La Presse Anarchiste

Lectures

Il s’agit d’une réédi­tion, et nous ne sau­rions rien ajou­ter à ce que d’autres ont déjà si bien dit de cet admi­rable livre. Rare­ment, sous la plume de ce grand écri­vain qui fut un si grand esprit, a‑t-on mieux pu sen­tir toute sa ver­tu de luci­di­té, telle qu’elle se mani­feste dans ces pages d’avant une mort, comme on l’écrivit, si magni­fi­que­ment « concluante ».

Aus­si nous conten­te­rons-nous de rele­ver un pas­sage très étrange, mais qui n’en paraît pas moins avoir jusqu’ici échap­pé à l’attention, sans doute parce que cette « étran­ge­té » est com­mu­né­ment répan­due chez nombre des intel­lec­tuels qui lisent Gide. C’est, à la page 166, ces lignes : « Des mil­liers de gens sont prêts à don­ner leur vie pour ame­ner un meilleur état des affaires ter­restres : pour plus de jus­tice, pour une répar­ti­tion plus équi­table des biens maté­riels », écrit André Gide ; puis, il conti­nue aus­si­tôt : « Je n’ose ajou­ter (c’est nous qui sou­li­gnons) : pour plus de liber­té, parce que je ne sais pas très bien ce que l’on entend par là ».

Est-ce à dire que cette leçon de liber­té que tant d’esprits ont trou­vée chez Gide (et sur laquelle a pré­ci­sé­ment tenu à insis­ter Renée Lang dans la belle lettre que nous repro­dui­sons plus loin) serait en somme contre­dite par toute une part de sa pen­sée ? Si cela était vrai, ce serait assez grave, pour Gide et pour nous tous qui l’aimons. Mais en véri­té, ce n’est pas sa pen­sée qui est ici en jeu : Gide, — et c’est sans doute la consé­quence de ses ori­gines et de sa condi­tion d’écrivain trop pri­vi­lé­gié — en fait jamais ne s’avisa de pen­ser le pro­blème de la liber­té poli­tique. Céci­té, répé­tons-le, étrange ; sur­tout si l’on songe qu’elle n’empêche pas pour autant l’appel à la liber­té qui se dégage de sa vie et de son œuvre de valoir aus­si là même où il les dépasse. À bien y réflé­chir, peut-être n’est-il pas jus­te­ment, pour Gide, plus irré­fu­table signe de grandeur. 

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