La Presse Anarchiste

Problèmes et espoirs

Luis Andrés Edo et Luis Bur­ro parlent.

25. Quelle est la situa­tion à Bar­ce­lone aujourd’hui ?

Andrès Edo : D’a­bord, il faut dire qu’en ce moment dans la C.N.T. existent for­mel­le­ment tous les niveaux orga­ni­sa­tion­nels et qu’en même temps ils n’existent pas. Le Comi­té Natio­nal ne fonc­tionne pas, les Comi­tés Régio­naux et les fédé­ra­tions locales non plus, ni même les syn­di­cats ; et pour­tant, sans doute, tout cela existe. Cela se passe à tous les niveaux, dans toutes les régions, dans toutes les pro­vinces, et il ne s’a­git ni d’un pro­blème de per­sonnes, ni d’une for­mule d’or­ga­ni­sa­tion. Il s’a­git d’un phé­no­mène en soi. Chaque ins­tance de l’or­ga­ni­sa­tion, du délé­gué à l’as­sem­blée, jus­qu’au Comi­té natio­nal, tous font ce qui est pos­sible, mais nous sommes impuis­sants à dépas­ser un phé­no­mène qui ne sera pas réso­lu à tra­vers des assem­blées ou des plé­nums, qui sont pour­tant néces­saires, mais à tra­vers un pro­ces­sus d’ac­tua­li­sa­tion qui com­mence à se déve­lop­per main­te­nant. C’est dans ce contexte que s’est dérou­lé le plé­num régio­nal de Cata­logne que l’on peut consi­dé­rer comme le seul qui se soit fait en Espagne, puisque les autres plé­nums ne le furent que de nom. Un autre fac­teur dont il faut tenir compte est la situa­tion poli­tique qui est en train de suivre un rapide pro­ces­sus de démo­cra­ti­sa­tion qu’on ne peut arrê­ter et que per­sonne n’est en mesure de condi­tion­ner d’une manière ou d’une (26) autre. Il faut donc par­tir de ce qu’est la C.N.T. aujourd’­hui, en sachant bien que les pro­blèmes qu’elle ren­contre ont des aspects simi­laires à ceux que ren­contrent toutes les orga­ni­sa­tions et les par­tis dans ce type de phase. Le plé­num régio­nal de Cata­logne, qui a eu lieu après des réunions heb­do­ma­daires d’en­vi­ron 250 délé­gués des syn­di­cats pen­dant 2 mois et demi, a été un évé­ne­ment très impor­tant parce qu’il en est sor­ti en des termes très clairs la volon­té des mili­tants, pour la plu­part des jeunes, de com­battre toute ten­ta­tive de mani­pu­la­tion, et donc la volon­té de gérer à la pre­mière per­sonne toutes les déci­sions. Le gou­ver­ne­ment lui-même espé­rait, à tra­vers quelques-uns de ses hommes de confiance, réus­sir à mani­pu­ler la C.N.T. Mais ce plé­num a fait tom­ber les illu­sions et les espé­rances de ce type. Dans ce plé­num il y a eu des cen­taines d’heures de dis­cus­sions, des cen­taines d’heures de tra­vail dans des com­mis­sions, et tout ceci signi­fie que l’or­ga­ni­sa­tion fonc­tionne, même si elle ne fonc­tionne pas comme orga­ni­sa­tion. En effet, les mili­tants nou­veaux, authen­ti­que­ment liber­taires, veulent contrô­ler une orga­ni­sa­tion qui ne soit diri­gée par per­sonne ; c’est de là que naî­tront, d’un pro­ces­sus natu­rel et spon­ta­né de réa­li­sa­tion, les rouages et les « for­mules organisationnelles ».

27. Bur­ro : On peut dire que le 29 février 1976 est la date à laquelle la C.N.T. com­mence à fonc­tion­ner orga­ni­que­ment, et ce fonc­tion­ne­ment, plus ou moins bien, conti­nue jus­qu’au plé­num dont a par­lé le cama­rade Edo. Un plé­num qui visait à long terme, et qui aujourd’­hui porte ses fruits. Moi je vou­drais pour­tant par­ler du pro­ces­sus pré­cé­dant le plé­num. À mon avis, la recons­ti­tu­tion de la C.N.T. du 29 février a été menée de manière ver­ti­cale par des élé­ments qui ont eu les mains libres jus­qu’à ce plé­num. Cela veut dire que, le 29 février, exis­tait déjà une orga­ni­sa­tion pré­fa­bri­quée, déci­dée par peu d’élé­ments qui, ensuite, accueillaient les per­sonnes, les mili­tants. De là a été créé un comi­té de rela­tions qui s’est trans­for­mé en Comi­té Régio­nal sans l’être véri­ta­ble­ment et qui fonc­tion­nait sans aucun contrôle de la part des mili­tants. Ceci est typique d’une orga­ni­sa­tion auto­ri­taire, pas du tout liber­taire et encore moins anar­cho-syn­di­ca­liste. Pen­dant tous ces mois donc, la C.N.T. n’a pas fonc­tion­né hori­zon­ta­le­ment comme elle aurait dû.

Le plé­num régio­nal a rom­pu avec cette pra­tique. Le gou­ver­ne­ment espé­rait que nous devien­drions une orga­ni­sa­tion sim­ple­ment anti-com­mu­niste, mais cette manoeuvre n’a pas réus­si. À par­tir du 29 février il y a eu aus­si une manoeuvre du syn­di­cat d’É­tat pour s’in­fil­trer dans la C.N.T. en y fai­sant entrer diverses per­sonnes, des indi­vi­dus pres­ti­gieux ; mais cette manoeuvre n’a pas non plus réus­si : ces gens ont été mis dehors. Quelques-uns sont res­tés mais leur capa­ci­té de manoeuvre est désor­mais déri­soire. Main­te­nant je dirais que nous sommes en train de recueillir les fruits de ce plé­num. Après 2 mois de dis­cus­sions dra­co­niennes, les mili­tants se sont ren­du compte que les choses n’a­van­çaient pas, à cause d’une inca­pa­ci­té col­lec­tive ; à part 2 syn­di­cats qui fonc­tionnent par­fai­te­ment, les autres tra­versent un pro­ces­sus de trans­for­ma­tion. Un cer­tain nombre de syn­di­cats de la C.N.T. sont des syn­di­cats-fan­tômes sans aucune inci­dence ; ils pro­duisent des bul­le­tins très bien faits, mais ce sont 4 pelés et 2 ton­dus qu’on ne voit nulle part. C’est une contra­dic­tion qui se pro­duit à l’in­té­rieur de la C.N.T. Mais il ne faut pas oublier que nous sor­tons de 40 ans de dic­ta­ture et que 80 % des mili­tants ont un âge moyen de 22 ans et qu’ils ne sont donc pas très mûrs ni pré­pa­rés. La fonc­tion du plé­num a été jus­te­ment celle de for­mer les mili­tants jeunes.

28. Ce que tu dis est assez dif­fé­rent de ce que m’a racon­té Gomez Casas à Madrid, à savoir que l’or­ga­ni­sa­tion fonc­tion­nait très bien, même s’il y a des pro­blèmes pra­tiques. Vous, au contraire, avez dit que l’or­ga­ni­sa­tion ne fonc­tion­nait pas très bien mais que par contre les mili­tants fonc­tion­naient ; ceci me semble signi­fier que le pro­ces­sus de recons­truc­tion de la C.N.T. est dif­fé­rent d’une ville à l’autre et que donc il existe un éven­tail de mili­tants et d’organisations.

Edo : Je res­pecte les posi­tions de tous les cama­rades et aus­si celle de Gomez Casas qui est mon ami depuis de nom­breuses années, mais je ne suis pas d’ac­cord avec ses opi­nions et cela aus­si c’est la richesse de la C.N.T. Je reviens à peine de Madrid où a eu lieu une réunion du Comi­té Natio­nal dans laquelle nous avons débat­tu (en la pré­sence de Gomez Casas) très lon­gue­ment des thèses que je t’ai expo­sées ; je peux te dire que ces thèses ont été accep­tées par la majo­ri­té. En effet, le pro­blème du non fonc­tion­ne­ment des rouages de la C.N.T. existe dans toute l’Es­pagne de manière plus ou moins mas­sive selon la force et l’in­fluence de la C.N.T. La Cata­logne est la région où les choses vont encore le mieux ; d’autre part c’est une chose abso­lu­ment nor­male qu’a­près 40 ans, dans une orga­ni­sa­tion nou­velle, qui n’est pas auto­ri­taire, on constate ces problèmes.

29. Quelles sont les acti­vi­tés que tu privilégies ?

En Cata­logne, depuis 3 mois, les uni­ver­si­tés, les col­lèges pro­fes­sion­nels, les tra­vailleurs de dif­fé­rentes entre­prises, les groupes de quar­tier demandent aux dif­fé­rentes orga­ni­sa­tions syn­di­cales de se pré­sen­ter. Nous avons déjà fait plus d’une cen­taine de pré­sen­ta­tions et nous conti­nuons d’en faire. Il y a aus­si des pré­sen­ta­tions conjointes avec les Com­mis­sions Ouvrières, l’U.S.O., l’U.G.T. avec de grandes polé­miques et des discussions.

30. Étant don­né que tu es en train de par­ler de ces forces, pou­vez-vous dire quels sont les syn­di­cats les plus forts à Bar­ce­lone et quels sont les rap­ports entre la C.N.T. et les autres syndicats ?

Edo : La pre­mière chose est qu’au­jourd’­hui aucun n’a une réelle influence sur le mou­ve­ment ouvrier. Beau­coup d’or­ga­ni­sa­tions ouvrières, avec leurs appa­reils, tentent de trom­per les tra­vailleurs, mais pour le moment n’y ont pas réus­si. Il est impos­sible donc de par­ler de syn­di­cats numé­ri­que­ment plus forts. On peut au contraire par­ler d’in­fluence, et de ce point de vue je dirai que l’in­fluence de la C.N.T. a com­men­cé à se déve­lop­per dans dif­fé­rentes régions ; par son mode d’or­ga­ni­sa­tion, du bas vers le haut (et non le contraire comme toutes les autres forces) par son refus de l’u­ni­té syn­di­cale qui vou­lait dire hégé­mo­nie du Par­ti Com­mu­niste Espa­gnol (et il faut dire que toutes les forces y com­pris les com­mis­sions ouvrières ont dû se ran­ger à l’ar­gu­ment de la plu­ra­li­té syn­di­cale), et enfin par le refus de la C.N.T. de conclure des pactes avec les patrons, ou avec le gouvernement.

Un exemple concret de cette ligne anti-pacte a eu lieu dans le conflit de la Roc­ca. La Roc­ca est une usine de pro­duc­tion de pro­duits sani­taires, avec 4 éta­blis­se­ments dans toute l’Es­pagne, qui occupent 8 ou 9 000 tra­vailleurs. L’u­sine de Gava près de Bar­ce­lone est en grève depuis envi­ron 60 jours et l’u­nique syn­di­cat pré­sent au début de la lutte est la C.N.T. Main­te­nant, devant notre pres­sion, l’U.G.T. s’oc­cupe aus­si de ce conflit. Dans cette lutte extrê­me­ment dure, avec des attaques contre les délé­gués, des mani­fes­ta­tions, avec des bar­ri­cades pen­dant 3 jours contre les sol­dats, tous les sché­mas pré­exis­tants ont été rom­pus. Tous les repré­sen­tants du syn­di­cat de l’É­tat ont été refu­sés. Des assem­blées par dépar­te­ments se sont for­mées, et chaque dépar­te­ment a élu un délé­gué. Com­mis­sions ouvrières et U.S.I. ont sabo­té la lutte parce qu’elle était trop radicale.

Nous ne savons pas quelle sera la conclu­sion de ce conflit, mais ce qui est impor­tant est de reven­di­quer le pro­ces­sus, le dérou­le­ment authen­ti­que­ment liber­taire. La C.N.T. est pré­sente aus­si dans d’autres usines moins grandes que la Roc­ca et jus­te­ment par sa manière d’être dans la lutte, elle aug­mente tou­jours plus son influence. Le 12 novembre il y a eu une grève géné­rale dans toute la Cata­logne ; sur­tout à Bar­ce­lone elle a été pro­mue et sou­te­nue par la C.N.T. contre les direc­tions que vou­laient don­ner à la jour­née les Com­mis­sions ouvrières, l’U.S.O. et l’U.G.T. Des 45 per­sonnes arrê­tées ce jour-là, 33 étaient de la C.N.T.

31. L’in­fluence de la C.N.T., jus­te­ment en ce qui concerne ses carac­té­ris­tiques anti-pacte, est en train de croître, et pour cher­cher à l’ar­rê­ter, toute la presse espa­gnole fait son pos­sible pour ne pas en par­ler. D’autre part, le Par­ti Com­mu­niste contrôle pra­ti­que­ment 60 % de la rédac­tion des pério­diques espa­gnols et il lui est donc très facile d’é­vi­ter de don­ner des infor­ma­tions ou les donne en les mani­pu­lant. On peut don­ner 3 exemples : à l’oc­ca­sion de la convo­ca­tion de la grève géné­rale du 12 novembre, il y a eu une consul­ta­tion entre les diverses cen­trales syn­di­cales (en Cata­logne il n’existe pas d’or­ga­nisme uni­taire syn­di­cal dont font par­tie les com­mis­sions ouvrières, l’U.S.O. et l’U.G.T.). Le mani­feste approu­vé fut celui pro­po­sé par la C.N.T. Après le 12, beau­coup de tra­vailleurs ont deman­dé à la C.N.T. de dis­cu­ter son mani­feste ; c’est à par­tir de ce moment que l’in­fluence s’est déve­lop­pée sur les lieux de tra­vail avec une réelle inci­dence ; en par­ti­cu­lier à la Roc­ca et au port, où les luttes furent boy­cot­tées à cause de leur carac­tère sauvage.

Un fait impor­tant a été la der­nière mani­fes­ta­tion pour la Roc­ca, la semaine der­nière à Cor­nel­là, près de Bar­ce­lone. Là, devant tous les gens réunis pour la mani­fes­ta­tion et devant la police, les com­mis­sions ouvrières et l’U.S.O. ont dis­sout la mani­fes­ta­tion avec un méga­phone prê­té par la police. La réac­tion de la part des mani­fes­tants fut vio­lente. La C.N.T. a au contraire sou­te­nu que per­sonne ne pou­vait déci­der de la dis­so­lu­tion de la mani­fes­ta­tion et que cette déci­sion reve­nait à l’as­sem­blée de la Rocca.

32. J’ai lu dans un jour­nal de Valence le pro­jet de loi pour la recon­nais­sance légale des syn­di­cats. Com­ment se situe la C.N.T. face à ce problème ?

Edo : La C.N.T. a déci­dé, au cours du plé­num natio­nal de sep­tembre, de n’ac­cep­ter la léga­li­sa­tion que si elle n’est accom­pa­gnée d’au­cune condi­tion et donc le texte de loi dont tu parles qui est très récent pour­rait bien aller, mais il doit être dis­cu­té par les Cor­tès et nous ne savons donc pas s’il sera approu­vé ou modi­fié. Le texte pré­cé­dent au contraire était com­plè­te­ment inac­cep­table parce qu’il ne recon­nais­sait les orga­ni­sa­tions que par le biais de quelques syn­di­cats, de cer­tains sec­teurs ou de cer­taines villes mais pas en tant que telles. En outre, la recon­nais­sance impli­quait un cer­tain nombre de condi­tions qui étaient inac­cep­tables par nous.

33. À Valence la C.N.T. a fait une alliance ouvrière avec l’U.G.T. Com­ment se passent les rap­ports entre les 2 orga­ni­sa­tions à Barcelone ?

Edo : Il faut tenir compte du fait que le pro­ces­sus de recons­truc­tion de la C.N.T. a eu des moda­li­tés de dévelop­pement dif­fé­rentes d’une région à l’autre, d’une vil­la à l’autre. À Valence ce pro­ces­sus est com­men­cé depuis plus de 2 ans et donc se trouve dans une phase plus avan­cée que dans d’autres régions, avec des carac­té­ris­tiques propres à cette région.

34. Quelle est la situa­tion du mou­ve­ment anar­chiste spé­ci­fique à Bar­ce­lone, quels sont les rap­ports avec la C.N.T. ?

Edo : En géné­ral la majo­ri­té des anar­chistes appuient la recons­truc­tion de la C.N.T. Moi per­son­nel­le­ment, à la dif­fé­rence des autres cama­rades, je crois que la C.N.T. doit deve­nir tou­jours plus anar­chiste dans son conte­nu non pas à tra­vers une cer­taine impo­si­tion, mais à tra­vers une dia­lec­tique conti­nuelle, une confron­ta­tion per­ma­nente entre ses dif­fé­rentes ten­dances, ain­si que cela se pas­sait pour la C.N.T. en 36, parce que c’est jus­te­ment dans ces carac­té­ris­tiques que réside la force de la Confédération.

Sans elles, il n’y aurait pas eu des réa­li­sa­tions comme les col­lec­ti­vi­tés dans le pas­sé et aujourd’­hui on ne réus­si­rait à rien faire. Sans cette confron­ta­tion entre les dif­fé­rentes ten­dances de l’a­nar­chisme, la C.N.T. ne pour­ra avoir d’in­fluence sur le mou­ve­ment ouvrier et tom­be­ra dans un simple syn­di­ca­lisme. Or cette orga­ni­sa­tion avec sa stra­té­gie, son conte­nu, son his­toire, est essen­tiel­le­ment anti-syn­di­ca­liste, c’est-à-dire pré­ci­sé­ment contre tous les sché­mas du syn­di­ca­lisme tra­di­tion­nel. Le fait qu’au­jourd’­hui dans la C.N.T. tra­vaillent acti­ve­ment des cama­rades issus d’un nou­vel anar­chisme anti-syn­di­ca­liste est selon moi une condi­tion abso­lu­ment néces­saire pour la vie même de la C.N.T. Beau­coup d’a­nar­chistes ont com­pris l’im­por­tance de cette dia­lec­tique interne et tra­vaillent avec nous, d’autres au contraire ne l’ont pas com­pris et n’entrent pas dans la Confé­dé­ra­tion. Il faut pour­tant ajou­ter que dans la C.N.T. il y a aus­si des cou­rants pure­ment syn­di­ca­listes, ce qui selon moi est une erreur parce que c’est vrai­ment de la confron­ta­tion et de la syn­thèse entre l’a­nar­chisme et le syn­di­ca­lisme qu’est né le mou­ve­ment anarcho-syndicaliste.

35. Existe-t-il des groupes spé­ci­fiques qui ne sont pas à la C.N.T. ?

Edo : Il y a le mou­ve­ment des Mujeres libres ; ce sont des cama­rades qui tra­vaillent de manière auto­nome et très bien ; actuel­le­ment elles sont en train de faire un tra­vail d’ap­pui et de soli­da­ri­té avec les tra­vailleuses de la Roc­ca. Il existe aus­si la jeu­nesse liber­taire qui n’est pas encore consti­tuée comme orga­ni­sa­tion, qui a une poten­tia­li­té énorme et qui, tout en n’é­tant pas à la C.N.T., l’ap­puie dans ses luttes. L’en­semble de ces groupes anar­chistes ou liber­taires a une force, tant numé­rique qu’en poten­tia­li­té de luttes, égale à celle de la C.N.T. Mais je crois que pour un plus grand déve­lop­pe­ment de la zone d’in­fluence liber­taire, il est néces­saire qu’ils convergent dans ce pro­ces­sus de confron­ta­tion dont nous par­lions. Il existe aus­si des groupes liber­taires de quar­tier, qui en grande par­tie ne sont pas à la C.N.T. même s’ils mènent leur acti­vi­té en col­la­bo­ra­tion avec elle. Le mou­ve­ment anar­chiste spé­ci­fique existe donc mais pas une orga­ni­sa­tion spé­ci­fique, ver­té­brée, fédé­rée. Il y a eu quelques ten­ta­tives dans ce sens et quelques groupes se sont don­né une struc­ture orga­ni­sa­tion­nelle, mais ils n’ont aucune influence comme orga­ni­sa­tion. Par­mi les mili­tants anar­chistes de la C.N.T., il y a 2 opi­nions : la pre­mière sou­tient la néces­si­té d’or­ga­ni­ser rapi­de­ment la F.A.I. pour que ses mili­tants à l’in­té­rieur de la C.N.T évitent que la C.N.T. ne glisse vers une ligne pure­ment syn­di­ca­liste ou réfor­miste. L’autre, avec laquelle je me trouve d’ac­cord, sou­tient que pour le moment il n’est pas pos­sible, et que ce serait même une grave erreur his­to­rique, de consti­tuer la F.A.I. par la déci­sion d’une mino­ri­té de groupes et de cama­rades. Je crois donc que les cama­rades anar­chistes doivent s’ac­cor­der sur quelques lignes géné­rales, sur la stra­té­gie, sur le pro­blème idéo­lo­gique, sur le pro­blème des rela­tions entre le mou­ve­ment anar­chiste et la C.N.T. parce que beau­coup de mili­tants sou­tiennent l’ab­so­lue indé­pen­dance et auto­no­mie de la C.N.T. de quelque orga­ni­sa­tion que ce soit, même anar­chiste ; tous ces pro­blèmes doivent évi­dem­ment être dis­cu­tés, et de ces dis­cus­sions naî­tront ensuite les pos­si­bi­li­tés de recons­truire les orga­ni­sa­tions de groupes anarchistes.

36. Quels sont les syn­di­cats de la C.N.T. les plus forts à Barcelone ?

Il faut voir ce qu’on entend par plus fort : le nombre des mili­tants ou bien la qua­li­té ; numé­ri­que­ment deux sont des syn­di­cats plus forts, qui dépassent 200 mili­tants : le syn­di­cat du spec­tacle, et le syn­di­cat tex­tile ; au contraire, ceux qui sont forts par la com­ba­ti­vi­té sont ceux de la métal­lur­gie, ceux de l’é­cole, ceux des arts graphiques.

37. Et le tra­vail dans les quartiers ?

Bur­ro : En ce moment, on cherche à créer une fédé­ra­tion des comi­tés de quar­tier ; il existe des groupes qui tra­vaillent non pas au niveau anar­cho-syn­di­ca­liste, mais au niveau anar­chiste ; beau­coup d’a­nar­chistes ne sont pas à la C.N.T. et pré­fèrent cen­trer leur acti­vi­té dans les quar­tiers dans les­quels ils vivent et où existent d’é­normes pos­si­bi­li­tés pour la dif­fu­sion des idées anar­chistes. Dans le quar­tier où j’ha­bite, par exemple, San­ta Col­lo­ma de Gra­ma­net, qui est une ville dor­toir, les anar­chistes sont la pre­mière force, autant qua­li­ta­ti­ve­ment que quan­ti­ta­ti­ve­ment, mais ils n’ont aucune forme de coor­di­na­tion avec les autres quar­tiers, et c’est pour cette rai­son que nous sommes en train de cher­cher à créer une fédé­ra­tion des comi­tés de quartier.

Edo : Je vou­drais pré­ci­ser que quand j’ai dis que la C.N.T. a rom­pu tous les sché­mas tra­di­tion­nels syn­di­caux, je vou­lais aus­si dire qu’il n’existe aucune orga­ni­sa­tion qui, outre qu’elle déve­loppe son acti­vi­té sur les lieux de tra­vail, pro­longe cette acti­vi­té sur les lieux où l’on vit après le tra­vail, c’est-à-dire les quar­tiers. Nous don­nons aux quar­tiers une énorme impor­tance et nous croyons que la C.N.T., si elle veut vrai­ment deve­nir un syn­di­cat dif­fé­rent de tous les autres, doit avoir ce rap­port entre les deux moments, car l’ac­ti­vi­té d’une orga­ni­sa­tion ouvrière ne doit pas se bor­ner à des reven­di­ca­tions de type éco­no­mique et nor­ma­tif, elle doit aus­si recou­vrir tous les aspects de la vie du travailleur.

38. Bur­ro : Je crois per­son­nel­le­ment que la C.N.T. n’au­rait pas dû naître le 29 février pour une rai­son pré­cise : ses sta­tuts sont ceux de 1910 et depuis, de nom­breuses années sont pas­sées et beau­coup de choses ont eu lieu. Les entre­prises mul­ti­na­tio­nales sont nées, il s’est déve­lop­pé un capi­ta­lisme avec des carac­té­ris­tiques com­plè­te­ment nou­velles ; il serait donc néces­saire de véri­fier si aujourd’­hui la struc­ture adop­tée par la C.N.T. est encore valable. Per­son­nel­le­ment j’ai des doutes à ce pro­pos, parce que j’ai consta­té que beau­coup de syn­di­cats ne pré­sentent que des reven­di­ca­tions de type éco­no­mique et nor­ma­tif, alors que je crois que le but de la C.N.T. est d’in­sis­ter sur les dif­fé­rents aspects de la vie. Nous devons implan­ter une autre socié­té dès aujourd’­hui et donc la C.N.T. doit être l’or­ga­ni­sa­tion qui contienne à l’é­tat embryon­naire les pré­misses de cette nou­velle socié­té. Mais vu que la C.N.T. est struc­tu­rée par (39) syn­di­cats, il me semble très dif­fi­cile d’y arri­ver. Je fais par­tie du syn­di­cat de la San­té et je peux dire qu’ac­tuel­le­ment ce syn­di­cat est en crise : une par­tie des mili­tants croient être à la C.N.T. pour défendre leurs inté­rêts pro­fes­sion­nels et sala­riaux, d’autres au contraire croient être dans la C.N.T. pour construire une nou­velle socié­té. Ces deux ten­dances ont don­né lieu à une divi­sion du syn­di­cat en deux sec­tions paral­lèles avec des objec­tifs dif­fé­rents. La sec­tion à laquelle j’ap­par­tiens consi­dère qu’un syn­di­cat de la San­té, dans une orga­ni­sa­tion comme la C.N.T. qui devrait lut­ter pour un chan­ge­ment social, n’a pas beau­coup de sens. Même le nom en soi, San­té, est un nom res­tric­tif et reven­di­ca­tif, alors que nous croyons qu’il serait beau­coup plus signi­fi­ca­tif de créer un syn­di­cat « San­té Publique et Hygiène » qui lutte pour une méde­cine pré­ven­tive que l’on ne peut cer­tai­ne­ment pas faire dans les hôpi­taux, alors que notre tra­vail n’a lieu que dans les hôpi­taux. Notre tra­vail devrait se dérou­ler dans les quar­tiers parce que c’est pré­ci­sé­ment là que naissent les mala­dies, à cause des condi­tions de vie et des rythmes de travail.

Bar­ce­lone, 10 janvier

La Presse Anarchiste