libre manifestation du caractère des individus ne doit être entravée par aucune loi, ce qui est une
répétition, la loi étant aussi un pouvoir et de tous le plus insupportable.
Est-ce à dire que l’anarchie est le désordre : c’est-à-dire un état de chose dans lequel doit
nécessairement se produire l’antagonisme des volontés et des intérêts, réfractaires à toute
organisation ?
Croire cela serait se faire une singulière idée de l’intelligence de ceux qui arborent son
drapeau.
Ce que veulent les anarchistes ce n’est pas le désordre à la faveur duquel ils savent que la
force et la ruse ont toujours su trouver le moyen d’établir leur suprématie et que de lui sont nés
tous les gouvernements qui se sont succédés.
Ce qu’ils veulent, c’est au contraire la libre formation des groupes toujours transformables
et modifiables, selon les besoins, les affinités, ou les conceptions de ceux qui les composent.
Les gouvernementaux de toutes nuances disent au peuple : tu es souverain, mais tu ne saurais
toi-même exercer ta souveraineté.
Délègue-nous tes pouvoirs et tu seras délivré des soucis insupportables de l’administration de
tes biens ! Il semblerait à première vue qu’une telle proposition dû émaner de gens qui ont à cœur
de mettre au service de leurs concitoyens une intelligence supérieurs et une activité au-dessus de
l’ordinaire sans autre objectif que de se rendre utile à tous. Il n’en est cependant rien.
Aussitôt investis du mandat ces grands cœurs, sous prétexte que le souverain doit être
dignement représenté, trouvent juste et naturel de se faire servir eux-mêmes par les enfants de
celui duquel ils se disent les serviteurs, ils disposent en maître de la totalité de ses ressources,
ne lui abandonnant que la part, non pas nécessaire, mais strictement indispensable pour qu’il ne
meure pas tout entier (on a besoin de lui) et s’il lui prend fantaisie de trouver étrange cette
manière d’agir des bons régisseurs de ses domaines, ceux-ci, qui ont prévu le cas, répondent à ces
doléances en placant en face de sa poitrine les canons de fusils de ses propres enfants, que sous
couleur de patriotisme, c’est-à-dire sous prétexte spécieux de veiller à sa sûreté, ils l’ont
contraint de mettre à leur disposition pour en faire les exécuteurs de leurs volontés.
Or les anarchistes ne voulant pas abdiquer ne veulent pas déléguer. De là absence de
gouvernement.
Ils pensent que dans chaque centre de production agricole ou industriel tous les intéressés
faisant partie de ces centres peuvent être rendus aptes à en connaître le chiffre et les moyens de
production.
Ils pensent que le parasitisme galonné ou titré donnant des ordres pour tout travail produit
doit disparaître, et que celui seul doit consommer qui aura réellement produit. Ce qui sera le cas
de chacun sous leur régime, car ils tiennent pour certain que le paresseux est une monstruosité et
une création de l’ordre social actuel qui ne saurait exister dans une société où les aptitudes et
les goûts décidant du choix de la profession, le travail devient pour l’homme une dépense
nécessaire, agréable et utile d’activité, au lieu d’être comme aujourd’hui une épouvantable torture.