La Presse Anarchiste

Les machines

Nous avons été frap­pés dans nos cau­se­ries avec les cama­rades de l’atelier du courant
anti­pa­thique qui s’y mani­feste contre la machine. C’est à nous faire croire que mes­sieurs les
patrons ont eux-mêmes ou par l’intermédiaire de leurs créa­tures, lan­cés et pro­pa­gés ce sophisme
mons­trueux, qui semble être deve­nu le mot d’ordre de qui­conque n’a pas suf­fi­sam­ment étu­dié la
ques­tion et qui n’envisage et ne cherche les causes de notre malaise que superficiellement.

Certes, pour les per­sonnes qui ne l’ont pas appro­fon­die, leur rai­son­ne­ment ne manque pas d’une
cer­taine logique, sur­tout s’ils s’interrogent ain­si : d’où vient cette crise que nous subissons,
qui, loin de s’atténuer va tou­jours empi­rant d’avantage ? Pour eux la réponse dit : C’est la machine
puisque chaque jour nous sommes rem­pla­cés par elle. Et aus­si­tôt ils font cette réflexion : Eh bien
puisque c’est elle qui nous coupe les bras et nous vole notre tra­vail, sus à la machine, cassons,
bri­sons les machines.

Fort heu­reu­se­ment les machines sont pour la plu­part construites en métal et, par conséquent
offrent quelques résis­tances, sans quoi il serait à craindre que le jour de la révo­lu­tion une
quan­ti­té de tra­vailleurs éner­giques mais incon­sé­quents, ne se laisse dévoyer et dépensent leurs
forces tant à leur propre détri­ment qu’au béné­fice le plus direct du patronat.

Nous avons la convic­tion que par­mi les pro­duc­teurs, ce per­pé­tuel et uni­ver­sel four­nis­seur du
para­si­tisme, fati­gués d’une exis­tence tou­jours de plus en plus misé­rable, il s’en trou­ve­ra qui se
lais­se­ront aller à cet accès de colère, et cogne­ront à coups redou­blés sur ces inno­centes, mais ils
se las­se­ront bien­tôt devant leur impuis­sance, car s’ils sont enne­mis jurés de la machine, ils ne
devront pas pour bri­ser celle-ci se ser­vir de celle-là.

Or, nous ne savons pas où com­mence et finit la machine. Pour nous un simple mor­ceau de fer
per­cé d’un trou dans lequel ont a fixé un bout de bois, et que nous sommes conve­nus de nommer
mar­teau est, jusqu’à cer­tain point, machine nui­sible, si l’on consi­dère que ce mar­teau accé­lère la
pro­duc­tion, qu’il abrège le travail.

Donc pour­quoi les ouvriers qui se plaignent du manque de tra­vail s’en ser­vi­raient-ils pour
cas­ser et briser ?

En ne se ser­vant que d’outils natu­rels, la besogne ne leur ferait pas défaut et les résultats
seraient immé­diats sinon satisfaisants.

Bri­ser les machines ?

Qui donc peut avoir avan­cé de sem­blables idées ?

Il est recon­nu que tout pro­grès crée à l’individu de nou­veaux besoins, les­quels il ne peut
assou­vir que grâce à l’instrument qui fit ce pro­grès ; le bris des machines aurait pour effet la
hausse du prix de vente des objets qui, aujourd’hui, ont une moindre valeur pré­ci­sé­ment à cause de
leur abondance.

Nous tom­be­rions sans elles dans une gêne, dans une misère d’autant plus pénible que nous y
sommes rela­ti­ve­ment moins habi­tués. Nous ne sau­rions plus nous adap­ter aux condi­tions d’existence de
nos ancêtres, les pay­sans, qu’on nous a dépeint brou­tant l’herbe et allant pieds nus, notre
orga­nisme souf­fri­rait de ce chan­ge­ment par trop brusque, ce retour en arrière et pour ain­si dire
sans tran­si­tion aurait bien­tôt fait de nous las­ser, et nous serions contraint de recons­truire tout
aus­si­tôt ce que nous vien­drions de démolir.

Belle avance !

Non, tra­vailleurs, la machine peut et doit être la bien­fai­trice du genre humain.

Sachons com­prendre qu’elle ne nous cause du pré­ju­dice que parce qu’elle fonc­tionne au bénéfice
exclu­sif du spo­lia­teur  ; les machines, comme toutes pro­duc­tions sont l’œuvre des géné­ra­tions qui
nous ont pré­cé­dées, elles sont à nous, il nous incombe de nous en empa­rer, et les faire travailler,
non au pro­fit de quelques-uns comme actuel­le­ment mais pour l’humanité entière.

C’est lorsque les machines tra­vaille­ront pour tous que, n’ayant plus que quelques minutes de
tra­vail agréable à faire cha­cun pour sub­ve­nir à notre exis­tence chaque jour nous pour­ront nous
livrer à notre aise aux arts et aux sciences selon nos apti­tudes et nos affi­ni­tés et atteindre enfin
à ce bon­heur suprême que l’humanité cherche depuis si longtemps. 

La Presse Anarchiste