La Presse Anarchiste

Lettre de Renée Lang

Nous avons d’autre part, à pro­pos de notre note sur sa belle édi­tion de la « Cor­res­pon­dance de Rilke et d’André Gide », reçu de Madame Renée Lang la pré­cieuse lettre sui­vante, qui pose au mieux, nous semble-t-il, un pro­blème cen­tral quant à la juste com­pré­hen­sion de la pen­sée gidienne, autre­ment dit la ques­tion de la sin­cé­ri­té et de la liber­té chez Gide :

[/​Minusio, le 14 juin 1953./]

Cher Jean Paul Samson,

Je reçois votre pre­mier cahier « Témoins » et vous en féli­cite. J’aime sa res­tric­tion : res­tric­tion dans ses fins, res­tric­tion dans l’expression, res­tric­tion — si je com­prends bien — dans le nombre de ceux qui y par­ti­cipent acti­ve­ment ou pas­si­ve­ment. Car je crois avec André Gide dans le petit nombre. « Le monde sera sau­vé par quelques-uns ».

Et ceci m’amène à vous par­ler de votre note sur la Cor­res­pon­dance Rilke-Gide que j’ai édi­tée. Quand vous y dites que Gide est « tou­jours plus pré­sent, plus actuel » (p. 51), je suis d’accord, et cela peut-être d’autant plus qu’il est moins lu. L’apogée de l’influence est atteinte lorsque celle-ci « est dans l’air ». La jeune géné­ra­tion, qui le rejette en grande par­tie, ne sait pas à quel point elle l’a absor­bé, même sans le connaître de source directe.

Mais ce n’est pas de cela que je vou­lais vous par­ler, mais plu­tôt du pas­sage où vous dites que l’importance de Gide réside sur­tout dans « l’exemple de son constant effort vers la sin­cé­ri­té » (p. 52). Non, cher ami, je crois plu­tôt que sa grande, sa magni­fique valeur pour nous est dans son effort constant vers la liber­té. Je ne connais pas d’auteur dont l’œuvre et la vie aient si inal­té­ra­ble­ment déga­gé de la liber­té. Là, il n’a jamais failli… Certes, son désir de sin­cé­ri­té a tou­jours été authen­ti­que­ment sin­cère. Mais n’est pas sin­cère qui veut. Avec son fonds de puri­ta­nisme et sa sen­sua­li­té tou­jours en éveil (jusqu’à la veille de sa mort) qui lui fai­sait si sou­vent perdre sa clair­voyance, il a for­cé­ment tri­ché un peu. Lais­sons cela. Gide, dis­pen­sa­teur de liber­té, est un titre suf­fi­sant à sa gloire immortelle !

Atten­ti­ve­ment et amicalement

[/​Renée Lang/​]

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