Avec un sourire sans malice, je loue ceux-ci comme ceux-là. Leurs tentatives multipliées remplissent tout l’horizon philosophique de grands bruits d’écroulement. Mais ils s’encouragent à recommencer en chantant un concept métaphysique qui a le genre de vérité que je demande aux concepts de cet ordre : la beauté émouvante d’un baiser entre le sujet et l’objet. De l’homme à l’univers, ils jettent sur l’insondable abîme, un pont de lumière qui tremble. Son frémissement me trompe-t-il quand il affirme entre moi et l’ensemble des choses un lien puissant et magnifique ? Il proclame aussi, le noble chant de la clarté, entre l’univers et n’importe quel de ses éléments, des rapports d’amour et l’attirance d’un joyeux vertige. « Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas ; ce qui est en bas est comme ce qui est en haut ». Ah ! La vaste synthèse, et poétique à merveille. Mais on ne saurait la déterminer d’une façon positive et c’est par un amoureux mensonge que j’affirme quoi que ce soit sur le détail de ces rapports et sur leur mode. L’un des deux termes, ― l’univers objectif ― se dissipe, ombre vaine, sous l’effort de mes bras ; ou peut-être mes bras sont faits d’une brume qui ne saisira point la solidité extérieure. Tout ce que je sais, c’est que du dehors, je ne sais rien. Mon esprit ne sort pas de mon esprit et les choses n’entrent pas en lui. Je ne connaîtrai jamais que l’univers subjectif, moi-même. Toute comparaison entre le macrocosme et le microcosme appartient à la métaphysique et, si elle a un mérite, ce mérite est d’ordre poétique. En dehors du domaine de la connaissance positive, alchimie, astrologie, morale, sont des chapitres de la métaphysique. Rêves flottants ou lourdeurs ruineuses. Joies et ivresses de l’intelligence qu’il faut aimer pour elles-mêmes, sur quoi il ne faut rien appuyer et qu’il ne faut point mêler aux recherches vitales. Le moraliste qui les prend au sérieux fait l’alchimie du bonheur. Le bonheur, je ne veux pas en rêver seulement, je veux boire son puissant élixir ; il faut que j’en fasse la chimie.
Entre les phénomènes chimiques et le phénomène universel ou l’universelle substance, je ne puis supposer des rapports moins étroits qu’entre les gestes humains et le même univers. Les sciences positives ont erré tant qu’elles ont voulu, d’une ambition trop vaste, exprimer le lien merveilleux : elles ont commencé à se constituer le jour où elles ont renoncé à de telles prétentions. Leur exemple m’instruit. Je me détourne de l’alchimie du bonheur, de celle qu’on nomme morale, vers l’humble chimie que quelques anciens appelèrent sagesse.
Chercher dans la métaphysique la règle de sa vie, c’est demander au mirage l’eau dont on a soif. C’est modeler la vie sur le rêve et transformer la conduite humaine en je ne sis quel hagard somnambulisme. C’est vouloir ordonner et maçonner les pierres de l’abri indispensable sur le vague flottement du nuage.
L’erreur de Kant n’est pas moindre. Quelle folie de pauvre au désespoir que d’aller affirmer ses désirs et ses aspirations comme des réalités. Et quel appauvrissement du rêve quand nous avons projeté notre ombre sur le mystère et que nous n’y voyons plus autre chose ; quand nous avons transformé l’infini en un homme infini. Peut-être trouverai-je en moi quelque roc inébranlé. Je m’interdirai de construire au dessus avec des blocs de nuage et de poésie ; ou du moins, si parfois je me réjouis à ce jeu, je n’affirmerai jamais que la maison rêvée participe de la solidité du rocher.
Boire, oui, toutes les fois que nous le pouvons. C’est le grand luxe humain.
Mais rire et mépriser les fortuits, toujours. C’est la grande nécessité humaine. C’est la marque même de l’homme. Ce n’est pas au boire et à ses chances incertaines que nous demanderons l’indispensable rire.
Han Ryner (le subjectivisme)