Rappel utile de quelques faits politiques
- Fin 74, 9 libertaires, soupçonnés d’appartenir aux Groupes d’Action Révolutionnaire Internationalistes et d’avoir participé aux différentes actions menées par ceux-ci (Tour de France, blocages des frontières franco-espagnoles, etc.) pour dénoncer la dictature franquiste et ses complices objectifs, les États « démocratiques », sont emprisonnés en France.
Les dossiers de 7 d’entre eux sont immédiatement pris en charge — dès leur arrestation — par la Cour de Sûreté de l’État. Ils sont inculpés de « destruction d’édifices publics, etc. (…), infractions en relation avec une entreprise individuelle et collective consistant ou tendant à substituer une autorité illégale à l’autorité de l’État ». Les dossiers des deux autres emprisonnés sont pris en charge par le Tribunal de Grande Instance de Toulouse.
- Dans le cours de l’année 1975, la Cour de Sûreté de l’État prend en charge tous les dossiers concernant les inculpés dans « l’affaire des GARI ». Elle remettra en liberté 5 d’entre eux (un sixième inculpé sera remis en liberté début 76).
- Mars 76 ! Après 18 mois d’instruction menée par la C.S.E., il reste encore 3 inculpés emprisonnés, c’est-à-dire en détention préventive exceptionnelle (depuis la Révolution, la loi prévoit en effet que, pour les prévenus — présumés innocents puisqu’ils n’ont pas encore été condamnés — la liberté est la règle et la détention l’exception. Mais on n’ignore pas que la lecture et surtout l’application du Code Pénal, peut se faire à deux niveaux : la lettre et l’esprit. Et dans ce cas bien précis les juges ont plutôt tendance à appliquer leur esprit…).
Et c’est donc après 18 mois d’instruction, c’est-à-dire à la fin de celle-ci, que la C.S.E. s’aperçoit qu’elle n’est pas compétente pour juger « l’affaire des GARI » ! ! Elle se dessaisit du dossier et le refile au Tribunal de Grande Instance de Paris — Cour d’Assises —, ou plutôt Lecanuet le refile au juge Pia, bien connu comme étant un des plus zélés serviteurs du Pouvoir. C’est ainsi que les inculpés dans « l’affaire des GARI » sont devenus aujourd’hui des « bandits » grâce à Lecanuet et son fidèle valet Pia. Celui-ci aurait dit à l’un des inculpés : « maintenant la politique c’est fini, vous êtes des malfaiteurs » !
Le rappel de ces quelques faits était nécessaire pour comprendre et essayer d’analyser la démarche politico-judiciaire du pouvoir français — qui pourrait paraître illogique ou incohérente à première vue — dans « l’affaire des GARI ».
En effet, la C.S.E. qui est une juridiction d’exception, créée par une loi du 15 janvier 1963 pour remplacer d’autres juridictions d’exceptions nées des événements de l’O.A.S. — et dont la compétence est très large — était nécessaire dans un premier temps. Elle trouve sa justification d’abord en tant qu’instrument juridico-répressif (6 jours de garde à vue, moyens d’investigation) et ensuite/en même temps, en tant qu’instrument purement politique au service du pouvoir. La C.S.E., de son caractère exceptionnel, met en relief les affaires dont elle est saisie (l’affaire des comités de soldats, antimilitaristes étant l’exemple le plus révélateur de la façon dont le pouvoir peut utiliser la C.S.E. à ce niveau-là), et elle s’imposait donc pour les GARI en tant qu’instrument politique au service des relations économico-politiques franco-espagnoles.
C’est ainsi que c’est au cours de l’année 75 que Ponia rassure publiquement et officiellement le gouvernement franquiste en déclarant (à peu près) : « que la France n’est pas une terre d’asile des terroristes, que l’organisation terroriste des GARI a été démantelée et plusieurs de ses membres arrêtés et inculpés par la C.S.E. et qu’ils seront jugés bientôt et je l’espère bien jugés ». Le gouvernement français ayant ainsi donné les preuves politiques de sa bonne volonté de collaboration avec la dictature franquiste, les relations économiques vont pouvoir se développer : contrat SECAM, vente Mirages. AMX 30, construction de centrales nucléaires en Espagne. Etc.
Mais aujourd’hui que Franco est mort, et que le franquisme Juan-Carliste cherche sa voie « démocratique » — en la jalonnant de cadavres comme aux plus beaux jours du franquisme officiel —, les GARI sont dévalués et ne constituent plus une monnaie d’échange efficace. Donc plus besoin de les mettre en avant ; au contraire il faut étouffer au maximum, et pour cela on dessaisit la C.S.E. — quelque peu déconsidérée ces derniers temps (affaires des Comités de Soldats, Bretons, Corses…) et cela pourrait donc être aussi interprété comme une manœuvre politique pour donner satisfaction à ceux qui veulent la disparition de la C.S.E. — et on renvoie le dossier des GARI aux Assises.
Manoeuvre efficace s’il en est puisqu’elle permet :
- de recommencer l’instruction à zéro — alors que celle-ci était terminée en C.S.E. — donc de traîner l’affaire pour l’étouffer et juger/condamner quand ça les arrange ;
- de « déconsidérer » les GARI (« pas politiques, bandits ») évitant ainsi un procès purement politique.
Et les résultats ne se sont pas fait attendre : le… Bernard Réglat, dont le nom apparaît, parmi une centaine d’autres, dans le dossier des GARI. mais que ni Gallut ni Seguin, juges auprès de la C.S.E. ayant eu à instruire le dossier, n’avaient estimé nécessaire d’interroger, est arrêté à Toulouse. sur son lieu de travail, c’est-à-dire l’imprimerie 34 (celle-là même qui avait été plastiquée par les fascistes quelques jours avant). Ici, il faut signaler que le journal « Le Monde » avait fait passer, deux jours auparavant, l’information officielle concernant la décision ministérielle de dessaisir la C.S.E. du dossier des GARI, informant aussi que 3 individus concernés dans cette affaire étaient en fuite, dont B. Réglat. Peut-on être considéré en fuite lorsqu’on a été interrogé plusieurs fois par la police pendant l’année 75, pour d’autres affaires, et encore tout récemment lors de la dernière rafle opérée à Toulouse, à grand renfort de publicité, pour découvrir les auteurs du « complot contre Ponia » ? Oui, cela est possible… et voilà qui pourrait nous rassurer sur l’efficacité de notre chère police.
B. Réglat est donc arrêté et séquestré pendant 5 jours à la maison d’arrêt Saint-Michel de Toulouse — et il s’agit bien d’une séquestration pure et simple (si l’on peut dire), car pour être incarcéré dans une maison d’arrêt il faut légalement et obligatoirement un mandat de dépôt signé par le juge, alors que B. Réglat se trouvait sous le coup d’un mandat d’amener simplement, ce qui n’implique rien d’autre que d’être amené « librement » devant le juge ; il est donc transféré à Paris après ces 5 jours pour être entendu et immédiatement inculpé par le juge Pia, sans qu’aucun élément matériel n’ait pu être retenu contre lui ; seulement, Pia a l’impression que…
Et il semblerait bien que ces méthodes de séquestration arbitraire tendent à se généraliser, puisqu’avant B. Réglat, Sylvie Porte, libertaire elle aussi et soupçonnée d’avoir eu une participation dans le « complot contre Ponia », fut arrêtée le 13 mars dernier à Paris. Victime des mêmes méthodes que B. Réglat, elle dut passer une semaine à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, sans qu’aucune inculpation ne lui soit notifiée. Ensuite, elle fut transférée à Toulouse, où elle devait être finalement écrouée et inculpée par le juge Bensoussan de « complicité de détention et de transport de substances explosives ». Aucune preuve matérielle contre elle non plus. Le seul élément qui « justifie » sa détention étant le fait qu’elle était l’amie de R. Touati (encore l’impression d’un juge…) tué ainsi que Diego… par l’explosion d’un engin explosif sur un campus de Toulouse proche de la caserne de C.R.S. où Ponia devait se rendre pour assister aux obsèques de son serviteur Le Goff, tué lors des affrontements avec les vignerons.
On se souvient de la façon dont le pouvoir exploita la mort de ces deux copains « terroristes internationaux, membres des GARI et voulant tuer Ponia ». Cette méthode d’assimilation et d’amalgame est connue pour avoir fait ses preuves. Veut-on faire jouer aux « bandits » des GARI le rôle d’épouvantail que les « bandits » de la Fraction de l’Armée Rouge (Baader, Meinhoff, Esslin, etc.) ont joué en Allemagne, pour faire passer les lois répressives/sécurisantes ?
Aujourd’hui donc, les supposés membres des GARI sont incarcérés en France, dont 3 depuis 19 mois. Il est à craindre que d’autres ne viennent les rejoindre, car si Pia s’est permis d’emprisonner B. Réglat, pourquoi ne ferait-il pas de même pour les autres inculpés dans cette affaire ayant été remis en liberté par la C.S.E. ?
Et il ne s’agit pas ici de revendiquer la C.S.E. plutôt que les Assises, ou l’étiquette de politiques plutôt que de bandits. Il s’agit en premier lieu bien sûr de faire sortir les copains de taule et empêcher que d’autres rentrent, mais aussi et surtout, à travers cette affaire qui est exemplaire par plusieurs points, de combattre le pouvoir qui fabrique la légalité au jour le jour — aujourd’hui les GARI, et demain… ? — ce pouvoir répressif qui se renforce jour après jour de notre passivité.
Hier « politiques », aujourd’hui « bandits » ? Politisons le banditisme !
Nous sommes tous des bandits politiques !
G.E.A.I. (Groupe d’Entraide Anarchiste Internationaliste).