La Presse Anarchiste

Lettre de Françoise de Paris

« C’est à la décep­tion que j’ai eue en lisant votre der­nier numé­ro que vous devez cette lettre. J’ai consom­mé pas­si­ve­ment et avec plai­sir les trois pre­miers numé­ros. Les « thèmes pour la contro­verse » étaient un espoir, celui de lire autre chose que des textes redon­dants, fer­més sur eux mêmes, s’é­pui­sant dans leur abs­trac­tion incan­ta­toire. Dom­mage que le piège se soit refer­mé sur vous ; en vous sur­pre­nant peut-être ?

Dans le der­nier numé­ro, plus rien ne trans­pa­raît de cette fameuse éla­bo­ra­tion col­lec­tive dont il était ques­tion dans le pre­mier numé­ro. Les textes sur l’in­té­gra­tion ima­gi­naire du pro­lé­ta­riat (n° 2) et sur la vio­lence (n° 3) étaient accom­pa­gnés de com­men­ce­ment de dis­cus­sion — entre­prise encore limi­tée et qu’il aurait fal­lu pour­suivre ; un bon moyen en tout cas pour que le lec­teur puisse s’y glis­ser — vous n’é­tiez pas tous d’ac­cord à ce qu’il sem­blait… La dis­cus­sion s’est-elle trans­for­mée en monologue ?

On reparle de ce couple vio­lence révo­lu­tion­naire-répres­sion dans le der­nier numé­ro ; mais sous quelle forme ? Un dos­sier indi­geste (11 pages). Cela ne veux pas dire que l’in­for­ma­tion soit inin­té­res­sante, mais, comme le dit P . Lepeintre lui-même, « un tel sujet a déjà fait l’ob­jet de pas mal d’é­tudes »… Au lec­teur de s’y réfé­rer ; et si l’o­pi­nion d’I.A.T. valait d’être connue (?), pour­quoi ne pas l’a­voir sor­tie en bro­chure comme vous le faites pour des articles d’IN­TER­RO­GA­TIONS ou d’A­NAR­CHIS­MO ? L’ar­gu­men­ta­tion de P. Lepeintre, pré­sen­tant ce dos­sier, n’est pas très claire. Se deman­der « ce qu’est la démo­cra­tie » reste bien abs­trait ; il ne s’a­git pas seule­ment « de com­prendre l’é­vo­lu­tion de notre propre socié­té », il s’a­git peut-être aus­si de la trans­for­mer, comme disait l’autre… (mais je suis encore bien naïve). Il faut essayer de com­prendre en quoi cette même réfé­rence à la démo­cra­tie (qu’elle soit occi­den­tale, pro­lé­ta­rienne ou avan­cée) de la part de gens qui ne sont pas assi­mi­lables, rem­plit une fonc­tion idéo­lo­gique, à savoir mas­quer leurs pra­tiques qui vont à l’in­verse de leurs dis­cours. Et c’est, jus­te­ment parce que ce qu’ils font nous écœure que nous pre­nons la peine de savoir ce qu’ils disent. Si j’ai par­lé de fonc­tion idéo­lo­gique, ce n’est pas parce que cela sonne bien mais parce qu’il y a der­rière une répres­sion bien réelle contre laquelle nous devons réagir, lut­ter là où c’est possible. (…)

Le texte de Nico­las sur la dif­fu­sion de la répres­sion ne répond pas à cette attente.

On nous parle des aspects sym­bo­liques du châ­ti­ment, de la fonc­tion qu’ils rem­plissent au niveau de l’i­ma­gi­naire social… On plane… et on doit admettre a prio­ri que l’au­teur (et bien sûr le lec­teur aver­ti de la Lan­terne !) sont dans une posi­tion de rup­ture par rap­port aux atti­tudes col­lec­tives envers le crime, la délin­quance et leur répres­sion ; nous ne sommes pas des « hon­nêtes gens », alors…

Il fau­drait peut-être se deman­der si rup­ture il y a, com­ment elle est pos­sible ; bref, ne pas pas­ser sous silence les pro­blèmes que ce concept d’i­ma­gi­naire social avait sou­le­vé dans le n° 2 (cf. « un com­men­ce­ment de dis­cus­sion »). Mais ce n’est pas ce que j’ai rele­vé de plus impor­tant dans ce texte : « les appa­reils d’É­tat étendent la répres­sion à l’en­semble de la socié­té » et cela parce que la contes­ta­tion s’é­tend par­tout, en pro­fon­deur… (j’in­ter­prète à tort ?).

Je ne demande qu’a en être convain­cue, mais la méta­phore centre-péri­phé­rie n’y contri­bue pas. Peut-être fau­drait-il être plus expli­cite au sujet de ces « nou­veaux illé­ga­lismes » et du dan­ger qu’ils peuvent repré­sen­ter pour le pou­voir éta­tique ; dans quelles mesures leur carac­tère sub­ver­sif va-t-il dans un sens « révolutionnaire » ? (…)

Dans ce texte il n’y a que des allu­sions à la répres­sion et aux contrôles que nous subis­sons, et nous n’ar­ri­ve­rons pas à les situer, encore moins à les abo­lir, en nous repais­sant de ces exhor­ta­tions finales : « des illé­ga­lismes nou­veaux prennent leur place dans la lutte contre la classe domi­nante et s’a­che­minent vers leur for­mu­la­tion poli­tique dans un pro­jet révo­lu­tion­naire. Pro­jet révo­lu­tion­naire capable de réunir dans l’ac­tion (?) l’illé­ga­li­té de l’a­nar­chie avec la poten­tia­li­té révo­lu­tion­naire des classes oppri­mées. » (p. 32)…

Qu’on ne s’y trompe pas ! Je n’at­tends pas de vos textes des « réponses claires et pré­cises » qui assou­vi­raient mon impa­tience à foutre tout ça en l’air… — je ne suis pas une adepte de l’ac­ti­visme sui­ci­daire —. Je m’ac­co­mode très bien de textes qui ne pro­posent rien de concret, d’im­mé­dia­te­ment actua­li­sable, comme par exemple le texte d’A­gathe sur le viol ; j’y trouve un inté­rêt dans la mesure où il dérange ; c’est parce qu’il est une anti-réponse qu’il amorce une réflexion.

La dif­fu­sion d’a­na­lyses nou­velles (anar­chistes ?) n’est inté­res­sante que dans la mesure où elles ren­contrent l’ex­pé­rience quo­ti­dienne, s’en nour­rissent ou la remettent en cause. Pour le dire autre­ment, la dimen­sion cri­tique que vous pro­po­siez, en démar­rant La Lan­terne Noire, implique que la revue reste un moyen de lutte (par­mi d’autres qui sont à cher­cher) et non un but en soi. Ces réflexions s’ins­pirent du der­nier numé­ro de Noir et Rouge, où beau­coup de choses étaient expri­mées plus clai­re­ment que je ne le fais ici. À méditer…

Fran­çoise, Paris. 

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