À cette époque un mouvement pour les droits civils s’est développé, pour obtenir des petites réformes sur le plan des logements, des possibilités d’emplois et des élections. Les meetings et les marches se multiplièrent à un tel point que les bandes de loyalistes et la police para-militaire (B. Specials) commencèrent à les attaquer systématiquement. De ce fait, la minorité républicaine était constamment attaquée. Se battant comme ils pouvaient mais sans aucun fusil pour se défendre, les catholiques se tournèrent vers l’IRA pour se protéger.
Mais à ce moment-là l’IRA était presque inexistante en tant qu’organisation. Ce n’était que les restes de la vieille organisation républicaine-nationaliste qui n’avait toujours pas achevé sa victoire en 60 ans, bien que sa campagne militaire contre les britanniques ait provoqué le partage de l’Irlande et l’établissement du Gouvernement Républicain dans le Sud. Les « campagnes de frontières » des années 50 l’avaient affaiblie, elle avait perdu tout appui, le nombre de ses adhérents avait diminué et elle était presque entièrement dominée par les marxistes de style stalinien. La domination communiste avait achevé la rupture avec l’ancienne politique activiste-militaire. Donc quand la minorité catholique du Nord se tourna vers l’IRA, celle-ci n’était ni disposée ni capable de répondra à cet appel. Ce refus de venir en aide à la communauté attaquée renforça la frustration ressentie par les nationalistes orthodoxes ayant à supporter une direction « marxiste » et enflamma les jeunes (activistes) membres qui voulaient un retour aux activités militaires Cette dissension interne qui était aiguisée par la situation désespérée des ghettos catholiques entraîna la scission de l’organisation : « IRA officielle » (le groupe dominé par les communistes, opposé à l’activisme) et l’« IRA provisoire » (composée d’ultra-nationalistes et des jeunes éléments qui voulaient multiplier les actions « militaires »).
Pendant toute la période de troubles et de combats de rues dans les villes du Nord le Gouvernement Républicain du Sud joua le rôle hypocrite de « l’avocat du diable ». Bien que le gouvernement britannique contrôlait la politique du Nord la plupart des capitaux britanniques étaient investis (et le sont toujours) dans la République du Sud.
La situation s’aggrava quand les troupes britanniques furent envoyées en Irlande du Nord pour « ramener la paix ». Bien qu’au début les catholiques leur firent bon accueil, il apparut très vite que rien n’était changé. La présence des troupes étrangères était exactement l’excuse dont avaient besoin ceux qui allaient former l’IRA provisoire pour justifier leur existence en tant qu’organisation indépendante. Paradoxalement la force de l’IRA-provisoire découle directement de la présence continue des troupes étrangères d’occupation. C’est maintenant la seule justification des Provisoires pour la position qu’ils ont dans le Nord.
L’IRA Provisoire :
Aucun groupe n’a été aussi mal représenté en Europe que les Provisoires. Beaucoup de camarades hors d’Irlande les croient « révolutionnaires ». Rien n’est plus faux ! Quand les Provisoires acceptèrent de défendre la Communauté contre les loyalistes ils le firent à une condition : si vous voulez notre protection vous ferez ce que nous dirons ! Dans ce sens les Provisoires ne s’inspirent pas de la tradition révolutionnaire mais de celle des gangsters de Chicago ! Le but à long terme des leaders Provisoires est de s’emparer du contrôle de l’État et de s’installer eux-mêmes au gouvernement. Le combat pour les provisoires n’est pas un combat révolutionnaire pour changer la nature de la société mais une guerre nationaliste ayant pour unique but de contrôler le Nord. En termes idéologiques l’IRA provisoire est ultra-nationaliste.
À cause de leur réthorique révolutionnaire « anti-impérialiste » beaucoup de gens ont rejoint les Provisoires en dehors d’un authentique désir de combattre pour un changement social dans une optique révolutionnaire c’est simplement parce que les provisoires sont les mieux équipés et les plus actifs des groupes irlandais. Certains se disent « autonomes » et croient qu’il est possible de mener un combat révolutionnaire de l’intérieur de l’organisation. Ils se trompent eux-mêmes car pour le moment leurs chefs leur permettent de penser qu’ils suivent la tradition de Che Guevara et Ulrike Meinhof, mais quand finalement l’armée britannique se retirera ils seront obligés de rentrer dans le rang et d’accepter les ordres de leurs chefs.
La nature des Provisoires est plus claire si l’on regarde leur récente campagne en Angleterre. La caractéristique essentielle des guerres nationales est que la violence n’est pas discriminatoire. Alors que les révolutionnaires choisissent comme cibles la classe dirigeante, sa machine répressive (police, armée, etc) et ses institutions, les gouvernements préfèrent tuer les civils de la classe ouvrière. Presque toutes les cibles choisies par l’IRA Provisoire en Angleterre ont été civiles (pubs, magasins, cafés…).
L’IRA Officielle et autres :
Lors de la scission de l’IRA tous ceux qui voulaient développer l’activisme ne se sont pas joints aux Provisoires. Bien que, comme je l’ai dit, certains se joignirent à eux en espérant une occasion pour combattre en révolutionnaires, beaucoup d’autres, qui se considéraient comme « révolutionnaires socialistes », sont restés dans l’IRA Officielle parce qu’ils étaient en désaccord avec l’orientation ultra-nationaliste des Provisoires. Noël et Marie Murray étaient de ceux-là. Les Murray, comme d’autres, voulaient voir les Officiels adopter un programme plus révolutionnaire et plus activiste et essayer de travailler à partir de cette position dans l’organisation. Effectivement, poussée par les événements, l’IRA Officielle a développé les tactiques de guérilla pendant les années 72 – 73 en Irlande du Nord. Mais c’était dû au fait que la situation était confuse et que quelques groupes de jeunes à Belfast ont été pendant une brève période virtuellement autonomes et capables de mener une campagne d’attentats à la bombe contre les soldats britanniques et une série d’attaques de banques réussies. Cette période de renouveau activiste prit fin quand la plupart des groupes furent disséminés (camarades tués ou blessés) et arrêtés, et le ralentissement du combat permit à l’organisation de reprendre le contrôle sur ceux qui restaient encore actifs.
Les Murray, néanmoins. ne prirent pas part à ce développement dans le Nord étant donné qu’ils travaillaient dans le Sud. et dans l’intervalle devinrent anarchistes.
Dans le Sud, un groupe d’activistes (dont les Murray) se sépare de l’IRA Officielle et fonde « SAOR EIRE » (« Jeune Irlande »). Ils mènent de nombreuses actions dont des attaques de banques. Là aussi les arrestations mirent fin aux activités du groupe.
Les Murray, avec d’autres camarades anarchistes (dont certains avaient également fait partie de l’IRA Officielle) commencèrent à organiser un groupe anarchiste à Dublin agissant publiquement et se préparant à publier le premier journal anarchiste de Dublin, « NEW EARTH ».
La plupart des membres du groupe ont été arrêtés et accusés des actions de solidarité internationale pour protester contre l’exécution de Puig Antich et l’arrestation et les conditions de détention des membres de la RAF. Des attaques de banques ont été également attribuées au groupe NEW EARTH. Trois de ces camarades sont encore en prison : Desmond Keane, Columba Longmore, Robert Cullen. La police a également saisi du matériel réuni pour la publication du journal du groupe.
Il est difficile de parler d’un mouvement anarchiste en Irlande parce que, en vérité, il n’y en a pas. Dans le passé, quand quelqu’un devenait révolutionnaire, socialiste ou anarchiste, il émigrait en Angleterre ou en Amérique. L’Histoire irlandaise est nationaliste et républicaine, il n’y a pas d’anarchisme et très peu de socialisme. Sans tradition historique les anarchistes en Irlande sont très isolés. Mais la répression contre les anarchistes dans le Sud et les difficultés qu’ils rencontrent dans le Nord sont autant d’obstacles au développement d’un mouvement révolutionnaire libertaire en Irlande. Mais l’exemple de camarades comme les Murray a beaucoup contribué à montrer qu’il est possible de lutter contre l’oppression en dehors de l’IRA Provisoire, de même que l’activisme révolutionnaire libertaire, grâce à eux, a acquis de l’influence dans toute l’Irlande.
Je dois aussi mentionner deux autres groupes. L’un « People’s Democracy » (démocratie du peuple) est un groupe d’étudiants de Belfast de l’Université de la Reine. Au début ce groupe comprenait de nombreux anarchistes et avait adopté une attitude libertaire. Mais actuellement il est devenu entièrement marxiste et ne se dédie qu’à la propagande légale. Il a perdu la plupart de l’appui qu’il avait initialement et ses membres se sont considérablement réduits.
L’autre apparut après une autre scission dans l’IRA Officielle en 1974. Se réclamant du Marxisme Révolutionnaire (et comprenant quelques Trotskystes ainsi que, au début, le soutien de Bernadette Devlin) et qui s’appelle « Irish Republican Socialist Party ». Pendant les premiers mois de son existence, la tension était telle avec l’IRA Officielle que cette période a été marquée par de véritables batailles, des assassinats et des coups de feu entre ces deux groupes. Le I.R.S.P. n’a pour ainsi dire pas participé aux combats de rues dans le nord, se concentrant sur d’autres activités, ils ont organisé de nombreux vols (surtout dans le Sud) et ont été sauvagement réprimés par le Gouvernement de l’Irlande du Sud. Comme les Murray, de nombreux membres de l’I.R.S.P. ont été torturés par la police du Sud.
Il a été récemment décidé lors d’un grand meeting à Dublin que l’IRA Officielle n’existe plus. L’Organisation s’appelle maintenant « Sinn Fein-the workers’ Party » et va essayer de se présenter aux élections officielles dans le Sud dans l’espoir de participer à un gouvernement « démocratique » ! C’est le résultat de l’influence communiste (maintenant totale) sur la direction de l’organisation. Le débat sur l’utilisation des tactiques « militaires » est maintenant clos. Les communistes proclament ouvertement avoir extirpé les éléments « criminels et militaires » de l’organisation.
En conclusion on peut dire que seule la classe ouvrière peut apporter un réel changement en Irlande. Pour le moment elle est retenue par l’IRA et les groupes loyalistes (quasi-fascistes). Ce qu’il faut maintenant c’est un mouvement de résistance autonome, avec une perspective libertaire révolutionnaire pour jouer le rôle des Provisoires (protéger la Communauté contre les attaques et pour résister à l’armée britannique et à l’armée du gouvernement dans le Sud) afin que les gens puissent enfin prendre en main leur propre destin.