La Presse Anarchiste

La reconstruction de la CNT

C’est le 19 juillet 1936 que débute la guerre civile ; immé­dia­te­ment, se pose en France le pro­blème de la soli­da­ri­té avec les révo­lu­tion­naires espa­gnols et plus spé­ci­fi­que­ment avec les anar­chistes. Le mou­ve­ment fran­çais répond dans un pre­mier temps de façon uni­taire, puis­qu’à la demande de la C.N.T.-F.A.I., dès août 1936, un comi­té anar­cho-syn­di­ca­liste est créé auquel adhèrent l’U­nion Anar­chiste (U.A.), l’or­ga­ni­sa­tion la plus impor­tante, mais aus­si sa récente scis­sion, la Fédé­ra­tion anar­chiste fran­çaise (F.A.F.), ain­si que la C.G.T.S.R.

Mais dès sep­tembre 1936, la C.N.T. rentre dans la Géné­ra­li­té de Cata­logne, puis dans le conseil éco­no­mique, et en octobre la sup­pres­sion du comi­té cen­tral des milices pré­fi­gure la mili­ta­ri­sa­tion de la révolution. 

Le débat est donc ouvert dès le début, quand le comi­té anar­cho-syn­di­ca­liste deve­nu vite comi­té Espagne libre se trans­forme en novembre 1936 en S.I.A, (Soli­da­ri­té Inter­na­tio­nale Anti­fas­ciste) mais sans la par­ti­ci­pa­tion de la F.A.F. ni de la C.G.T.S.R. ; en effet, la F.A.F. (avec Voline et Prud­hom­meaux) refuse la concep­tion « incon­di­tion­na­liste » de l’U.A. qui dit : « toute cri­tique ten­dant à affai­blir la soli­da­ri­té avec la C.N.T.-F.A.I. est à ban­nir de nos rangs ». 

Les ques­tions que sou­lève la poli­tique de la C.N.T.-F.A.I., et que se posent la qua­si-tota­li­té des mili­tants fran­çais (y com­pris ceux de l’U.A.), le cou­rant repré­sen­té par la F.A.F. veut les poser ouver­te­ment et dès main­te­nant. Ces posi­tions cri­tiques seront expri­mées dans les jour­naux sui­vants : « L’Es­pagne Anti­fas­ciste » et « L’Es­pagne Nouvelle ». 

Au congrès de l’A.I.T. de 1937, toutes les délé­ga­tions feront des réserves quant à la par­ti­ci­pa­tion de la C.N.T.-F.A.I. au gou­ver­ne­ment ; comme exemple de cri­tique remar­qua­ble­ment déve­lop­pé, tout le monde connaît le texte de Camil­lo Ber­né­ri « Guerre de classes en Espagne ». En même temps, Sébas­tien Faure, de l’U­nion Anar­chiste, com­mence à déve­lop­per une posi­tion cri­tique lui aussi. 

Pour­quoi ce rap­pel historique ? 

Non pour cri­ti­quer une nou­velle fois les « cama­rades par­ti­ci­pa­tion­nistes » de la C.N.T. et pour pro­cla­mer une nou­velle fois l’é­vi­dence qu’il ne peut (qu’il ne devrait) y avoir d’a­nar­chistes dans un gou­ver­ne­ment (pas plus que dans toute forme ins­ti­tu­tion­na­li­sée de pou­voir). La qua­si-tota­li­té du mou­ve­ment inter­na­tio­nal a fait la cri­tique de cette période, et de toutes les façons le pro­blème ne se pose pas : la C.N.T. n’est pas assez forte pour pré­tendre entrer dans un gouvernement. 

Par contre, ce qui est actuel c’est le rap­port qu’un mou­ve­ment déve­loppe avec un autre mou­ve­ment, rap­port de soli­da­ri­té, de sou­tien, de cri­tique, de fra­ter­ni­té et autres petits pro­blèmes sou­vent épineux. 

La seule posi­tion que nous puis­sions défendre est jus­te­ment celle de la F.A.F. En 1936 : droit de cri­tique sur tout et tout de suite. 

Cela n’est pas seule­ment valable pour le pro­blème espa­gnol, mais devient un prin­cipe de base dans toute la dis­cus­sion sur le pro­blème organisationnel. 

Ce droit de cri­tique, nous l’en­ten­dons jus­te­ment comme le meilleur moyen (en plus de la soli­da­ri­té concrète et maté­rielle) d’ai­der des cama­rades, comme le moyen le plus effi­cace, bien plus que le silence ou l’attentisme. 

Ce ne sont pas les cri­tiques, les droits de ten­dance, les débats, les divi­sions et même les scis­sions qui affai­blissent un mou­ve­ment (car on ne peut les évi­ter et tant mieux) mais au contraire l’in­con­di­tion­na­li­té, le mythe de l’u­ni­té, la volon­té de pré­sen­ter une façade unie à l’extérieur. 

L’é­tude et la cri­tique du cen­tra­lisme démo­cra­tique nous ont appris qu’un mou­ve­ment ne se ren­force pas quand sa mino­ri­té se tait, pour la bonne rai­son qu’elle ne se tait jamais sauf par la force. Quand dans une orga­ni­sa­tion une mino­ri­té n’est pas d’ac­cord avec les déci­sions d’un congrès soit dans la réa­li­té elle scis­sionne soit elle tente de ren­ver­ser la majo­ri­té (et s’y épuise sou­vent au lieu de tes­ter sa propre ligne de manière auto­nome et en pou­vant gar­der de bonnes rela­tions avec le reste du mou­ve­ment) et en tout cas elle n’ap­plique pas vrai­ment les déci­sions votées à la majo­ri­té. Ce sys­tème affai­blit donc le mou­ve­ment. L’u­ni­té d’ac­tion, l’u­ni­té idéo­lo­gique, la res­pon­sa­bi­li­té col­lec­tive sont des mythes aux­quels se sont heur­tés avec un maso­chisme effroyable les bol­che­viques et cer­tains anars avec à la clé des échecs beau­coup plus consé­quents que ceux issus de la mala­die anti-orga­ni­sa­tion­nelle des anar­chistes (pré­ten­due mala­die et pré­ten­du­ment « anti-orga­ni­sa­tion­nelle ») [[On lira avec pro­fit d’a­bord la Pla­te­forrne des anar­chistes russes (dite d’Ar­chi­nof) publiée par l’O­RA, et sur­tout les dif­fé­rentes réponses qui lui ont été faites dont celle de Mala­tes­ta publiée par la F.A. (3, rue Ternaux).]].

C’est dans cet esprit que je me pro­pose d’a­van­cer un cer­tain nombre de posi­tions sur le pro­blème orga­ni­sa­tion­nel, en pre­nant comme objet concret la recons­truc­tion de la C.N.T. en Espagne et plus par­ti­cu­liè­re­ment en par­tant de l’ar­ticle paru dans le numé­ro 5 de la « La Lan­terne Noire ».

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Cet article ne peut lais­ser per­sonne indif­fé­rent ; il com­ble­ra d’aise les uns et fera hur­ler les autres et sur chaque pro­blème sou­le­vé il est cer­tain que des « camps se for­me­ront » et que nous n’en sommes qu’au début du débat (dont les termes ont déjà été posés dans leurs grandes lignes il y a long­temps, nous le verrons). 

Quoi qu’il en soit, il serait sou­hai­table que ce débat fon­da­men­tal puisse avoir lieu de la manière la plus ouverte pos­sible (je veux dire sans que l’ex­clu­sion, le mépris, l’i­gno­rance, la dénon­cia­tion, soit la forme domi­nante) en même temps qu’il ne doit sacri­fier aucun aspect de la posi­tion de cha­cun (je veux dire que le débat public et contra­dic­toire est une mani­fes­ta­tion de la force du mou­ve­ment anar­chiste et non de sa faiblesse). 

Cet article, ain­si qu’un cer­tain nombre d’autres parus dans « Infor­ma­tions ras­sem­blées à Lyon », dans le « Monde liber­taire » et d’autres jour­naux (même bour­geois) montre assez clai­re­ment deux choses : 

  • le mou­ve­ment anar­chiste est en passe de deve­nir un pôle non négli­geable de la vie poli­tique espa­gnole, et « sans tom­ber dans un triom­pha­lisme de bas étage » pro­ba­ble­ment presque aus­si puis­sant que les cou­rants « gau­chistes » réunis ; 
  • le mou­ve­ment qui est en train de naître tend à s’af­fran­chir de deux mala­dies qui le para­ly­saient : l’im­mo­bi­lisme de la plus grande par­tie du mou­ve­ment en exil d’un côté, et de l’autre le frac­tion­ne­ment en de mul­tiples petits groupes, sou­vent sec­taires et « ultra gau­chistes », bien sou­vent concur­ren­tiels entre eux. 

Le pro­blème que je vou­drais poser ici est le sui­vant : la nou­velle C.N.T. par­vien­dra-t-elle à échap­per à cette autre mala­die congé­ni­tale et par­ta­gée par bien des orga­ni­sa­tions : une inca­pa­ci­té de défi­nir ses rap­ports avec ce qui lui est exté­rieur autre­ment que comme une menace pour elle-même ; car cette menace est le signe que l’or­ga­ni­sa­tion est deve­nu un but en soi et non plus un moyen pour réa­li­ser un objec­tif défi­ni. C’est pour ces rai­sons que bien des orga­ni­sa­tions, y com­pris anar­chistes, ont de meilleurs rap­ports avec ceux qui leur sont rela­ti­ve­ment éloi­gnés, et qui donc ne les concur­rencent pas (c’est ce qui donne lieu à la col­la­bo­ra­tion de classe et au fron­tisme) qu’a­vec des cama­rades plus proches, orga­ni­sés ou non. 

Ain­si, il me semble déce­ler dans l’ar­ticle une légère ten­dance à consi­dé­rer que ce qui se situe en dehors de la pro­blé­ma­tique de la recons­truc­tion de la C.N.T. se trou­ve­rait en dehors du mou­ve­ment anar­chiste, en dehors du mou­ve­ment révo­lu­tion­naire ; bien sûr, cela n’est pas dit, et il est pro­bable que les cama­rades ne le pensent même pas comme tel. 

Mais enfin nous pou­vons lire que : 

Page 12, Fred­dy tend à mon­trer que le der­nier cou­rant cité dans le pano­ra­ma des ten­dances liber­taires en Espagne se « montre par­ti­cu­liè­re­ment réti­cent à toute ten­ta­tive de coor­di­na­tion avec les autres groupes liber­taires, sur­tout les anar­cho-syn­di­ca­listes » parce qu’il serait « vague­ment mar­xiste liber­taire », sec­taire, plus ultra gauche que liber­taire, etc., ces der­nières carac­té­ris­tiques, vague­ment mépri­santes (mais la ligne de la C.N.T. peut-elle être dans la période actuelle autre chose que vague ?) sont peut-être exactes, mais on ne peut les relier comme une rela­tion de cause à effet au refus de se coor­don­ner aux anar­cho-syn­di­ca­listes. Il existe trop d’ar­gu­ments sérieux et à dis­cu­ter pour ne pas prendre cette réti­cence en consi­dé­ra­tion, même si dans le même temps on appuie les cama­rades qui tentent de recons­truire la C.N.T.

Le groupe « Auto­no­mia Pro­le­ta­ria » qui serait un groupe extrê­me­ment mino­ri­taire refu­sant tout contact avec les mili­tants anar­cho-syn­di­ca­listes, se voit affu­blé du sobri­quet de « vague­ment conseilliste ». Pour­quoi nous faire croire que ce refus de contact est lié à la « confu­sion » ? Ces cama­rades ont peut-être tort, mais rien ne prouve plus de confu­sion qu’ailleurs ; qui peut en outre pré­tendre en être exempt ; et puis, la C.N.T. à recons­truire est peut-être aus­si le fruit de toutes les confu­sions qui l’ont pré­cé­dées (dont cer­taines posi­tives) de tous ces petits groupes qui se sont faits et défaits, sans cohé­rence appa­rente ni recher­chée, mais ten­tant d’é­chap­per au double car­can de la répres­sion fas­ciste et du « pater­na­lisme » immo­bi­liste de la C.N.T. officielle ! 

Et puis, cama­rades, ne faites pas d’al­lu­sions péjo­ra­tives sur le carac­tère mino­ri­taire d’un groupe, d’une ten­dance, d’une idée ! On est tou­jours le mino­ri­taire de quel­qu’un (la C.N.T. aus­si, nous le savons bien) ; nous cri­ti­quons une action, une ligne poli­tique, non pas parce qu’elle est mino­ri­taire mais parce que nous la jugeons contraire au but que nous poursuivons ! 

Ne repro­dui­sons pas à demi-mot une logique qui, si la C.N.T. se ren­force, risque d’être celle du P.C. avec les groupuscules. 

Par ailleurs, l’ar­ticle que nous dis­cu­tons ici montre avec une très grande clar­té que si main­te­nant un pro­jet orga­ni­sa­tion­nel a pu voir le jour c’est grâce au foi­son­ne­ment de tous les groupes qui ont refu­sé à un moment don­né de s’af­fi­lier aux « forces mères » exis­tantes, de la C.N.T. en exil au P.C. ; des groupes de ce genre, il y en aura tou­jours, et ils repré­sentent une réa­li­té qu’il serait vain de nier ou de vou­loir réduire par le mépris, ou l’i­gno­rance de celui qui pos­sède la force de la véri­té. Au contraire, pour peu qu’ils ne soient pas com­po­sés de gens ayant déjà un pied dans l’in­tel­li­gent­sia ou dans la bour­geoi­sie (et pour qui les cri­tiques néga­tives ne sont qu’un moyen de conser­ver pri­vi­lège et domi­na­tion), ils repré­sentent tou­jours un aspect posi­tif, celui d’une cri­tique pos­sible aux orga­ni­sa­tions (dont on sait le dan­ger qu’elles pré­sentent), celui d’une vigi­lance néces­saire, non pas orga­ni­sée sous la forme d’un par­ti doc­tri­nal comme la F.A.I., mais comme un ther­mo­mètre dif­fus de ce qu’est en train de deve­nir l’organisation. 

Car comme le dit l’ar­ticle p. 15 : 

« … reje­tant tout dog­ma­tisme, il s’a­git de com­prendre que la lutte de classe n’est qu’un aspect, fon­da­men­tal il est vrai, de la lutte contre l’op­pres­sion capi­ta­liste et éta­tique. La lutte des femmes, des jeunes, des mino­ri­tés eth­niques, le com­bat anti­mi­li­ta­risme, la lutte éco­lo­gique, font éga­le­ment par­tie de cette stra­té­gie globale… » 

Mais dire ensuite que « … cette acti­vi­té mul­ti­forme n’est cepen­dant pos­sible que si le mou­ve­ment renouant avec sa tra­di­tion de masse, dis­pose d’une orga­ni­sa­tion de classe suf­fi­sam­ment forte et struc­tu­rée pour inter­ve­nir sur la réa­li­té des luttes… », est à mon sens abu­sif. Car en France, par exemple, cette acti­vi­té mul­ti­forme existe bien réel­le­ment sans qu’il existe une orga­ni­sa­tion de classe forte et struc­tu­rée ; il me semble que l’on devrait plu­tôt dire que ces acti­vi­tés mul­ti­formes ne donnent pas le plein de leurs pos­si­bi­li­tés si elles ne s’im­briquent pas dans un mou­ve­ment plus large, sur des posi­tions de classe, se don­nant des struc­tures d’or­ga­ni­sa­tion, de façon à évi­ter le réfor­misme lié aux luttes par­cel­laires, cette sorte de syn­di­ca­lisme de sec­teur a l’i­mage de la situa­tion fran­çaise (syn­di­cat de la magis­tra­ture, M.L.A.C., M.L.F., médecins…). 

En fait, ce qui serait inquié­tant, c’est que la tota­li­té du mou­ve­ment liber­taire se retrouve dans un seul pôle de regrou­pe­ment ; il faut sou­hai­ter que les cama­rades qui œuvrent à la recons­truc­tion de la C.N.T. puissent gar­der les yeux ouverts envers ceux qui les cri­tiquent ou les refusent, ou sim­ple­ment attendent. 

Répression, provocation et juste ligne

Page 11 il est écrit : « une des consé­quences directes de l’as­sas­si­nat de Puig Antich se véri­fie dans la recru­des­cence des groupes prô­nant la lutte armée. Le sen­ti­ment d’im­puis­sance devant la bar­ba­rie, le déses­poir et la mons­truo­si­té de la répres­sion pro­voquent chez cer­tains groupes ou indi­vi­dus une espèce de fas­ci­na­tion de la vio­lence, indi­vi­duelle ou col­lec­tive ; cette incli­nai­son irrai­son­née et sen­ti­men­tale vers la lutte armée jus­ti­cière aura même ten­dance à atteindre des pro­por­tions inquiétantes. 

« L’en­lè­ve­ment en mai 1974 du ban­quier Sua­rez par le GARI pré­ci­pite les choses. La soli­da­ri­té poli­cière ne tarde pas en effet à se mani­fes­ter. Plu­sieurs mili­tants anar­cho-syn­di­ca­listes de Bar­ce­lone sont immé­dia­te­ment inquiétés. » 

Croyez-vous réel­le­ment qu’il n’y ait rien de « sen­ti­men­tal » dans la construc­tion de la C.N.T. et qu’il ne s’a­git à 100 % que de « réflé­chi » et de « ration­nel » ? Heu­reu­se­ment que non ! 

On peut cri­ti­quer les « ten­dances irrai­son­nées à la vio­lence » et à la « lutte armée jus­ti­ciaire », mais pas en oppo­sant plus ou moins à cela la tran­quilli­té de l’Or­ga­ni­sa­tion, ou du moins le tra­vail sérieux et réflé­chi. Car il n’est pas vrai que l’un gêne l’autre, sinon dans la tête de ceux qui trouvent ain­si une expli­ca­tion facile à leurs échecs ou à leurs dif­fi­cul­tés. N’ou­blions pas que c’est a pos­te­rio­ri que l’on peut géné­ra­le­ment juger de l’ef­fi­ca­ci­té ou même de l’im­por­tance d’un mou­ve­ment. Com­ment est né le mou­ve­ment anar­cho-syn­di­ca­liste en Espagne dans les années 20 sinon aus­si par des coups de mains jus­ti­ciers. Soyons sûrs que dans quelques dizaines d’an­nées, si le mou­ve­ment anar­chiste conti­nue de pro­gres­ser (ou même s’il a dis­pa­ru parce que la révo­lu­tion est faite !) les GARI, le MIL appa­raî­tront au même titre que bien des groupes comme des arti­sans de ce renouveau. 

Qui décide quand et com­ment la lutte armée peut-elle com­men­cer ? On peut, je pense, cri­ti­quer ceux qui la pra­tiquent à un moment don­né (sur­tout bien enten­du quand elle se veut la future armée rouge ou d’a­vant-garde, ce qui n’est pas ici le cas) mais on ne peut pré­tendre qu’ils font le jeu du pou­voir et les exclure ainsi. 

Le pre­mier piège de l’i­déo­lo­gie bour­geoise c’est croire que pour une même cause il n’y a qu’une seule voie. La C.N.T. offi­cielle ne s’est pas pri­vée de pra­ti­quer la même exclu­sive il n’y a pas si long­temps à l’é­gard de la F.I.J.L. ou du groupe 1er Mai, qui sont pour­tant au même titre que le M.I.L. ou d’autres groupes non armés, une des com­po­santes du renou­veau de la C.N.T. et du mou­ve­ment liber­taire. Si des cama­rades pensent qu’il faut conti­nuer dans la voie des actions cri­ti­quées plus haut, ce n’est pas la logique de l’or­ga­ni­sa­tion recons­truite qui doit les en empê­cher. N’ayons pas la mémoire courte et soyons bien per­sua­dés que la future C.N.T. sera consi­dé­rée par les Sta­li­niens comme irres­pon­sable et même com­po­sée d’a­gents pro­vo­ca­teurs. Car c’est bien là que les par­tis et la bour­geoi­sie ont la même façon de voir, à savoir, expli­quer l’his­toire ou un mor­ceau d’his­toire par une action indi­vi­duelle ou par un fait divers ! La pro­vo­ca­tion la plus effi­cace c’est celle qui nous fait inté­grer ce concept au point d’a­voir une vision poli­cière de l’his­toire, et qui nous fait voir dans un proche uti­li­sant une autre voie un enne­mi payé par le pou­voir. C’est là la vrai pro­vo­ca­tion, la plus dan­ge­reuse en tout cas ; les autres — celles dont il est par­lé le plus sou­vent — il faut s’en méfier, bien sûr, ten­ter de les écar­ter, mais bien com­prendre que ce ne sont pas elles qui modi­fient réel­le­ment le sens de l’his­toire… ou d’une lutte. Une action peut faire arrê­ter des cama­rades étran­gers à cette action, c’est vrai ; mais si tel est le cas on peut pen­ser que le rap­port de force est tel que ces cama­rades se seraient cer­tai­ne­ment fait arrê­ter pour ce qu’ils font réel­le­ment. La bour­geoi­sie trouve tou­jours des pré­textes. Évi­tons bien enten­du de lui en four­nir, mais quand elle en trouve, c’est elle qu’il faut accu­ser et non les cama­rades qu’elle a dési­gnés pour jouer le rôle des divi­seurs ou des provocateurs. 

Toutes ces choses ayant été dites, il est pos­sible de pas­ser à l’as­pect plus posi­tif des choses, et essayer de com­prendre ce qu’est à l’heure actuelle la C.N.T., et les pro­blèmes qui s’y posent, en se ser­vant des infor­ma­tions par­cel­laires recueillies sur place et par dif­fé­rentes lec­tures ou dis­cus­sions avec des camarades. 

Infor­ma­tions par­cel­laires, parce qu’il est impos­sible d’a­voir véri­ta­ble­ment une vue d’en­semble, même de l’in­té­rieur et pour les cama­rades espa­gnols, de ce qui se passe à la base, dans la C.N.T., dans les usines, dans les quar­tiers. Pour une rai­son qui tient au carac­tère répres­sif du régime, qui oblige encore très lar­ge­ment à la clan­des­ti­ni­té totale ou par­tielle, pour toute une série d’ac­ti­vi­tés : en effet, si les congrès, les réunions natio­nales de consti­tu­tion, les réunions de délé­gués sont très sou­vent auto­ri­sés ou pour le moins tolé­rés, il n’en est pas de même pour tout ce qui regarde l’ac­ti­vi­té dans les boîtes, la dif­fu­sion de bul­le­tins d’en­tre­prise ou de syn­di­cat. La rai­son en est simple : le régime favo­rise les ins­tances qui risquent de se bureau­cra­ti­ser, les aspects ins­ti­tu­tion­nels des regrou­pe­ments en cours, bref, tous les lieux où peu ou prou il se pêche­ra un jour ou l’autre des « inter­lo­cu­teurs valables ». Or, la recons­truc­tion de la C.N.T. jus­qu’à pré­sent se passe essen­tiel­le­ment à la base, donc à un niveau où le pro­blème de la cir­cu­la­tion de l’in­for­ma­tion reste entier. 

Pour­tant, on peut dire qu’il existe deux carac­té­ris­tiques domi­nantes de la nou­velle C.N.T. ; d’une part la dyna­mique uni­taire créée à l’in­té­rieur du mou­ve­ment anar­chiste, et d’autre part le grand inté­rêt qu’elle sus­cite autour d’elle. Dyna­mique uni­taire dans la mesure où une très grande majo­ri­té des groupes anar­chistes se sont impli­qués dans cette recons­truc­tion. Et cela repré­sente une force poli­tique réelle, contrai­re­ment à ce que pou­vaient pen­ser ceux qui croyaient que l’a­nar­chisme espa­gnol était mort. Pour­tant, cette dyna­mique uni­taire n’est pas fron­tiste en ce sens que le débat sur ce que peut être la nou­velle orga­ni­sa­tion est très lar­ge­ment ouvert. Anar­chistes certes, mais de for­ma­tion ou d’o­ri­gine très diverse : ex-groupes auto­nomes anar­chistes, frac­tions plus ou moins conseillistes, anar­cho-syn­di­ca­listes tra­di­tion­nels, liés à la C.N.T. en exil ou non, groupes for­més dans les luttes ouvrières ou étu­diantes des années 68 à 72… une coha­bi­ta­tion posi­tive où pour l’ins­tant l’ex­pé­rience de cha­cun enri­chit l’en­semble. Un double débat agite donc pour l’ins­tant la C.N.T. : l’o­rien­ta­tion et l’or­ga­ni­sa­tion. Et il est tout à fait pos­sible (et c’est ce que nous sou­hai­tons) que ce qui en sor­ti­ra soit un dépas­se­ment de l’a­nar­cho-syn­di­ca­lisme tra­di­tion­nel, inté­grant la grande masse des acquis de ce mou­ve­ment, en même temps que cer­tains aspects de la cri­tique anti­syn­di­ca­liste (pro­blème des négo­cia­tions, de la poli­tique contrac­tuelle, de l’a­mé­na­ge­ment du sys­tème de vente de la force de travail…). 

Comme exemple que cette pos­si­bi­li­té existe, et que le débat a lieu réel­le­ment, don­nons la parole aux cama­rades de Saragosse : 

Syn­di­cat unique et uni­té syn­di­cale sont deux formes dis­tinctes, voire contradictoires. 

Nous sommes pour l’u­ni­té syn­di­cale et contre un syn­di­cat unique parce que 

  • Les syn­di­cats sont liés à des par­tis poli­tiques à idéo­lo­gie auto­ri­taire et cen­tra­liste, et ne res­pectent pas le pou­voir des assem­blées géné­rales comme seul organe de déci­sion. De plus, l’as­sem­blée géné­rale est l’or­gane édu­ca­tif auquel tous peuvent par­ti­ci­per ; chez ces syn­di­cats, ce sont les délé­gués qui dirigent la lutte. 
  • Pour déve­lop­per la conscience poli­tique il faut la coha­bi­ta­tion de divers cou­rants. Le syn­di­cat unique esca­mote les dif­fé­rences de ten­dance existantes. 
  • Nous refu­sons la dis­tinc­tion syndicat/​politique. Toute lutte pose non seule­ment les pro­blèmes du tra­vail, mais ceux des quar­tiers, de l’en­sei­gne­ment, de la sexualité. 
  • Un syn­di­cat unique veut dire hégé­mo­nie d’une seule ten­dance syn­di­cale au détri­ment des autres ; par exemple au Por­tu­gal, où l’in­ter­syn­di­cale a mon­tré son carac­tère tota­li­taire en frei­nant les luttes spon­ta­nées, en encou­ra­geant « la bataille pour la pro­duc­tion »… pour sou­te­nir le gou­ver­ne­ment où était Vas­co Gonsalves. 
  • Le syn­di­cat unique amène au « contrat social » qui éli­mine le côté révo­lu­tion­naire de toute lutte. 

On nous accuse d’être des divi­seurs. Or si des cou­rants dif­fé­rents existent (et c’est le cas) nous sommes pour ne pas les occulter.

Liber­té syndicale !

(Mani­feste tiré de Acción Liber­ta­ria, 9 août 1976, Saragosse).

Tout en n’étant pas encore une « orga­ni­sa­tion de masse », mais plu­tôt un grand mou­ve­ment ras­sem­blant les liber­taires, la C.N.T. voit concrè­te­ment se poser le pro­blème de son élar­gis­se­ment ; par la sym­pa­thie que sus­cite l’o­ri­gi­na­li­té de ses posi­tions sur la scène poli­tique espa­gnole d’a­bord : c’est la seule orga­ni­sa­tion syn­di­cale à avoir refu­sé tout com­pro­mis non seule­ment avec le fran­quisme, mais encore avec sa nou­velle variante royale : refus de jouer le jeu de la concer­ta­tion, refus de pré­pa­rer dans le calme « le pas­sage à la démo­cra­tie », refus d’é­chan­ger sa léga­li­sa­tion contre son entrée dans une grande force uni­taire. La C.N.T. a par exemple refu­sé de consti­tuer un front syn­di­cal avec l’U.G.T. et l’U.S.O. pour faire contre­poids aux com­mis­sions ouvrières diri­gées par les sta­li­niens, et s’est pro­non­cée clai­re­ment pour l’u­ni­té à la base, et non au niveau des états-majors. L’u­ni­té s’est donc faite entre l’U.G.T., l’U.S.O., et les com­mis­sions ouvrières, lais­sant la C.N.T. appa­rem­ment iso­lée ; mais soyons cer­tains que la clar­té de la posi­tion céné­tiste en même temps que sa jus­tesse se révé­le­ront payantes si, comme tout le monde le pense, les luttes ouvrières ne feront que s’in­ten­si­fier dans les années à venir. 

Cette course effré­née des syn­di­cats et des par­tis d’op­po­si­tion pour se faire recon­naître afin de pré­pa­rer leur place dans l’a­près-fran­quisme, laisse bon nombre de mili­tants de base dans l’ex­pec­ta­tive et des regards se tournent vers la C.N.T.

Le problème des adhésions

Cer­tains syn­di­cats enre­gistrent déjà les adhé­sions par le biais des cartes, d’autres pas. Cela cor­res­pond à des dif­fé­rences locales quant aux pos­si­bi­li­tés d’ap­pa­raître publi­que­ment ou pas en fonc­tion de la répres­sion, mais aus­si à des contra­dic­tions poli­tiques. Contra­dic­tions entre le désir et la voca­tion de s’ac­croître et d’exis­ter, et le dan­ger de faire adhé­rer n’im­porte qui, tant qu’une orien­ta­tion plus défi­nie n’est pas encore fixée. 

Qui adhère en effet, en dehors des anars de toute ten­dance et de leurs sympathisants ?

Certes, des tra­vailleurs ou des groupes de tra­vailleurs qui, déçus par des com­mis­sions ouvrières bureau­cra­ti­sées et prises en main par le P.C.E., sou­haitent se pla­cer sur des posi­tions plus révo­lu­tion­naires. Des tra­vailleurs qui refusent d’é­chan­ger le fas­cisme contre un libé­ra­lisme avan­cé et mus­clé. Des tra­vailleurs qui refusent le mono­pole sta­li­nien ou social démocrate. 

Mais aus­si par­fois il y a demande d’adhé­sion par le biais d’un lea­der que les tra­vailleurs ont sui­vi (ou en qui ils ont confiance) dans le syn­di­cat ver­ti­cal et qui leur a arra­ché quelques avan­tages. Ce lea­der qui veut adhé­rer à la C.N.T. et qui peut entraî­ner 30 ou 40, par­fois 200 ou 300 ouvriers, peut être de plu­sieurs types : 

  • Un ouvrier hon­nête qui a « fait ce qu’il a pu » pen­dant la période fran­quiste et qui voit main­te­nant d’autres hori­zons s’ouvrir. 
  • Un liber­taire, âgé le plus sou­vent, qui a tou­jours refu­sé l’exil, et qui a su main­te­nir tant bien que mal dans le syn­di­cat ver­ti­cal, un noyau, un embryon, pour une future C.N.T. (N’ou­blions pas qu’en 1950 la C.N.T. comp­tait à Bar­ce­lonne encore 50,000 adhé­rents et que ces gens doivent pour une grande part exis­ter encore !) 
  • Mais ce peut être aus­si un authen­tique « ver­ti­ca­liste » dési­reux de noyau­ter la C.N.T.

Déli­cat pro­blème donc que celui des adhé­sions qui outre qu’il peut réin­tro­duire la dis­tinc­tion entre base et som­met, per­met aus­si un cer­tain noyautage.

Quelle C.N.T. ?

Car la lutte pour non seule­ment don­ner une exis­tence réelle à la C.N.T., mais encore la doter d’une orien­ta­tion révo­lu­tion­naire, n’est pas gagnée d’a­vance mal­gré l’éner­gie déployée par l’en­semble des camarades. 

Quels sont les dangers ?

Com­men­çons par le plus extrême mais le plus impro­bable aussi :

Le pou­voir, la C.I.A. et d’autres forces réac­tion­naires ont besoin de créer des forces qui fassent un cer­tain contre­poids au Par­ti com­mu­niste. La carte de la C.N.T. est donc pour eux à jouer, dans la mesure où celle-ci ne serait pas trop révo­lu­tion­naire, et sur la base de l’an­ti­com­mu­nisme des anars. Cette carte a déjà été ten­tée en France à la Libé­ra­tion, et a échoué certes dans les milieux liber­taires, mais a don­né nais­sance à F.O.

Aus­si, en Cata­logne, alors que la C.N.T. était encore en train de naître [[Sont déjà, consti­tués les syn­di­cats sui­vants : Métal, Arts gra­phiques, Bâti­ment, Spec­tacle, Banques, Ensei­gnants, Tex­tiles, « Varies » (ensemble de ceux qui ne sont pas assez forts pour consti­tuer un syn­di­cat).]], une coor­di­na­tion des dif­fé­rents syn­di­cats et des dif­fé­rentes locales s’est consti­tué, avec fort peu de repré­sen­ta­ti­vi­té. En son sein, un ou deux repré­sen­tants de la « ten­dance ver­ti­ca­liste » qui tentent, par le som­met, d’in­flé­chir l’o­rien­ta­tion de la C.N.T. Le piège, trop gros­sier, a été dévoi­lé, mais d’autres ten­ta­tives peuvent se pro­duire encore. 

Une autre pos­si­bi­li­té pour la C.N.T., c’est de deve­nir une orga­ni­sa­tion de type gauche C.F.D.T. (celle de Pia­get et des gau­chistes). Cette hypo­thèse est cer­tai­ne­ment plus sérieuse que la pré­cé­dente dans la mesure où l’é­chec de cette ligne ne dépen­dra pas seule­ment de la « vigi­lance des cama­rades liber­taires », mais du degré de radi­ca­li­sa­tion de la classe ouvrière et en son sein des sec­teurs « auto­ges­tion­naires » de l’U.S.O., ou de l’U.G.T., qui peuvent bas­cu­ler vers la C.N.T. si celle-ci repré­sente un pôle suf­fi­sam­ment attrac­tif et alternatif. 

Ce dan­ger existe d’au­tant plus qu’il appar­tient aus­si à la tra­di­tion Céné­tiste : il a tou­jours exis­té dans la C.N.T. et dans le Mou­ve­ment Liber­taire espa­gnol, un cou­rant réfor­miste. Il a tou­jours été mino­ri­taire et il ne fau­drait pas que la ten­dance se renverse ! 

Enfin, une autre voie pos­sible, c’est une C.N.T. pure et dure, mais tel­le­ment sque­let­tique qu’elle n’au­rait plus rien à voir avec une orga­ni­sa­tion de « masse » et qu’elle ne serait d’au­cun poids dans la vie poli­tique espa­gnole. Cette hypo­thèse ne se véri­fie­rait que si la C.N.T. « man­quait son entrée dans la vie poli­tique » en cette période de transition. 

Cela ne semble pas être le cas et il semble qu’au contraire les pos­si­bi­li­tés existent d’é­vi­ter les trois obs­tacles précités. 

D’a­bord parce que pour l’ins­tant, le temps pro­fite à la C.N.T. En effet, ce qui carac­té­rise ces périodes de tran­si­tion c’est l’ab­sence d’une ins­ti­tu­tion­na­li­sa­tion des oppo­si­tions syn­di­cales et poli­tiques. Cette absence pro­fite aux oppo­si­tions extra-ins­ti­tu­tion­nelles, aux plus radi­caux, donc aus­si à la C.N.T. C’est ce qui explique la course effré­née que se livre la gauche léga­liste et réfor­miste pour négo­cier « leur recon­nais­sance » avec le pou­voir. C’est ce qui explique aus­si la com­plai­sance du pou­voir envers ces ten­ta­tives. Pour­tant, 40 années de fas­cisme ne per­mettent pas une ins­ti­tu­tion­na­li­sa­tion du jour au len­de­main, tant les bles­sures sont pro­fondes, les contra­dic­tions énormes, et les luttes pour le pou­voir achar­nées. Dans ce contexte, les « luttes sau­vages » ne peuvent que se déve­lop­per… en atten­dant qu’existent de réelles pos­si­bi­li­tés de récu­pé­ra­tion et de remise en ordre. C’est dans ce champ que la C.N.T. joue une bonne carte et c’est dans cette période qu’elle se construi­ra soli­de­ment pour l’avenir. 

Cela explique son sou­tien à toutes les luttes. Cela explique qu’elle est la seule, avec ses moyens, à pra­ti­quer une soli­da­ri­té active avec les tra­vailleurs en lutte, en cette période où tous les par­ti­ci­pants aux regrou­pe­ments démo­cra­tiques (P.C., Maoïstes, P.S…) ne voient dans les luttes qu’un appoint aux futures élec­tions, et donc les freinent ouver­te­ment et officiellement. 

L’autre carte que la C.N.T. est la seule à pou­voir jouer, c’est sa capa­ci­té, grâce à ses prin­cipes orga­ni­sa­tion­nels et à son orien­ta­tion poli­tique, d’in­té­grer à sa pra­tique d’autres aspects de la lutte des classes que sa com­po­sante stric­te­ment éco­no­mique, et liée à l’u­sine, C’est bien sûr là que nous ver­rons si l’a­nar­cho-syn­di­ca­lisme, né sur le déve­lop­pe­ment des forces pro­duc­tives peut se dépas­ser à une époque où il est de plus en plus évident que la socié­té sans classe devra se pas­ser de ce développement.

L’exil

On a, à mon sens, cru un peu faus­se­ment que la C.N.T. renais­sait hors de toute influence de l’exil, ou du moins sans que celui-ci y soit pour grand-chose. Cela n’est pro­ba­ble­ment pas exact car on retrouve à l’in­té­rieur de la C.N.T., en Espagne, toutes les ten­dances de l’exil repré­sen­té par des mili­tants bien réels. Bien sûr, cela est loin d’être la majo­ri­té et il est cer­tain que la grande part des mili­tants céné­tistes actuels sont des jeunes liés aux luttes de ces dix der­nières années. 

Cela explique la façon dont le pro­blème de l’exil est en train de se régler. Lors du Plé­num natio­nal des régions, il a été décidé : 

« La C.N.T. d’Es­pagne pro­clame qu’elle se sent soli­daire de la C.N.T. de l’exil, enten­dant par là tous les cama­rades qui vivent en dehors de nos fron­tières. De même elle pro­pose que des délé­gués de cha­cun des deux groupes de l’exil s’in­cor­porent avec voix au C.N. de l’in­té­rieur, en leur conseillant de trou­ver une for­mule d’ac­cord et de liaison. » 

Donc refus très net de se lais­ser dic­ter une conduite par l’exil, refus aus­si de se lais­ser empê­trer dans les luttes de ten­dance qui ne cor­res­pondent pas à la situa­tion inté­rieure, refus de choi­sir un camp et de se déter­mi­ner par rap­port à l’exil. Auto­no­mie com­plète donc. Il est donc pro­bable que les ten­dances qui se recom­po­se­ront en Espagne ne cor­res­pon­dront pas aux divi­sions que nous connais­sons en France. 

L’exil retrouve donc sa place : un groupe comme un autre dont la simple carac­té­ris­tique est qu’il réside en France : il n’au­ra ni plus ni moins de poids que les autres. 

Ce qui est clair pour l’ins­tant, c’est que ces luttes de frac­tion ne para­lysent pas pour l’ins­tant le déve­lop­pe­ment de la C.N.T. Ces luttes ne sont d’ailleurs pas éga­le­ment intenses dans toute l’Es­pagne. Elles sont plus fortes dans les régions « tra­di­tion­nelles » (Cata­logne, Valence) : elles sont beau­coup plus faibles ailleurs (Madrid, Anda­lou­sie, Aragon). 

Mais enfin, dans l’en­semble, c’est une dyna­mique uni­taire qui l’emporte un peu par­tout, et sou­hai­tons que cela demeure ainsi. 

Nous espé­rons pou­voir conti­nuer, dans « La Lan­terne Noire », à débattre du pro­blème espa­gnol et don­ner le plus d’in­for­ma­tions possible.

Mar­tin

La Presse Anarchiste