La Presse Anarchiste

Spectacles

Maigre mois­son de spec­tacles en ces mois de cha­leur (cette année, ce fut long­temps une façon de parler).

Ni Les Vacances de Mon­sieur Hulot de Jacques Tati ni Le Salaire de la peur de Georges‑H. Clou­zot, ne nous ont paru méri­ter tout à fait les éloges décer­nés, avec quelque hési­ta­tion, il est vrai, au pre­mier, et, au second, avec un si osten­ta­toire enthou­siasme. Que ces Vacances sont donc en deçà de leur inten­tion, sur­tout après l’inimitable (jus­te­ment) Jour de fête. Et com­bien Le Salaire de la peur, après une pre­mière moi­tié d’une beau­té ciné­ma si incon­tes­table que Claude Mau­riac a cru la voir aus­si dans la seconde, non seule­ment reste fidèle à cette lour­deur que Clou­zot confond trop sou­vent avec le grand style, mais encore — boue et encore boue, explo­sions et encore explo­sions — se perd dans les « trucs » de stu­dio, au point qu’il est bien dif­fi­cile de conti­nuer à « y croire ».

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C’est peut-être stu­pide, mais cer­taines « occu­pa­tions », de l’un et de l’autre, font encore que nous aime­rions beau­coup mieux ne pas tres­ser des cou­ronnes à Sacha Gui­try et à Michel Simon. Mais ce serait man­quer à la plus élé­men­taire hon­nê­te­té que de ne pas recon­naître que La Vie d’un hon­nête homme est un chef-d’œuvre, et que Michel Simon y est meilleur que jamais. Aus­si quelle occa­sion : incar­ner à la fois (ils sont jumeaux) un clo­chard et son salaud de frère de grand bour­geois « hon­nête ». Qui sait si la gran­deur de cer­tains talents — et nous pen­sons aus­si à l’auteur — ne leur vient pas de leur « com­pli­ci­té » avec la vie ? Cette vie dont l’admirable chan­son de Mou­loud­ji nous répète tout au long du film qu’on ne peut pas la pas­ser « à se foutre à l’eau ».

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Où avons-nous donc lu que Reviens, petite She­ba, de Daniel Mann, était une affli­geante des­crip­tion de l’american way of lite ? — un film d’où il res­sor­ti­rait que la jeu­nesse et la beau­té n’ont jamais été que des trompe‑l’œil cachant pro­vi­soi­re­ment l’irrémédiable lâche­té et la lai­deur d’âme des êtres humains ? Curieux, — ce doit être une ques­tion de géné­ra­tions. Le pro­ba­ble­ment jeune cri­tique (impos­sible de retrou­ver son nom) qui a écrit cela a dû prendre dia­ble­ment au sérieux le voyons-tout-en-noir à quoi l’on réduit sans doute l’existentialisme dans les cafés de Saint-Ger­main-des-Prés. À moins que (mais les deux choses vont par­fai­te­ment ensemble) ce qu’il faille abso­lu­ment voir en noir, c’est tout ce qui vient d’Amérique ? Ques­tions que nous sommes bien obli­gé de nous poser lorsque nous nous rap­pe­lons cette his­toire navrante d’un pauvre raté et de sa femme un peu veule, un peu sotte, tous deux gar­dant pour­tant le res­pect de leur pas­sé et même de la misère que, pour l’autre, ce pas­sé est deve­nu en se trans­for­mant en pré­sent. Un film noir ? Bien au contraire, l’un des rares films vrai­ment humains, « chré­tiens » qui nous soient venus de la puri­taine Amérique.

Émou­vant et authen­tique — rare alliance ! Seule­ment voi­là, ce que nos contem­po­rains se refusent sans doute le plus cou­pa­ble­ment à voir, c’est que le déses­poir peut ensei­gner la pitié.

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Il n’y aurait cer­tai­ne­ment pas lieu de par­ler de L’Homme au masque de cire, s’il s’agissait seule­ment du film. Comme mélo, on n’a jamais fait pire. Et que dire du dou­blage ? (On sait que l’un des graves incon­vé­nients du film en relief est de ne pas tolé­rer les sous-titres, et donc de condam­ner le public étran­ger à les entendre tou­jours dou­blés). Dame, vu l’innovation tech­nique, le suc­cès était cou­ru ; alors, pour le bara­tin, on y est allé à l’économie. Au moins y avait-il ain­si de quoi se dis­traire du « drame ». — Mais que pen­ser de cette pre­mière pro­jec­tion (pre­mière pour nous) d’un film en relief ? Bien sûr, ce n’est pas encore tout à fait au point, et tout le monde a par­lé « du flou », du flot­te­ment sub­aqua­tique de cer­tains mou­ve­ments ou chan­ge­ments de plan. Mais la tech­nique se per­fec­tion­ne­ra, n’en dou­tons point. Quant à savoir si la chose est viable com­mer­cia­le­ment, ce n’est pas à nous de la tran­cher. Mais ce que nous croyons pou­voir dire, c’est que, en dépit de tant de cri­tique, si sem­blables en somme à celles qui ont accueilli la créa­tion du par­lant, il y a là — en puis­sance — d’étonnantes et nou­velles res­sources. En prin­cipe, rien n’empêche qu’on ne puisse, avec le relief, faire un jour de très belles choses. 

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