La Presse Anarchiste

Lire ou ne pas lire

Le père Peinard (Émile Pouget, Éd. Galilée, Paris, 1976)

Éton­nante réédi­tion de Roger Langlais, car le choix d’ar­ti­cles entre 1889 et 1900 est vache­ment actuel. Quelques chouias de sa chi­ure d’en­cre vont vous cha­touiller la caboche.

« On a eu le sacré tort de trop se restrein­dre aux groupes d’affinités. Les groupes d’affinités n’ont pas de racines dans la masse pop­u­laire : étant for­més par des gars dont les idées et les aspi­ra­tions sont com­munes, ils recru­tent dif­fi­cile­ment de nou­veaux adhérents — par le sim­ple motif que, pour désir­er y entr­er, il faut être un peu au courant des idées qui s’y dis­cu­tent, et avoir pour elles un tan­ti­net de sym­pa­thie. Le prob­lème est celui-ci : je suis anar­cho, je veux semer mes idées, quel est le ter­rain où elles ger­meront le mieux ? J’ai déjà l’u­sine, le bistrot… je voudrais que que chose de mieux : un coin où je trou­ve des pro­los se ren­dant un peu compte de l’ex­ploita­tion que nous subis­sons et se creu­sant la tête pour y porter remède… Ce coin existe-t-il ? Oui, nom de Dieu ! Et il est unique : c’est te groupe cor­po­ratif ! Dès qu’un pro­lo rumine sur son triste sort, qu’il se rend compte que son patron le gruge, il ne fait ni une ni deux : il va à la Cham­bre Syn­di­cale. Il sait que là il trou­vera des camaros ayant les mêmes sen­ti­ments que lui et avec qui il se ser­rera les coudes, pour tenir tête aux singes. » (p. 37).

Ce texte de 1894 ne se lim­ite pas à du syn­di­cal­isme débile C.G.T.—F.O.—C.F.D.T., c’est l’adop­tion offi­cielle (Con­grès de Toulouse de la C.G.T. en 1897) du sab­o­tage et du boy­cottage. Pouget était syn­di­cal­iste mais il défendait les attentats :

« Cette société qu’on croy­ait forte, nous avons vu Rava­chol, nous seule­ment la tenir en respect, mais bien plus, la forcer à reculer. Allez, les jean-foutre, rabais­sez votre caquet : votre société de mal­heur est jugée. Elle dur­era ce qu’elle pour­ra, n’im­porte, la cul­bute est inévitable. » (p. 237, 238. : 1892).

Par­di­enne, je sais bien qu’il y a des pleur­nicheux qui la trou­vent mau­vaise : « À quoi ça sert ? », qu’ils ren­gainent. Qu’on crève un con­tre-coup, un singe… qu’on en crève dix ou vingt, ça ne change rien à mis­tou­fle du pop­u­lo. Faut s’en pren­dre aux insti­tu­tions, et pas aux hommes… »

« Les insti­tu­tions, mon bon­homme, je voudrais bien savoir com­ment ça bricol­erait s’il n’y avait pas des jean-foutre pour les faire manœu­vr­er ? (…) N’im­porte, c’est un peti­tot com­mence­ment : pri­mo, c’est des bons exem­ples ; deux­ié­mo, ça donne de l’e­spoir aux pro­los qui voient qu’on est pas tous des avachis : troisié­mo, ça fout la chi­asse aux gross­es légumes. » (p. 229, 230 : 1892).

J’ramène ma fraise because l’op­po­si­tion aux atten­tats, c’é­tait Malat­es­ta et aus­si Kropotkine, plus tard. Et ce syn­di­cal­isme, le Pouget-Pon­tesyn­dica­lo, il s’en est torché le cul quand la Cégète a grossi, d’où cette vom­is­sure typ­ique des anar­cho-syn­ds de tout poil et toute époque : « Chaque fois que se con­stitue un groupe­ment où se trou­vent en con­tact des hommes con­scients, ils n’ont pas à tenir compte de l’a­p­athie de la masse. Il est déjà assez regret­table que les incon­scients se refusent à user de leurs droits, sans encore leur recon­naître l’é­trange priv­ilège d’en­traver la procla­ma­tion et la réal­i­sa­tion du Droit des con­scients. » (Émile Pouget, « Les bases du syn­di­cal­isme », 1904).

Lisez donc le bouquin qu’on a accouché entre frérots (et qu’à la fin on se cri­tique… on n’est pas déma­gos) « Cap­i­tal­isme-Syn­di­cal­isme, même com­bat », chez Spar­ta­cus (hélas).

Impres­sion­nant de con­stater qu’il y a des atten­tats en Espagne (les exé­cu­tions de Mon­tjuich à Barcelone, 1897, p. 245), des flics à gachette facile (1890, 1898, p. 242, 258), la « bar­barie française » de la répres­sion out­re-mer : « Le sol­dat érein­té qui, furi­bond, s’en prendrait à un galon­né, passerait au con­seil de guerre. Au con­traire, celui qui, pour assou­vir sa colère, déquille un mor­i­caud, pié­tine un man­i­fes­tant ou assomme un pro­lo, est félic­ité. » (1900, p. 273), la lutte anti­mil­i­tariste fondée sur morts pour rien pen­dant les manœu­vres : « Mais il y a quelque chose de plus mon­strueux. C’est l’a­p­athie des nicodèmes qui se lais­sent ain­si men­er à l’a­bat­toir. C’est l’a­p­athie du pop­u­lo qui assiste aux déroutes et se borne à chialer sur les malades, à les pom­pon­ner et à les dor­lot­er… La gradaille aurait bien tort de se gên­er ! » (p. 286, 1898).

Ouais, la pas­siv­ité : « Dans les mag­a­sins c’est pareil ou même pire, nom d’une bombe ! Un com­mis fait ses épates parce qu’il touche à la fin d’un mois cent sous de plus que son copain — il donne des ordres avec un air de tranche-mon­tagne qui lui va comme un tabli­er à une vache. » (p. 226, 1890).

À l’en­ter­re­ment des goss­es (tués par leur mère folle de mis­ère) y avait des tas de couronnes don­nées par les voisins. Mille bombes, ça m’a tou­jours foutu en colère ces machines-là ! On ne débours­erait pas un rotin pour empêch­er un vivant de cla­quer et une fois crevé on lui achète des couronnes. » (p. 296, 1889).

Plutôt que de dis­cuter de la vio­lence, vaudrait mieux com­pren­dre pourquoi il y a si peu de vio­lence ! D’où la démarche de Pouget : « Mais foutre, les jeunets ! les lou­pi­ots ! quand vous aurez vu ce que c’est que ris­quer sa peau pour la Sociale (…), alors vous serez débar­rassés de ce qui a causé notre perte à nous, les vieux de 71 (la Com­mune). Vous n’au­rez plus ni bon­té, ni pitié et sûrs de retrou­ver dans chaque ban­dit épargné un assas­sin et un mouchard le lende­main, vous n’é­pargnerez plus per­son­ne, et c’est vous, les lou­pi­ots, qui fer­ez alors la bonne ouvrage que nous avons gâtée autre­fois avec nos couil­lon­ades, nom de Dieu ! » (p. 96, 1902).

Lénine et Staline l’ont fait et c’est de la merde. Parce que les traitres, y en a plus chez les « révo­lu­tion­naires » de mon cul que chez les pré­ten­dus réac­tion­naires. La preuve : Pouget lui-même, les min­istres anar­chistes en Espagne, les anars franc­macs en France. Faut-il les raccourcir ?
Faire comme chez les lén­i­nards japon­ais ou allemands ?

Ques­tion stu­pide : l’a­n­ar­chie, c’est la rota­tion et la révo­ca­tion per­ma­nente, donc soyons anar­chistes et les emmerdeurs se tailleront eux-mêmes pour la social-démo, les maolards…

Un bon bouquin qui débar­bouille les méninges, voir le texte de Liebknecht antipar­lemen­taire de 1869, l’an­ti-mas­tur­ba­tions intel­lo parce que faut choisir « les bouquins de physique, de chimie, ça peut servir à l’oc­ca­sion, y a de chou­ettes choses à s’ap­puy­er aus­si dans la poésie, lit­téra­ture, etc. quand on a le temps (…) parce que c’est juste­ment ce qu’il y a de dégoû­tant dans cette cochonne de société : qu’on s’esquinte au turbin toute la journée, et qu’après on ait tout juste la force de boulot­ter et de se foutre au pieu (alors) les trente-six mille fan­tas­magories de raison­nements, à perte de vue, sur des pointes d’aigu­illes, ces sacrés flam­beaux de philosophards, qu’ils ail­lent donc au dia­ble ! » (p. 320, 1896).

Sabadell

The Wilhelmshaven revoit. 1918–1919. Icarus (Ernst Schneider) Simian Press. Londres, 1975

Cette brochure d’un des par­tic­i­pants apporte un témoignage intéres­sant bien que trop bref, sur la matu­rité et la com­bat­iv­ité des marins de la marine de guerre alle­mande, encadré pour­tant par des marx­istes, par­ti­sans il est vrai de l’ac­tion directe et au pose avec les magouilles de leurs directions.

Face au désir des marins d’une des bases mil­i­taires les plus impor­tantes d’Alle­magne d’établir des liaisons avec Kro­n­stadt, on con­state le refus de Radek, Russe d’o­rig­ine alle­mande représen­tant de Moscou, de sus­citer tout acte vio­lent. Quant aux soci­aux-démoc­rates, ils écrasent la révolte — et les autres — grâce aux sol­dats revenus du front avec leurs armes. Com­ment s’é­ton­ner que dix ans plus tard, les ouvri­ers aient suivi les fas­cistes et pas les embryons de résis­tance des social­istes et communistes ?

Israël Renof — Dubois Adjiakhmet. 


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