La Presse Anarchiste

Courrier

Débat

Le 9 juillet 1976 le groupe belge nous adres­sait la lettre suivante :

[(Bruxelles, le 9 – 1‑76.

À la Lan­terne Noire,

Nous avons lu la cri­tique que vous nous avez adres­sée dans votre numé­ro 4, page 58, à un des groupes (l’ex-Jour­nal des Luttes de Classe) qui, après avoir été auto-dis­sous, forment actuel­le­ment notre sec­tion en Belgique. 

Nous pen­sons que le compte ren­du que vous avez fait des posi­tions que nous défen­dons les a cari­ca­tu­rées, per­met­tant dif­fi­ci­le­ment l’ins­tau­ra­tion d’une dis­cus­sion. Pour­tant il nous appa­raît impor­tant de débattre cer­taines posi­tions com­munes ou non à votre revue et à notre cou­rant, mais cela doit se pas­ser, pour nous, par une cri­tique et une ana­lyse plus appro­fon­die des posi­tions défen­dues réciproquement. 

Vous citez, par exemple, trois points fon­damentaux défen­dus par le C.C.I. avec les­quels vous êtes d’ac­cord — nature des syn­di­cats, fron­tisme, anti-fas­cisme en tant que mys­ti­fi­ca­tion bour­geoise, nature contre-révo­lu­tion­naire des luttes de libé­ra­tion natio­nale — et nous aime­rions voir ce type de posi­tions défen­dues expli­ci­te­ment et pra­ti­que­ment dans les textes que vous publiez. Or vous sou­te­nez, même de façon cri­tique, les actions du type GARI et RAF qui ne sont que des actes sui­ci­daires d’in­di­vi­dus déses­pé­rés qui rejoignent direc­te­ment les mys­ti­fi­ca­tions bour­geoises de type anti-fas­cisme. Car le ter­ro­risme est fon­da­men­ta­le­ment une action sub­sti­tu­tion­niste, entra­vant tout déve­lop­pe­ment de la conscience de classe et de son auto-orga­ni­sa­tion. De plus, le ter­ro­risme per­met à la bour­geoi­sie de faire pas­ser une série de mesures anti-ouvrières et cela au nom de la défense natio­nale contre des actions indi­vi­dua­listes, ne repré­sen­tant aucun inté­rêt pour la révo­lu­tion communiste. 

De la même manière, l’a­na­lyse que vous faites de l’au­to­ges­tion ne nous paraît pas aller au fond du pro­blème, à savoir quel est l’in­té­rêt pour les ouvriers de gérer eux-mêmes l’ex­ploi­ta­tion capi­ta­liste, leur exploi­ta­tion, et vous dites vous-même que l’au­to­ges­tion est ain­si une bonne solu­tion à la crise et (…) si elle ne s’ac­com­pagne pas d’une remise en cause radi­cale du sys­tème n’est qu’une forme de sou­mis­sion au capi­tal (p. 44). Mais alors pour­quoi défendre l’au­to­ges­tion qui face à la crise du capi­ta­lisme n’est qu’une solu­tion de la bour­geoi­sie contre la classe ouvrière. L’au­to­ges­tion radi­cale que vous défen­dez ne fait que cau­tion­ner l’au­to­ges­tion syn­di­cale. Sou­te­nir l’au­to­ges­tion « radi­cale » c’est en reve­nir au sou­tien cri­tique des trots­kykstes pour les syn­di­cats capitalistes. 

Ces quelques notes jetées sur papier ne pré­tendent pas envi­sa­ger tous les pro­blèmes et diver­gences qui existent entre votre revue et la nôtre. Mais nous essayons de cer­ner cer­taines diver­gences qui nous paraissent fon­da­men­tales, telles que — se défi­nir comme anar­chiste alors que Kro­pot­kine, « prince anar­chiste des tran­chées » a appe­lé à par­ti­ci­per à la pre­mière bou­che­rie inter-impé­ria­liste, sui­vi par Fre­de­ri­ca Mont­se­ny et Gar­cia Oli­vier pour la deuxième — l’in­com­pré­hen­sion du pour­quoi la classe ouvrière par la place qu’elle occupe dans le pro­ces­sus de pro­duc­tion est la seule classe révolutionnaire ; 

  • l’in­com­pré­hen­sion de la période actuelle de déclin du mode de pro­duc­tion capi­ta­liste où la révo­lu­tion com­mu­niste conte­nue et déve­lop­pée dans et par le capi­ta­lisme est pos­sible et nécessaire ; 
  • la nature et le conte­nu, le rôle des conseils ouvriers lors de la prise du pou­voir par le pro­lé­ta­riat qui ne peut que détruire radi­ca­le­ment l’é­tat bour­geois et ins­tal­ler sa dic­ta­ture mon­diale grâce aux conseils ouvriers ; 
  • l’im­por­tance théo­rique et pra­tique de l’or­ga­ni­sa­tion inter­na­tio­nale des révo­lu­tion­naires défen­dant au sein de la classe ouvrière des posi­tions de classe (non pas idéo­lo­giques mais véri­fiées pra­ti­que­ment par toutes les expé­riences pas­sées de la classe ouvrière). Ce n’est pas nous qui déci­dons avec notre sec­ta­risme inébran­lable que les syn­di­cats sont par­tout des organes capi­ta­listes, c’est l’ex­pé­rience quo­ti­dienne de la Classe depuis 1914 qui démontre la nature capi­ta­liste des syn­di­cats. Nous ne fai­sons qu’es­sayer d’ex­pri­mer, le mieux pos­sible, les inté­rêts de la classe ouvrière en fonc­tion de ses expé­riences pas­sées et de ce que, his­to­ri­que­ment, elle sera contrainte de faire ; 
  • la nature réelle des par­tis de gauche ain­si que de la fonc­tion contre-révo­lu­tion­naire des gau­chistes qu’ils soient maos, trots­kystes, anar­chistes (cf. conci­lia­tion de classe du Monde Liber­taire, le trots­kysme de l’Ora…) ; 
  • l’in­com­pré­hen­sion de la nature bour­geoise du terrorisme.

D’autre part il nous semble que sur la base des points com­muns, nous pou­vons enta­mer une dis­cus­sion fruc­tueuse, approfondie. 

En espé­rant, cama­rades, que ces quelques remarques soient res­sen­ties dans le sens d’un appro­fon­dis­se­ment théo­rique et non comme des « cris­pa­tions mili­tantes », ain­si que dans l’at­tente d’une réponse et de vos cri­tiques par rap­port à nos récentes publi­ca­tions, rece­vez nos salu­ta­tions révolutionnaires.

Pour Inter­na­tio­na­lisme,
Marc M.)]

Puis dans son numé­ro d’a­vril 1976, Révo­lu­tion inter­na­tio­nale publiait un article inti­tu­lé « La Lan­terne Noire ou les lumières de l’astre mort », qui repre­nait en gros les cri­tiques d’« Inter­na­tio­na­lisme », mais de façon plus agres­sive et plus tran­chée. Le mois sui­vant, dans le numé­ro de mai 1976, l’at­taque en règle contre l’a­nar­chisme se pour­sui­vait, et c’é­tait cette fois nos cama­rades de « Pour » qui étaient « visés » : « Pour : contre l’au­to­no­mie ouvrière ».

Autant la lettre pré­ci­tée nous avait don­né l’en­vie de répondre, autant le ton des deux articles (que nous ne résu­me­rons pas) nous inci­taient plu­tôt à ne rien en dire afin de ne pas nour­rir le désir de polé­mique de la part d’un groupe qui vit en par­ti de cela (tour à tour les trots­kystes, les bor­di­guistes, le PIC, la jeune taupe…), dans la plus pure tra­di­tion léni­niste (et par­fois anar­chiste, c’est vrai) qui veut que l’es­sen­tiel de la lutte soit diri­gé contre le groupe voi­sin, ou proche, ou ex-proche ; tra­di­tion qui se per­pé­tue chez tous les groupes qui pré­tendent repré­sen­ter le pro­lé­ta­riat (et être les seuls) et pour qui par consé­quent l’« autre » ne peut être que dans le camp de la bour­geoi­sie, donc un ennemi. 

R.I. vit essen­tiel­le­ment de cela donc, et pour le reste applique sans ima­gi­na­tion aucune, et sans jamais poser de ques­tion, un caté­chisme mar­xiste pour chaque situa­tion ou événement. 

Nous avons choi­si de faire cette courte réponse :

[(Auto­ges­tion et luttes partielles

La polé­mique sur l’au­to­ges­tion peut très bien se cla­ri­fier et ces­ser si l’on déli­mite assez pré­ci­sé­ment le rap­port qu’elle entre­tient avec l’É­tat. Il n’y a aucune ambi­guï­té à par­ler d’au­to­ges­tion (ou à la réa­li­ser) si elle se situe (ou se donne comme objec­tif concret) dans le cadre : 

d’une des­truc­tion pure et simple de l’ap­pa­reil d’État

de la fin de la divi­sion entre tra­vail manuel et tra­vail intellectuel ;

de la sup­pres­sion des classes et de la réa­li­sa­tion de l’é­ga­li­té entre tous ;

de la fin du sala­riat et de la pro­prié­té privée.

Il s’a­git là bien sûr de ce que l’on peut appe­ler « un pro­jet poli­tique ». Nous n’a­vons pas de recettes pour le réa­li­ser, nous ne savons pas s’il le sera un jour (nous nions autant le déter­mi­nisme his­to­rique que sa variante nom­mée maté­ria­lisme dia­lec­tique his­to­rique). mais nous n’a­vons pas l’im­pres­sion d’en être plus éloi­gnés que vous de « la construc­tion du par­ti révo­lu­tion­naire », de la « dic­ta­ture du pro­lé­ta­riat », ou de « l’i­né­vi­table crise du capi­ta­lisme » (que l’on nous pro­met ou dont on nous menace depuis Mathu­sa­lem). Quand ? Com­ment ? Pour­quoi pour l’ins­tant ça ne marche pas ? C’est vrai, nous avons des inquié­tudes, puisque nous savons que notre pro­jet n’est pas ins­crit dans l’his­toire, contrai­re­ment au vôtre semble-t-il (lire à ce sujet « L’a­nar­chisme dans l’his­toire mais contre l’his­toire » de Nico Berti). 

Par rap­port à notre pro­jet (et non par rap­port au sens de l’his­toire) une auto­ges­tion qui s’ac­com­mo­de­rait de : 

l’ap­pa­reil d’État,

la tech­no­lo­gie issue du capitalisme,

du rap­port mar­chand capi­ta­liste ou technobureaucratique,

des divi­sions tech­niques et sociales du travail

Ne serait qu’un moyen pour le capi­ta­lisme de sur­vivre et les P.S.U., A.M.R. et autres auto­ges­tion­naires qui refusent la des­truc­tion de l’É­tat en sont les repré­sen­tant. Nous avons tou­jours été clairs là-des­sus, aus­si bien dans « Noir et rouge » (cf. articles sur l’Al­gé­rie et sur la You­go­sla­vie) que dans « La Lan­terne Noire » (cf. le numé­ro 4 sur le Portugal). 

Le terme d’au­to­ges­tion ne nous gêne donc pas si le conte­nu est pré­ci­sé. Après tout, les termes de socia­lisme et de com­mu­nisme ont eux aus­si été dénaturés… 

Ce que nous refu­sons, c’est quand, dans la fou­lée de la condam­na­tion de l’« auto­ges­tion contre-révo­lu­tion­naire », vous condam­nez fina­le­ment toute ten­ta­tive par des indi­vi­dus ou des groupes, de prise en charge ici et main­te­nant. des aspects par­tiels de leur vie quo­ti­dienne. Ain­si, quand dans l’ar­ticle « Éco­lo­gie, régio­na­lisme, fémi­nisme, un frein à la lutte des classes », vous cri­ti­quez ces fronts de lutte parce qu’ils attaquent le sys­tème sur un point spé­ci­fique et… s’a­dres­sant à telle ou telle caté­go­rie d’in­di­vi­dus (habi­tants d’une région, femmes, usa­gers des trans­ports, de la méde­cine, de la psy­chia­trie, consom­ma­teurs, pol­lués…), ils réduisent le capi­ta­lisme à une somme d’as­pects par­ti­cu­liers. deviennent des spé­cia­listes et s’en­ferment dans une lutte sté­rile », nous pou­vons être d’ac­cord jusque-là (nous rajou­te­rions cepen­dant à cette liste la lutte dans les usines). En effet, toute la lutte de ce type s’en­ferme dans une sorte de « syn­di­ca­lisme » qui en limite ou en annule la por­tée révo­lu­tion­naire, et qui se laisse d’au­tant plus absor­ber par le sys­tème qu’elle ne lui demande rien d’autre qu’une amé­lio­ra­tion, et en tout cas pas de disparaître. 

Mais on ne peut s’ar­rê­ter là, sous peine de reve­nir à des concep­tions pure­ment « poli­ti­ciennes » ou « éco­no­miques » de la révo­lu­tion. En effet : 

Un indi­vi­du est dans tous les cas par­tie pre­nante de plu­sieurs de ces fronts (nous sommes tous usa­gers de beau­coup de choses, pol­lués pour la plu­part, et très sou­vent femmes et/​ou homo­sexuelles (els) ;

par ailleurs, outre qu’il s’a­gisse de « fronts », il se trouve aus­si que c’est bien la réa­li­té que nous vivons, et nous ne voyons pas bien par ou ailleurs que là, la lutte peut pas­ser, à moins de se situer tou­jours à un tel niveau de géné­ra­li­té et d’abs­trac­tion que per­sonne ne peut s’y recon­naître dans la réa­li­té de la lutte de classe de tous les jours ; 

le pro­blème que nous devons résoudre nous semble être, plu­tôt que de nier toute pos­si­bi­li­té, d’ar­ri­ver par la pra­tique, à com­prendre les rap­ports qui peuvent exis­ter entre ces « fronts », sachant qu’ils ne sont pas obli­ga­toi­re­ment com­plé­men­taires et qu’ils tra­duisent des contra­dic­tions qu’il ne faut pas abo­lir magi­que­ment au nom de « l’u­ni­té du pro­lé­ta­riat » ou de soi-disant « inté­rêts objec­tifs ». Ce qui nous importe donc à ce pro­pos, ce sont les dis­cus­sions sur les buts, à tra­vers un pro­jet poli­tique global. 

Des cama­rades nous reprochent sou­vent cette per­pé­tuelle reven­di­ca­tion de l’ex­pli­ci­ta­tion du but en même temps que du pro­jet poli­tique pour y arri­ver. Nous ne pou­vons rete­nir l’i­dée que pro­jet et but peuvent être absents de l’ac­tion et de la pra­tique. Au contraire nous pen­sons qu’ils sont tou­jours pré­sents, même chez ceux qui pré­tendent le contraire ; quand ils n’ap­pa­raissent pas, il y a camou­flage, qu’il soit conscient ou inconscient. 

Ce que nous pou­vons repro­cher à la plus grande par­tie des ten­dances qui animent ces « fronts », c’est de se conduire comme bien des poli­ti­ciens tra­di­tion­nels, à savoir ne jamais par­ler du but final pour­sui­vi et par là même abu­ser les gens.

Anar­chistes ?

Il n’est pas pos­sible, semble-t-il, de se défi­nir comme anar­chiste alors que Kro­pot­kine prô­na l’u­nion sacrée en 1914, et que F. Mont­se­ny et Gar­cia Oli­ver se retrou­vèrent ministres. 

Il nous semble que cet argu­ment, qui pose effec­ti­ve­ment des pro­blèmes sérieux, s’il doit être rete­nu, doive entraî­ner de la part de ceux qui le for­mulent l’a­ban­don de toute réfé­rence à un « isme » quel­conque. Il nous semble pour­tant que vous n’a­ban­don­nez ni la réfé­rence au mar­xisme, ni au com­mu­nisme (cou­rant com­mu­niste inter­na­tio­nal) ; or le com­mu­nisme n’est guère connu pour n’a­voir com­mis aucune erreur, ni s’être four­voyé nulle part. Nous pen­sons que l’im­por­tant est de com­prendre pour­quoi telle ou telle « erreur » ou « crime » (si vous vou­lez), a pu être com­mis. Or la réponse ne se trouve vrai­sem­bla­ble­ment pas dans la doc­trine elle-même (aus­si stu­pide soit-elle), mais davan­tage dans le contexte his­to­rique, poli­tique et humain. 

De toutes les manières, les erreurs et les tra­hi­sons existent, mais elles n’in­fluent guère le cours de l’his­toire ; il n’existe aucun cou­rant de pen­sée, aucune doc­trine, aucune théo­rie, qui résiste à coup sûr à la « dévia­tion », au « révi­sion­nisme », à la « tra­hi­son ». Autre­ment dit il n’existe pas de ligne juste ; rien ne sert alors de se mas­quer cette évi­dence en pra­ti­quant à tour de bras « l’ex­com­mu­ni­ca­tion ». Nous ne devons pas évi­ter le pro­blème de notre propre dévia­tion pos­sible, en résol­vant les pro­blèmes posés par celles des autres par un simple « ce ne sont pas des vrais », « nous n’a­vons rien à voir avec eux ». 

Le fond théo­rique de l’a­nar­chisme per­met selon nous de pro­fi­ter de l’ac­quis d’un mou­ve­ment, sans pour autant endos­ser ou accep­ter les désac­cords. Sim­ple­ment, dans le mou­ve­ment anar­chiste, le droit de cri­tique existe, le droit de faire autre chose aus­si, sans que cela signi­fie l’o­bli­ga­tion de résoudre les désac­cords par rap­port à la pure­té de la doc­trine, donc évi­tant de s’at­ta­quer aux causes. 

Les « cama­rades ministres » ont ces­sé, c’est sûr, d’être révo­lu­tion­naires. Ils sont même entrés dans le camps de nos enne­mis et sont deve­nus enne­mis eux-mêmes. L’a­nar­chisme est-il en cause, ou ont-ils ces­sé d’être anar­chistes ? Bigre… ! voi­là bien du tra­vail pour les exé­gètes ! Ils pré­tendent l’être ? Alors accep­tons qu’ils le soient puisque nous accep­tons par défi­ni­tion que notre « isme » ne mène pas for­cé­ment à la révo­lu­tion, et qu’il n’est pas scien­ti­fique, mais seule­ment maté­ria­liste. Signa­lons au pas­sage que les oppo­sants anar­chistes au « minis­té­ria­lisme » ont lut­té contre celui-ci sans renier celui-là, avec autant de vigueur et même de vio­lence que l’op­po­si­tion de gauche (trots­kystes com­pris) contre le léni­nisme… par­don, le sta­li­nisme, L’ap­par­te­nance à la « famille » ne signi­fie donc pas fai­blesse, bien au contraire.

Trots­kystes ?

Il semble que nous (les anars, mais en l’oc­cur­rence l’Ora et la Lan­terne Noire) soyons des agents incons­cients du trots­kysme ou du moins que nous fai­sions la même poli­tique qu’eux. 

Il est vrai que depuis 68 l’a­nar­chisme a du mal à trou­ver une expres­sion réel­le­ment auto­nome, cohé­rente et en accord avec ses objec­tifs fon­da­men­taux ; et que bien sou­vent, des anar­chistes, pour ne pas dire tous, ont été plus ou moins à la traîne d’un cer­tain gau­chisme. Quand ils ne l’é­taient pas (et par­fois les mêmes à d’autres moments) ils se sont sou­vent trou­vés en marge, iso­lés, par­fois sec­taires. Ce sont deux atti­tudes com­plé­men­taires qu’il faut s’employer à dépas­ser (il y a des signes qui montrent que nous ne sommes pas sur la mau­vaise voie), et dont nous devons trou­ver l’ex­pli­ca­tion, plus dans la période qui, quoi qu’en dise R.I., n’est pas aus­si « en crise » que cela, que dans la doc­trine elle-même. 

Il est tou­te­fois curieux que R.I. estime que les meilleurs élé­ments de l’a­nar­chisme aient été des gens comme Ros­mer et Monatte (parce qu’ils ont quit­té le mou­ve­ment anar pour entrer dans l’in­ter­na­tio­nale com­mu­niste), alors qu’ils sont deve­nus des com­pa­gnons de route de Trots­ky et du trots­kysme et Lénine pen­sait d’ailleurs qu’il fal­lait bâtir le P.C.F. sur des hommes comme eux plu­tôt que sur un Cachin [Qui fit preuve de plus de clair­voyance en ce qui concerne le rap­port entre léni­nisme et sta­li­nisme nais­sant ? Ros­mer et Monatte, qui après leur glo­rieuse « résis­tance » som­brèrent dans les méandres de la poli­tique sovié­tique, sans par­ve­nir réel­le­ment à rompre ou Gas­ton Leval qui de retour en Espagne n’hé­si­ta pas à faire écla­ter la vérité ?]].

Ter­ro­risme, Gari, Armée rouge

Il est par­fai­te­ment exact que nous n’a­vons pas les idées très claires (du moins en tant que groupe) sur ces pro­blèmes ; mais de toutes les façons, idées claires ne signi­fie­rait pas posi­tions tran­chées qu’il suf­fit d’ap­pli­quer pour approu­ver ou reje­ter de manière simpliste ! 

Mettre dans le même sac Gari et Armée rouge, alle­mande ou japo­naise nous semble mal­hon­nête dans la mesure où les buts et les moyens étaient très dif­fé­rents, de même que le conte­nu du mes­sage que les uns et les autres fai­saient pas­ser. Par exemple, l’Ar­mée rouge japo­naise et alle­mande qui por­tait à son point le plus éle­vé le mes­sia­nisme de la classe ouvrière (tout en l’es­ti­mant inca­pable d’a­gir par elle-même) res­sem­blait en cela plus à R.I. qu’aux Gari qui pre­naient en compte des élé­ments de la réa­li­té autre­ment plus riches.

Pré­tendre que nous « sou­te­nons » les Gari c’est en même temps feindre d’i­gno­rer que nous avons publié un débat sur ce type de pro­blème dans la Lan­terne. Mais il semble que vous atta­chiez plus d’im­por­tance à des posi­tions tran­chées qu’à une posi­tion poli­tique qui consiste à débattre. Le pro­blème à notre avis, sur ces ques­tions, est celui de l’ac­ti­visme révo­lu­tion­naire, et qui concerne tout type d’ac­ti­vi­té mili­tante y com­pris la vôtre !

Bref…

C’est vrai que nous ne com­pre­nons pas pour­quoi la classe ouvrière est « la seule classe révolutionnaire ». 

Nous ne com­pre­nons pas la période actuelle comme le déclin du mode de pro­duc­tion capi­ta­liste où le com­mu­nisme serait ren­du pos­sible et néces­saire, mais au contraire comme en plein déve­lop­pe­ment vers un mode de pro­duc­tion et de domi­na­tion encore plus éla­bo­ré : le capi­ta­lisme d’É­tat ou tech­no­bu­reau­cra­tie. Le com­mu­nisme est pos­sible mais pas plus qu’avant. 

Ce que nous com­pre­nons, par contre, c’est l’im­por­tance de la posi­tion qui consiste à « expri­mer les inté­rêts de la classe ouvrière » et à par­ler « d’ex­pé­rience de la classe depuis 14 » nous le com­pre­nons d’au­tant mieux que c’est l’in­verse de notre projet.

Pour « La Lan­terne Noire », Martin)]

Salut

(…) Au sujet de La Lan­terne Noire n°5, les ques­tions qui se posent sous le titre [« Mou­ve­ment Anar­chiste en 76 » m’in­té­ressent pour un tas de rai­sons. En par­ti­cu­lier celle de savoir la place de l’or­ga­ni­sa­tion des masses et celle des orga­ni­sa­tions spé­ci­fiques. (…) Ce n’est pas une ques­tion pure­ment théo­rique, mais elle pose le pro­blème de la « stra­té­gie » mili­tante, (…) c’est-à-dire : mili­ter « pour­quoi et pour quoi » et ensuite, com­ment. (…) En ce qui me concerne, je reste réso­lu­ment « spon­ta­néiste », dans le sens où je crois que les orga­ni­sa­tions de « masse » ne peuvent naître que dans des « moments » révo­lu­tion­naires. Ce que je veux dire c’est que je ne pense pas qu’il soit pos­sible de construire une « orga­ni­sa­tion (dans le genre syn­di­cat révo­lu­tion­naire ou U.G.T.C.L.) qui soit sen­sée, en période révo­lu­tion­naire, être le cadre de la reprise en main par le pro­lé­ta­riat des ins­tru­ments de pro­duc­tion et de la ges­tion directe de tous les sec­teurs de la vie. (…) Arri­vant dans une « période révo­lu­tion­naire » théo­ri­que­ment (une telle orga­ni­sa­tion) ne peut que se sabor­der, si elle ne veut pas se livrer à une lutte de pouvoir. 

(…) Ça ne veut pas dire qu’il faille reje­ter toute orga­ni­sa­tion. Il est, pour moi, évident qu’une orga­ni­sa­tion ne peut croître et avoir une cer­taine force, dans un sys­tème social dont la base est la capi­ta­li­sa­tion de plus-values de pou­voir. Mais une orga­ni­sa­tion reste pos­sible si elle se consi­dère comme une orga­ni­sa­tion spé­ci­fique des mili­tants « révo­lu­tion­naires » (…) …l’ob­jet des orga­ni­sa­tions spé­ci­fiques me semble devoir être sur­tout de ser­vir d’« infra­struc­tures » à l’ac­tion des mili­tants à l’ex­té­rieur de cette struc­ture. (…) Infra­struc­ture dans deux sens : au niveau de l’é­la­bo­ra­tion théo­rique et au niveau du sou­tien aux dif­fé­rentes actions enga­gées. Pour moi, l’é­la­bo­ra­tion théo­rique… doit être l’a­na­lyse de ce qui se passe réel­le­ment au niveau 1) glo­bal : inter­pré­ta­tion des faits sociaux par rap­port à la lutte des classes — sur­tout chan­ge­ment des formes de celle-ci ; 2) mili­tant : ana­lyse de l’ac­ti­vi­té mili­tante et de son impact sur l’en­semble social : une acti­vi­té d’é­va­lua­tion en quelque sorte de l’ac­tion militante. 

(…) N’est-il pas pos­sible dans ce sché­ma, de réduire la dis­tance entre les mili­tants orga­ni­sés d’une part et les autres ? Sinon, le risque est une pra­tique genre « initiatique ». 

(…) Mais quelle action reste pos­sible ?.. C’est à ce moment que je reste en rade… Reve­nant à mes pre­mières amours indi­vi­dua­listes, j’au­rais ten­dance à dire qu’il n’existe qu’une seule solu­tion : s’in­sé­rer dans les orga­ni­sa­tions-ins­ti­tu­tions exis­tantes et agir à par­tir et contre celles-ci… non dans le but de dis­tri­buer la « bonne parole »… mais afin d’es­sayer de faire la démons­tra­tion en actes, de faire faire à ceux avec qui nous tra­vaillons la démons­tra­tion des limites de ce type de struc­tures. Etc. 

(…) Salut.

Serge.

« …je trouve un peu bizarre que l’on puisse faire un bul­le­tin triom­pha­liste de l’é­vo­lu­tion de l’a­nar­cho-syn­di­ca­lisme en Espagne sans poser le pro­blème du syn­di­ca­lisme, de son évo­lu­tion et de son rôle actuel. Fred­dy parle des posi­tions anti-syn­di­ca­listes et anti-orga­ni­sa­tion­nelles de cer­tains groupes auto­nomes comme s’il s’a­gis­sait de posi­tions de prin­cipe abso­lues. Un groupe serait « anti-syn­di­ca­­liste » comme un indi­vi­du serait noir ou blanc ; ce n’est pas sérieux. 

Au sujet de la C.N.T., de la « glo­rieuse C.N.T. », il serait aus­si néces­saire de pré­ci­ser, même si l’on n’a pas le temps de déve­lop­per que l’on attri­bue pas uni­que­ment sa « dégé­né­res­cence » à l’exil, et aux erre­ments des « lea­ders » (ça a un petit relent de trotskysme). 

Enfin (pour aujourd’­hui) on retrouve des oppo­si­tions clas­siques telles que action de masse, actions mino­ri­taires, oppo­si­tions idéo­ogiques mar­xisme-anar­chisme, dans les groupes auto­nomes, qui telles qu’elles sont posées sont très super­fi­cielles et consti­tuent de faux pro­blèmes, alors que les vraies sont éva­cuées. Fred­dy a une vision très poli­tique du mou­ve­ment social. et très peu dynamique… »

J.-M. M., Saint-Jean-de-Luz. 

« …Car la Bel­gique n’est quand même pas si amorphe que cela. La lutte des classes n’y est peut-être pas très viru­lente mais cer­tains tra­vailleurs mènent des luttes assez avan­cées et ori­gi­nales dans le sens de l’au­to­ges­tion. Bien sûr, il s’a­git sou­vent de petites entre­prises à la limite de la faillite, que les tra­vailleurs reprennent à leur compte. Ça sauve l’emploi et la pro­duc­tion. Ce n’est évi­dem­ment pas (encore ? !) une lutte pour la col­lec­ti­vi­sa­tion géné­ra­li­sée. Ou alors elle entre dans la stra­té­gie des syn­di­cats réfor­mistes. La F.G.T.B. (Fédé­ra­tion Géné­rale du Tra­vail Belge), syn­di­cat socia­liste et d’un mil­lion de membres, envi­sage une large col­lec­ti­vi­sa­tion et une forme d’au­to­ges­tion. Mais pour eux, col­lec­ti­vi­sa­tion = natio­na­li­sa­tion et l’au­to­ges­tion doit res­tée limitée.

Bref, ce serait la Bureaucratie !… »

Un cama­rade de Belgique

Un cama­rade, qui fut en son temps membre de la gauche pro­lé­ta­rienne, nous signale à pro­pos de la page 4 du numé­ro 4 de La Lan­terne Noire où nous par­lions de « que­relles intes­tines par­ti­cu­liè­re­ment san­glantes » (dans la gauche pro­lé­ta­rienne) qu’il n’a pas eu connais­sance qu’une seule goutte de sang ait été versée. 

Cela est vrai for­mel­le­ment et nous avons eu tort de ne pas le pré­ci­ser, jouant ain­si nous aus­si sur l’as­pect émo­tion­nel des évé­ne­ments, ce qui a pour résul­tat de mys­ti­fier l’in­for­ma­tion sur­tout pour celui qui n’est pas au par­fum des sub­ti­li­tés du demi-monde de l’ex­trême gauche. 

Ce que nous pen­sons, c’est que la logique même de la G.P. en fai­sait des « émules de la gué­péou » : le sang ne cou­lait pas, mais les baffes tom­baient pour régler les pro­blèmes tant internes qu’ex­ternes… La méthode du tri­bu­nal popu­laire est selon nous un retour à la bar­ba­rie et non un dépas­se­ment ou une néga­tion de la démo­cra­tie bour­geoise. La G.P., à son échelle, ne recu­lait devant aucun moyen pour par­ve­nir à ses fins, et nous pen­sons que si le sang n’a pas cou­lé vrai­ment (mais au fait, Pierre Over­ney ne fut-il pas une sorte de sacri­fié à la cause ? Voir « bilan du comi­té de lutte Renault » de Baruch Zoro­ba­bel dont la G.P. s’employa à empê­cher la dif­fu­sion en fai­sant croire que son auteur était un flic), ce fut à cause de la dimen­sion réduite du mou­ve­ment de la période (la bour­geoi­sie avait réel­le­ment bien tout en main, et il n’exis­tait pas plus de « révoltes popu­laires » que de beurre au cul), et aus­si, c’est vrai grâce à l’in­tel­li­gence de cer­tains de ses membres qui sur­ent s’ar­rê­ter à temps ; le moule était fabri­qué, mais les évé­ne­ments ont cou­lé à côté.

La Lan­terne Noire.

La Presse Anarchiste