na­liers ne gagnent pas en moyenne 400 francs par an, sans être nour­ris, et je parle des hommes dans la force de l’âge. Cette année, au mois de mai, nous étions de quatre à cinq cents sans tra­vail. Un che­min était à faire ; aus­si­tôt ce fut une pro­ces­sion de gens allant deman­der de l’ou­vrage ; à la lâche, les meilleurs ouvriers gagnaient 20 sous par jour, et cela, je le répète, au mois de mai. Les confi­dences que plu­sieurs m’ont faites étaient navrantes ; plu­sieurs m’ont dit qu’il leur arrive sou­vent de pas­ser plu­sieurs jours sans manger ! 

Quant à ce pauvre Chan­te­lat, c’é­tait, de l’a­veu de tous ses voi­sins, un homme irré­pro­chable. Encore était-il un pri­vi­lé­gié, car il n’a pas tou­jours man­qué d’ou­vrage cet hiver, où il gagnait 23 sous par jour, sans être nour­ri. Et depuis quelque temps il gagnait 15 francs par semaine, ce qui, en tenant compte des dimanches et des fêtes, fait 2 francs par jour. Mais il avait quatre enfants, et depuis trois jours il était sans tra­vail, le déses­poir s’empara de lui et sa déter­mi­na­tion fut prise ; à quoi bon lut­ter davan­tage ? Quant à men­dier, jamais il n’y consen­tit. Voyant qu’il en serait réduit, pour vivre, à faire comme les autres jour­na­liers, c’est-à-dire, en tra­vaillant beau­coup, à avoir recours à l’au­mône, il pré­fé­ra mou­rir avec ses quatre enfants, plu­tôt que de lais­ser ceux-ci à cette socié­té infâme. Quand on pense aux pri­va­tions qu’il a dû endu­rer avec 23 sous par jour pour six per­sonnes, on peut com­prendre qu’il fût las de la vie. J’ai enten­du quelques per­sonnes, igno­rant com­bien peu gagnait cet homme, le mau­dire parce qu’il avait détruit ses enfants. 

Mais n’est-ce pas ceux qui pré­lèvent sur le salaire du jour­na­lier de quoi satis­faire un luxe homi­cide qui ont en réa­li­té enrou­lé des cordes autour des membres de ces pauvres enfants et les ont pré­ci­pi­tés dans le canal où ils se sont noyés ?

E. B.

— O —

Nemours. — Notre dépo­si­taire de Nemours se plaint des pro­cé­dés du com­mis­saire de cette ville, qui lui a pris, mal­gré ses pro­tes­ta­tions, un exem­plaire de notre pre­mier numé­ro, en refu­sant, bien enten­du, de le payer. 

Voyons, mon­sieur le Com­mis­saire, pour­quoi tara­bus­ter un mal­heu­reux ven­deur en lui arra­chant ain­si une mar­chan­dise qu’il paie ? Si les appoin­te­ments que la Pré­fec­ture vous alloue ne vous per­mettent pas de dépen­ser 0,10 cen­times par semaine et que la lec­ture des Temps Nou­veaux vous tienne tant au coeur, eh ! que ne te dites-vous ? Nous ne consi­dé­re­rions pas comme une lar­gesse au-des­sus de nos moyens de vous faire le ser­vice gra­tuit du journal.

— O —

Mont­ceau-les-mines : On lit dans le Rap­port des Travailleurs : 

Bonnes gens de Dijon, Besan­çon, Cha­lon ou autres lieux, tra­vailleurs des villes et des champs, qui conser­vez une ombre d’in­dé­pen­dance, qui pou­vez lire votre jour­nal sans être espion­nés, qui arran­gez votre vie et votre inté­rieur sinon comme vous le dési­re­riez, mais du moins sans que votre patron s’en pré­oc­cupe, vous ne pou­vez vous faire une idée de l’en­fer qu’est la mine. 

Non seule­ment le métier a des dan­gers consi­dé­rables, cer­tains, connus, trop tris­te­ment célèbres même. Mais encore le mineur est hié­rar­chi­sé, exci­té contre ses frères, pous­sé à la bas­sesse et traî­né, à l’é­glise. On lui brise le corps, on tenaille ses convic­tions, on tue son éner­gie et on abru­tit son cerveau. 

Esclave à la mine, il est encore esclave chez lui. Il doit prendre garde à ses voi­sins, à ses paroles, à ses gestes et se cacher même de sa famille, de crainte qu’il ne trans­pire au dehors quelque chose de ce qu’il aura dit dans un mou­ve­ment d’in­dé­pen­dance, une lueur de raison. 

Le gri­sou l’a­bat, l’as­phyxie, le guette, l’é­bou­le­ment le menace, peu importe. Qu’il se taise ou qu’il chante les louanges de la Com­pa­gnie ! Une seule amé­lio­ra­tion s’offre à lui : qu’il vende sa conscience et 27 sous le récom­pen­se­ront de sa lâcheté. 

Aus­si beau­coup suc­combent : 1 380, dit-on ; c’est exa­gé­ré, sans doute, mais c’est très signi­fi­ca­tif. Mais le plus triste, c’est que ces pauvres mou­chards ont conscience de leur vile­nie et font tout pour se cacher. Ils craignent le bruit que l’on fait autour d’eux et enragent de ne pou­voir l’é­touf­fer. La pré­sence d’un de leur cama­rade éman­ci­pé de la mine est une honte pour eux, c’est le remords vivant qui les pour­suit sans trêve. Pour un peu, cer­tains lui don­ne­raient la chasse sans que la Com­pa­gnie le leur ordonne, s’ils ne crai­gnaient la ven­det­ta des hommes libres. 

Cette rage se tra­hit chez leurs femmes, ins­tru­ments sou­vent aveugles des haines des époux et des frères. Esclaves elles-mêmes des hommes, elles se font encore les com­plices de l’as­ser­vis­se­ment de ces derniers. 

La Presse Anarchiste